Dénoncés aujourd’hui à hauts cris par les dirigeants occidentaux et africains, les viols, les tortures et l’esclavage de milliers de migrants africains en Libye étaient pourtant connus de longue date, soulignent ONG et analystes qui tirent la sonnette d’alarme depuis des mois.
Les images furtives d’une vente aux enchères nocturne de jeunes Africains dans la région de Tripoli, filmées en caméra cachée et diffusées le 14 novembre sur CNN, ont suscité une onde de choc, en se propageant comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux.
Face au tollé, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, s’est dit « horrifié », le président de l’Union africaine Alpha Condé « indigné », l’Union européenne « révoltée » et la France a réclamé une réunion « expresse » du conseil de sécurité de l’ONU.
Slavery has no place in our world. https://t.co/Yy03lmKRPY pic.twitter.com/iTH62c2F6Z
— António Guterres (@antonioguterres) 20 novembre 2017
« Hypocrisie », car « à part le citoyen lambda, tout le monde savait, les gouvernants, les organisations internationales, les leaders politiques », assène le Sénégalais Hamidou Anne, analyste du think tank « L’Afrique des idées ».
« Les prises d’otages, les violences, la torture, les viols, sont monnaie courante en Libye, et l’esclavage, on en parle depuis longtemps », renchérit Alioune Tine, directeur Afrique de l’ouest et du centre d’Amnesty international basé à Dakar.
En plein chaos depuis la chute en 2011 du régime de Mouammar Kadhafi, la Libye est la plaque tournante du transit des migrants d’Afrique subsaharienne cherchant à gagner l’Europe.
Soucieuse de contrôler ce flux migratoire, l’UE peine à trouver des solutions pour ces candidats à l’exil, à la merci des passeurs et trafiquants, un calvaire dont beaucoup ont témoigné dans les médias.
« En Libye, les noirs n’ont aucun droit », avait confié en septembre à l’AFP Karamo Keita, un jeune Gambien de 27 ans, rapatrié dans son pays. « Nous avons été emmenés dans plusieurs fermes où notre geôlier libyen nous vendait comme esclaves ».
De leur côté, les organisations d’aide aux migrants n’ont cessé d’alerter sur la dégradation de la situation.
Dès le mois d’avril, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) rapportait l’existence de « marchés aux esclaves » en Libye. « Ils y deviennent des marchandises à acheter, vendre et jeter lorsqu’elles ne valent plus rien », avait souligné Leonard Doyle, porte-parole de l’OIM à Genève.
La présidente de Médecins sans frontières, Joanne Liu, avait à son tour dénoncé en septembre, dans une lettre ouverte aux gouvernements européens, « une entreprise prospère d’enlèvement, de torture et d’extorsion » en Libye.
L’Invité Afrique – Joanne Liu (MSF): «Les centres de rétention en Libye sont des lieux de maltraitance» https://t.co/KiebszAl8A pic.twitter.com/UL6EIxO8Nr
— RFI Afrique (@RFIAfrique) 10 septembre 2017
« Dans leurs efforts pour endiguer le flux (migratoire), les gouvernements européens seront-ils prêts à assumer le prix du viol, de la torture, et de l’esclavage ? », avait-elle interpellé. Avant de conclure: « Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas ».
La semaine dernière, le haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad Al Hussein, a jugé « inhumaine » la politique de l’UE « consistant à aider les gardes-côtes libyens à intercepter et renvoyer les migrants ».
Une accusation rejetée par Bruxelles, qui souligne ses efforts pour « sauver des vies » en mer et « faciliter l’accès de l’OIM et du Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR) aux centres de détention en Libye pour qu’ils puissent augmenter le niveau d’assistance et organiser des retours volontaires ».
En se posant en « forteresse qui veut coûte que coûte arrêter » les migrants, l’Europe « a une responsabilité fondamentale » dans le désastre actuel, mais elle n’est pas la seule, estime quant à lui Alioune Tine.
« Les pays africains ne font rien pour retenir les jeunes, pour leur donner du travail. Ils n’ont pas de politique d’immigration, ils ne font que subir », regrette-t-il.
« Ça ne peut plus durer. Devant un crime contre l’humanité, on ne s’indigne pas, on réagit », juge Hamidou Anne, en critiquant la passivité des dirigeants africains et le « racisme systématique dans les pays du Maghreb ».
« Il faut aller chercher ces jeunes qui sont dans des camps d’internement ou vendus comme esclaves », réclame-t-il, alors que le Rwanda a proposé jeudi d’accueillir 30.000 de ces migrants.
Pour Alioune Tine, la question de l’éradication de l’esclavage doit être inscrite au menu du sommet UE/UA des 29 et 30 novembre à Abidjan, comme l’a suggéré le président nigérien Mahamadou Issoufou.
« Il faut une commission d’enquête impartiale pour voir comment s’organisent ces trafics, qui en sont les responsables. Et que tout le monde prenne ses responsabilités », conclut-il.
R.B avec AFP
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