Le retour des billets sous le matelas : la guerre en Ukraine a réveillé le besoin de détenir des espèces dans plusieurs pays d’Europe, à contre-courant d’une tendance de long terme de baisse de l’utilisation de l’argent liquide.
Dans les pays du nord et de l’est de l’Europe, relativement proches de l’Ukraine, l’association européenne du transport et du convoyage de valeurs (Esta) a ainsi remarqué au début de la guerre des retraits plus importants de billets.
Coutume du « bas de laine »
Le remplissage des distributeurs a augmenté de 25 à 30% en Slovaquie et de 15 à 20% en République tchèque au cours des deux premières semaines de guerre, a-t-elle signalé dans une note du 8 mars.
Plus étonnant : cette augmentation est aussi visible en Finlande (+20%) et en Suède (+30%), alors que ces pays font partie des pays européens qui utilisent le moins d’espèces.
Crainte d’un blocage des fonds monétaires
« Dans cette période de guerre, on entend beaucoup parler de cyberattaques qui pourraient arrêter les communications et donc empêcher les virements. Les retraits d’argent sont une forme de prévention face à ces choses qui pourraient se produire si le conflit prend de l’ampleur », explique à l’AFP Michel Tresch, président de la société de transports de fonds Loomis France.
« Cela peut paraître anachronique, mais il y a beaucoup de gens aujourd’hui qui, par crainte de l’avenir, font le choix d’avoir des billets plutôt que de tout mettre dans un livret » d’épargne, ajoute Christophe Baud Berthier, directeur des activités fiduciaires de la Banque de France.
Phénomène de thésaurisation
Ce phénomène dit de thésaurisation s’accentue à chaque nouvelle crise, comme lors de la crise financière de 2008 ou pendant la pandémie en 2020. La demande d’espèces s’accroît aussi lors d’événements climatiques extrêmes, comme les inondations.
Dans les pays où les retraits ont augmenté depuis l’invasion de l’Ukraine, les billets retirés sont conservés pour faire des réserves : l’Esta souligne en effet qu’il n’y a pas de hausse « significative » du nombre de transactions en liquide.
Une demande de billets qui « n’a jamais été aussi importante »
La Banque centrale européenne (BCE) fait ainsi un constat paradoxal : ces dernières années, la demande de billets n’a jamais été aussi importante… alors que l’utilisation de la monnaie baisse.
Selon elle, l’utilisation des espèces a baissé de 6 points entre 2016 et 2019 et représentait alors environ 48% des transactions en valeur, tandis que les paiements par applications, par carte bancaire et sans contact gagnaient du terrain.
La frénésie des billets n’a pas encore atteint la France
En France, la Monnaie de Paris, qui fabrique les pièces, a vu baisser de 50% en dix ans les commandes de l’État.
Avec la pandémie de Covid-19, la crainte que les pièces et billets soient vecteurs du virus a encore accéléré ce phénomène et « l’offre de paiement sans contact s’est multipliée dans les commerces, y compris pour des montants très petits », commente M. Baud Berthier.
Selon un sondage mené en juillet 2020 par la BCE, 40% des Européens assuraient moins payé en espèces depuis le début de l’épidémie.
Malgré cette baisse de l’utilisation des espèces, la BCE explique que la demande de billets augmente à cause des réserves faites par les Européens.
De nombreux billets sont aussi conservés par des individus et des institutions en dehors de l’Europe, car l’euro est considéré comme une monnaie stable et donc une réserve de valeur en cas de problème.
Pour l’heure, la frénésie des retraits ne semble en tout cas pas avoir atteint la France. « Les banques françaises n’ont pas constaté d’augmentation significative des retraits », a assuré la Fédération bancaire française à l’AFP.
Même si la demande venait à augmenter, M. Baud Berthier assure que les stocks de billets de la Banque de France permettraient « sans aucune difficulté de faire face à un pic ».
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