Un texte essentiel pour l’avenir de la démocratie européenne est en cours de discussion à Bruxelles. L’European Media Freedom Act ou « législation sur la liberté des médias » veut créer un cadre européen pour la liberté de la presse et l’indépendance de l’information sur la base de principes et de pratiques directement applicables aux 27 pays de l’Union.
Selon une tribune regroupant plus de 550 titres et groupes de presse français, le texte a été préparé sans prendre en compte les situations nationales et sans concertation avec les médias, et risque « d’aboutir au résultat inverse à celui recherché et de marquer une véritable régression en matière de liberté ».
Cette première législation européenne sur les médias va s’appuyer sur la Journalism Trust Initiative (JTI), une mesure de fiabilité des médias créée par Reporters sans frontières (RSF) combinée à la puissance algorithmique des médias sociaux et des moteurs de recherche pour étiqueter tous les médias européens.
Après un accord en décembre, le texte législatif doit être approuvé en mars au Parlement européen puis au Conseil de l’Union européenne pour une application dans les 6 mois.
Le premier projet de loi européen d’encadrement des médias
L’European Media Freedom Act (EMFA) est la première législation européenne sur les médias s’apprêtant à se généraliser à toute l’Europe. Appelée « Législation européenne sur la liberté des médias », l’EMFA propose un nouvel ensemble de règles visant à « promouvoir le pluralisme et l’indépendance des médias dans l’ensemble de l’UE » selon la proposition de loi.
Parmi les mesures, des mécanismes de protection de l’indépendance éditoriale, un financement stable des médias de service public – jugés pluralistes et impartiaux (Article 5), la transparence en matière de propriété et de concentration des médias ou encore la protection contre les interférences politiques et économiques.
On retrouve cependant des mesures plus coercitives comme la mise en œuvre d’un « système de surveillance de la propriété des médias visant à établir une base de données par pays », la création du ‘Comité européen pour les services de médias’ – une nouvelle entité de surveillance et de régulation des médias européens (Article 8), et la mise en place d’un instrument de surveillance du pluralisme des médias.
La future législation européenne consacre en effet l’utilisation la Journalism Trust Initiative (JTI), développée par RSF, comme référence pour identifier les médias fiables – ouvrant la porte à un étiquetage généralisé de la presse au niveau européen, s’appuyant sur la puissance algorithmique des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft).
Le texte de l’accord, validé en décembre 2023, devrait être adopté d’ici le mois d’avril 2024. Le Comité européen des services de médias devrait entrer en fonction trois mois plus tard et toutes les autres dispositions les trois mois suivants.
Une « véritable régression en matière de liberté de la presse »
Dans une tribune parue en juin 2023, l’Alliance de la presse d’information générale, la FNPS et le SEPM estiment que l’EMFA pourrait marquer une « véritable régression en matière de liberté de la presse ». D’après le collectif regroupant plus de 550 titres de groupes et presse quotidienne, hebdomadaire ou magazine français, « la tentation d’instaurer une régulation administrative du pluralisme sur le modèle de l’audiovisuel relève d’une régression par rapport à la liberté dont la presse écrite jouit aujourd’hui en France. »
À première vue, les journalistes seront protégés des ingérences politiques ou économiques, mais dans les faits, l’EMFA pourrait « encourager la censure de la presse par les plateformes et compromettre l’indépendance des journalistes » déclare le syndicat Alliance Presse.
« Une régulation administrative est-elle mieux placée que la communauté des citoyens et lecteurs pour juger du niveau de pluralisme nécessaire à notre pays ? » interroge le texte. « La façon dont chaque pays fait respecter et vivre la liberté de la presse et le pluralisme dépend de son histoire, de sa tradition politique, de son niveau de protection des libertés. »
En France, la loi de 1881 sur la liberté de la presse est éminemment protectrice car elle pose un principe de liberté de publication, que seul le pouvoir judiciaire peut censurer ou limiter dans certains cas.
Selon les éditeurs signataires, l’European Media Freedom Act va donner le pouvoir de censure des publications aux GAFAM par l’application d’une labellisation centralisée et généralisée de l’information.
Une labellisation des médias au cœur de l’European Media Freedom Act
Dans le texte provisoire sur lequel le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne se sont accordés, on retrouve l’application de la Journalism Trust Initiative (JTI) mentionnée dans l’article 17 et la considération 33 : « Les fournisseurs de très grandes plateformes en ligne devraient prévoir une fonctionnalité permettant aux fournisseurs de services de médias de déclarer qu’ils satisfont à certaines exigences ». À cet effet « les fournisseurs de très grandes plateformes en ligne peuvent se fonder […] sur la norme lisible par machine élaborée par l’Initiative pour la fiabilité de l’information (Journalism Trust Initiative – JTI) ou d’autres codes de conduite pertinents. »
Nous parlions de la labellisation des médias et de l’information comme aboutissement probable des États généraux de l’information (EGI) en France, dans un article précédent. La Journalism Trust Initiative (JTI) y est également proposée par Reporters sans frontières (RSF) pour assurer un étiquetage global des médias français. La récente polémique de la saisine du Conseil d’État par RSF contre la chaîne d’information Cnews avait remis en question l’impartialité du directeur général de RSF, Christophe Deloire, également directeur des EGI.
Depuis 2018, RSF imagine un système de labellisation des médias au travers de la Journalism Trust Initiative (JTI), un outil de certification basé sur 130 indicateurs de fiabilité et qui conditionnerait la visibilité d’un média dans les moteurs de recherche et sur les médias sociaux, auprès des annonceurs mais aussi son éligibilité à recevoir des subventions ou des dons, peut-on lire sur le site de RSF.
La labellisation de la JTI a été intégrée en 2022 dans le Code de bonnes pratiques sur la désinformation de la Commission européenne. Elle y est définie comme « référence pour valoriser les sources d’information fiables et lutter contre la désinformation ». Le texte en question est l’un des codes de conduite préconisé par le Digital Services Act (DSA), le nouveau règlement encadrant les grandes plateformes numériques en Europe, appliqué depuis l’été 2023. Le DSA a permis ensuite l’élaboration plus vaste de l’European Media Freedom Act (EMFA) qui devrait s’appliquer à tous les médias européens, après avoir imposer une législation contraignante aux plateformes.
Une enquête publiée par Epoch Times expliquait que l’application à grande échelle d’une labellisation des médias, comme celle de l’entreprise américaine Newsguard, avait abouti à un maillage idéologique biaisé des médias. L’enquête a révélé que la start-up américaine donne des bonnes notes – c’est-à-dire de la visibilité sur les médias sociaux et les moteurs de recherche, l’accès aux annonceurs, etc. – aux médias se situant du côté de la doxa politico-médiatique de gauche ou progressiste, alors que des mauvaises notes sont données à des médias conservateurs et indépendants, même s’ils adhèrent à des normes journalistiques élevées.
Le cahier des charges de la JTI de RSF est d’ailleurs très proche du celui de NewsGuard, ce qui n’est pas étonnant quand on apprend que RSF collabore avec NewsGuard depuis le mois de mai 2023 pour labelliser les médias d’information en Ukraine.
Au final, un média devra montrer « patte planche » comme le disait Thibaut Bruttin, adjoint au directeur général de RSF, s’il ne veut pas être privé de sa visibilité et de sa liberté d’expression. Orwell l’avait prédit, la liberté des médias, ce sera la censure.
Un enjeu démocratique majeur
La liberté d’expression que nos lois protègent en France risque d’être balayée par cette loi européenne étiquetant les médias selon des normes données par des « analystes » de la JTI ou de NewsGuard utilisant la puissance algorithmique des moteurs de recherche et des médias sociaux pour les mettre en œuvre.
Considérée comme un des principes fondamentaux des régimes démocratiques, la liberté de la presse est menacée alors qu’elle inscrite dans de nombreux textes de loi français, dont l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi sur la liberté de la presse de 1881 et la loi relative à la liberté de communication de 1986.
« À chaque fois qu’une démocratie est instaurée, cela s’est accompagné d’un développement des médias. À l’inverse, les sociétés non démocratiques se caractérisent presque systématiquement par un contrôle, une restriction des médias » dit l’historienne Isabelle Veyrat-Masson.
La censure d’un média qui était aujourd’hui l’exception en France va devenir demain la règle si l’EMFA est promulgué. Pas d’échange contradictoire, pas de moyen de faire appel devant la justice, les médias seront sous un régime de censure et d’auto-censure et devront passer sous les fourches caudines d’un étiquetage idéologique et de la puissance algorithmique des plus grosses plateformes de médias sociaux et moteurs de recherches au monde – dont aucun n’est européen.
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