La convention citoyenne sur la fin de vie, qui a réuni depuis décembre 184 Français tirés au sort pour orienter l’action de l’exécutif sur le sujet, a conclu dimanche 2 avril ses débats, en confirmant sa position majoritaire pour légaliser l’aide active à mourir (AAM). The Epoch Times s’est entretenu avec Jean-Frédéric Poisson, président de VIA | La voie du peuple et docteur en philosophie, à l’occasion de la parution de son nouvel ouvrage Soins palliatifs, la vraie alternative à l’euthanasie – Personne ne doit mourir seul. Très engagé sur cet enjeu civilisationnel, l’homme politique appelle d’abord à garantir le droit à l’accès à des soins palliatifs de qualité plutôt que de légiférer sur l’euthanasie. Entretien.
Etienne Fauchaire : La majorité des membres qui composaient la convention citoyenne sur la fin de vie s’est prononcée en faveur de l’euthanasie et du suicide assisté, sous conditions. Que pensez-vous de cet avis ?
Jean-Frédéric Poisson : La convention citoyenne sur la fin de vie ne servait à rien : dans le journal La Croix du 24 septembre dernier, le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale déclarait que, quelles que fussent les conclusions de la Convention, de toute façon, on proposerait la légalisation de l’euthanasie. Le résultat était donc joué d’avance. Il a seulement fallu aménager une mise en scène, rodée d’ailleurs de manière assez médiocre, pour justifier que 184 personnes prises par la main et par l’esprit pendant plusieurs semaines, aboutissent presque naturellement à une conclusion préfabriquée. Sur la forme, on voit bien l’habituelle manipulation : la fabrication artificielle du consensus et le recours à des votes répétés si jamais les gens ne votent pas comme il le faut. On a commencé par expliquer qu’il y a un problème sur le traitement de la fin de vie en France — fait avéré — pour pousser à l’adoption de l’euthanasie.
Dans le Figaro, plusieurs membres de la Convention ont dénoncé des tentatives de manipulation et d’instrumentalisation, leur laissant penser à une volonté de changer la loi à tout prix. En revanche, dans le rapport final, il est écrit : « Nous avons travaillé sans pression extérieure, en toute indépendance, avec implication et application pendant les travaux et entre les sessions. » Cette affaire, qui a pourtant connu une importante retombée médiatique, n’est nulle part abordée dans le document. Que cela traduit-il selon vous ?
Cette Convention citoyenne sur la fin de vie est une mascarade et cette volonté de masquer ce problème en fait partie. Alors que l’orientation de cette convention était donnée à l’origine, vous ne pouvez pas prendre le risque d’aller dans le sens contraire d’une légalisation de l’euthanasie. Cela aurait fait désordre. De la même manière qu’il avait mis sous le tapis les 700.000 pétitions qui leur avaient été envoyées pour exiger un référendum sur le mariage pour tous, je crois qu’il existe chez le Conseil économique social et environnemental une volonté d’étouffer ce genre de problématiques. Quand les ambitions populaires sont contraires aux siennes, il agit en étouffoir dont la capacité à « gommer » est d’une puissance absolument sans égale.
Les partisans de l’euthanasie représentent-ils un groupe de pression puissant en France ?
L’Association pour le droit de mourir dans la dignité, qui perdure depuis 40 ans, constitue le principal lobby pro euthanasie en France et il est très puissant. Si cet organisme ne possède qu’assez peu d’adhérents, il fait beaucoup de bruit car il bénéficie d’une importante complaisance médiatique.
Selon vous, quel est l’état de l’opinion publique en France à propos de la légalisation de l’euthanasie ?
Trois quart des conventionnels se sont prononcés en faveur de l’ouverture à l’aide médicale à mourir. Je pense que ce chiffre correspond bien à l’état de l’opinion publique française d’aujourd’hui, à la réserve près qu’évidemment, si vous posez la question dans un sondage de la manière caricaturale suivante « Est-ce que vous seriez d’accord pour mourir dans des souffrances atroces, dans une solitude terrible, isolé de tout le monde, au fond d’un couloir sordide et dans un hôpital bien insalubre », tout le monde a envie de répondre non. Et si vous demandez ensuite au répondant s’il est prêt à abréger ses souffrances, la réponse est bien entendu positive. Pour autant, je rappelle qu’au moment des élections législatives de juin 2022, une enquête d’opinion avait cherché à savoir quels étaient les thèmes principaux à partir desquels les électeurs se décideraient. Sur 22 thèmes, l’euthanasie figurait en 22ᵉ position, avec un taux de 1 % d’incidence prioritaire pour les électeurs. Ce n’est donc une urgence pour personne. En revanche, si l’opinion publique est majoritairement favorable à la légalisation de l’AAM, c’est qu’il ne lui est pas présenté d’alternative.
Si je comprends bien, pour faire basculer l’opinion dans le sens contraire, vous estimez qu’il existe une bataille culturelle à mener afin de faire comprendre aux Français qu’une autre voie à l’euthanasie et au suicide assisté est possible ?
C’est tout à fait ça. Et c’est la raison pour laquelle j’ai écrit un ouvrage sur les soins palliatifs. Il faut noter que 800.000 soignants ont signalé leur opposition formelle à cette légalisation dans les colonnes du Figaro. Il s’agit de près des deux tiers du corps médical : ce n’est quand même pas rien.
Votre point de vue, et celui des opposants à l’ouverture de l’AAM, est donc de commencer par un renforcement de la qualité et la couverture de l’offre de soins palliatifs à destination de l’ensemble de la population.
Un quart des départements français ne disposent pas d’unités de soins palliatifs et il y a à peu près trois fois moins de lits que l’engagement de la loi ne le réclamerait. Alors qu’on est loin du compte, on s’apprête à introduire dans le droit français la transgression d’un interdit : celui de tuer. Quel est l’état du droit actuel ? Il indique qu’on ne peut laisser un malade, qui souffre tout seul et qui est perclus de douleurs, sans intervenir. La possibilité d’une sédation terminale profonde et continue est prévue : encore une fois, personne n’est laissé en vie dans un état de souffrance insoutenable. Le droit permet donc au corps médical d’intervenir pour soulager voire même endormir définitivement le patient de sorte que celui-ci puisse partir en douceur.
Quelle est donc la situation des personnes qui réclament l’euthanasie ? Ce ne sont pas des patients qui vont mourir, mais des personnes qui veulent mourir. Là réside la grande différence. Il y a une semaine, j’étais sur le plateau de Sud Radio dans l’émission d’André Bercoff. Une dame a appelé pour nous signaler qu’atteinte de la maladie de Parkinson, qui allait la paralyser, elle refusait de vivre ainsi et avait à ce titre fait une demande d’euthanasie en Suisse pour pouvoir partir quand elle le souhaiterait. Mais on ne meurt pas de la maladie de Parkinson… Aussi, la question qui se pose, c’est de savoir si nous pouvons collectivement offrir une qualité de vie digne et décente à quelqu’un incapable de se mouvoir en raison des conséquences de cette maladie. À cette question, la réponse est indubitablement oui, à supposer qu’on se dote des moyens humains et financiers adéquats. En revanche, entre cette voie et celle de l’euthanasie, le coût économique et l’engagement du corps social ne sont pas les mêmes. Une équipe de soins palliatifs au pied d’un patient demande entre sept et huit personnes en moyenne de spécialités différentes qui interviennent à des temps différents pour des motifs différents. Par contraste, débrancher une prise de courant pour mettre fin brutalement par l’euthanasie légale à la vie d’un patient intubé demande une minute trente dans la journée d’un professionnel de santé. Si une large partie de l’opinion publique est favorable à l’euthanasie, c’est parce que le corps social pense qu’en cas de problèmes de santé, la personne concernée sera priée de se démener seule. Si je comprends la réaction de ces personnes qui ne voient pas d’autres issues à leur situation que celle du suicide assisté, la responsabilité des pouvoirs publics n’est pas de répondre à ces demandes d’aide à mourir, mais bien, avant tout, de mettre en place les conditions qui empêcheront que ces requêtes ne soient formulées.
Les partisans de l’euthanasie au sein de la Convention citoyenne font valoir que l’ouverture de l’AAM est un gage de fraternité et de solidarité, écrivant dans leur rapport qu’ «elle a vocation à limiter les suicides et les traumatismes qui sont liés tant pour la personne que pour son entourage ». Que cela vous inspire-t-il ?
Il est contradictoire d’un côté de déployer des politiques de prévention du suicide en déplorant que la France soit le pays qui consomme le plus d’antidépresseurs au monde par habitant et qui comprend un niveau de suicides très élevé par rapport à sa population alors que, de l’autre, vous expliquez que le suicide, c’est formidable dès lors qu’il est pratiqué dans la sphère du monde médical. De la même manière, vous ne pouvez expliquer au personnel soignant que le matin, ils recevront une formation sur l’euthanasie et, l’après-midi, une formation aux soins palliatifs. C’est un raisonnement schizophrénique. Le rôle du système de santé est de soigner, pas de tuer. Cette neutralité de principe envers un certain nombre d’actes qui prennent leur qualification en fonction de la manière dont ils sont pratiqués est une philosophie morale très curieuse. Le suicide, s’il est commis dans votre salle à manger avec du gaz, c’est mal. Le suicide, s’il est commis dans le cadre d’une procédure médicale, c’est bien. Vous ne pouvez pas fonder une société sur une pareille conception de l’être humain et de son agir. C’est la raison pour laquelle je défends cette thèse qu’il y a dans les soins palliatifs la preuve la plus éclatante de la fraternité en acte au sein d’une société moderne, qui en a tant besoin. L’ingéniosité, la créativité, l’inventivité, le temps, la patience, l’humilité mise au service de quelqu’un qui n’a rien à vous donner et ne vous paye pas, qui, à part de la gratitude, ne vous offre aucune autre forme de rétribution, c’est quelque chose dont on devrait s’inspirer plutôt que de se baser sur un modèle qui favorise l’euthanasie.
Les partisans de l’euthanasie vous répondront qu’une légalisation de l’AAM s’accompagnerait de conditions d’accès, de mécanismes de contrôle et de garde-fous. Au Canada, où l’euthanasie est autorisée, un rapport parlementaire publié en février dernier évoquait une ouverture du suicide assisté aux mineurs sans que le consentement parental ne soit nécessaire, y compris pour des enfants avec des troubles mentaux. Si l’AAM est autorisée, craignez-vous que les conditions d’éligibilité ne finissent par faire l’objet d’une remise en cause jusqu’à ce que, progressivement, celle-ci finisse par être élargie à tous sans conditions ?
Évidemment qu’il faut craindre le pire. Les logiciens ont l’habitude de dire qu’il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée. Quand elle est entrebâillée, elle est ouverte : il n’y a donc plus qu’à pousser un peu pour qu’elle le soit complètement. Qu’est-ce qui me permet de vous répondre cela ? L’exemple canadien que vous venez de citer est tout à fait pertinent. Plus proche de nous, on peut regarder ce qui se passe en Belgique. Cette année, cela fait 20 ans que l’euthanasie a été légalisée dans ce pays. En 2003, on dénombrait 250 décès par euthanasie : aujourd’hui, on en recense 2500. Le chiffre a été multiplié par dix. C’est la première chose à noter. La deuxième, ce sont les dérives constatées, absolument terribles, de personnes qui réclament l’euthanasie en raison d’un mal-être, pouvant être parfaitement avéré, cela dit. Nous avons entendu parler du cas de cette jeune femme belge de 23 ans, Shanti De Corte, qui a décidé, l’année dernière, de mettre fin à ses jours par euthanasie, suite à un traumatisme causé par les attentats à l’aéroport de Bruxelles en 2016, dont elle a été victime. La seule réponse sociétale que nous devrions collectivement à apporter à cette personne pour remédier à sa souffrance psychique, c’est lui tendre la seringue ? Est-ce la société que nous souhaitons ? Se pose ensuite la question des personnes en situation de faiblesse – handicapés, détenus, vieillards dans les EHPAD. Même ceux qui ne sont pas près de mourir, pour peu qu’on leur fasse comprendre par des discours qu’ils ne servent à rien et qu’ils représentent, par exemple, une charge pour leur famille, va-t-on leur fournir le moyen de « partir tranquillement » ? En bref, une fois que vous avez compris l’idée selon laquelle cette loi est faite pour ceux qui veulent mourir et non pas pour ceux qui vont mourir – j’insiste sur cette différence –, on ouvre la porte à tous les motifs de justification d’une euthanasie.
Une demande d’euthanasie passerait par un processus d’évaluation du discernement du patient en cas de légalisation. Estimez-vous qu’il soit possible d’évaluer objectivement ce discernement ?
Les personnels soignants témoignent du fait qu’une demande d’aide à mourir est généralement en réalité une demande de soulagement ou d’accompagnement plutôt qu’une demande de mort. Autrement dit, je pense que fondamentalement, sauf rares exceptions, et il peut y en avoir – j’en accepte l’idée –, personne ne demande à mourir : on demande à arrêter de souffrir. Aussi, il ne s’agit pas de se demander si le discernement de celui ou celle qui demande à mourir est altérée ou diminuée, il s’agit de se demander comment les circonstances conduisent cette personne presque naturellement à prononcer cette demande, et comment il faudrait changer ces circonstances pour que cette demande cesse. C’est la question qu’il faut se poser. En d’autres termes, c’est bien plus la responsabilité de l’environnement qui est posée que la responsabilité du sujet lui-même. Quelle est le vrai état de liberté de celui ou celle qui considère qu’il va mourir paralysé ? C’est une excellente question à laquelle je n’ai pas de réponse. La seule chose que je sache, c’est qu’il convient de faire en sorte qu’à chaque fois que cette personne se projettera dans un état où sa mobilité serait infiniment réduite, elle pourra être rassurée sur le fait qu’elle pourra continuer de vivre en se sentant importante, en étant accompagnée, en sachant qu’elle pourra se déplacer malgré tout en voiture et monter les escaliers. Je préfère partir de la perspective d’aménager le monde pour que plus personne n’ait jamais besoin de se sentir soulagé à l’idée de pouvoir mettre fin à ses jours.
Emmanuel Macron a annoncé vouloir un projet de loi sur la fin de vie d’ici à la fin de l’été 2023. Comment comptez-vous influencer le débat ?
Nous allons aller à la rencontre des Français avec, sous le bras, l’ouvrage que je viens de publier, parce qu’il y a quelque chose d’emblématique dans cette pratique des soins palliatifs qu’il faut absolument faire connaître. Il faut fabriquer des défenseurs des soins palliatifs et aussi propager la parole des professionnels de santé opposés à la légalisation de l’AAM. Ils sont, eux, capables de convaincre l’opinion publique. 800.000, c’est beaucoup. Malheureusement, je me rends bien compte que nous sommes en train de perdre des esprits sensés, bons et éclairés, comme un certain nombre de vos confrères journalistes. Quand j’entends certains d’entre eux reprendre l’argument « Qu’est-ce que ça peut vous faire de légaliser l’euthanasie ? Ça ne vous enlève aucun droit ! », je me dis : « Quelle bêtise ! » Cela démontre une incompréhension totale de la portée symbolique de cette loi. Dans une loi, il existe toujours deux dimensions : le champ d’application de la loi, c’est-à-dire son objet. Puis il y a le symbole. Par exemple, en légiférant sur le contrat de travail, vous rappelez également à la nation ce que c’est qu’un contrat. Sur des questions qui touchent à la vie et à la mort, la symbolique du message est encore plus lourde, donc évidemment légiférer sur la transgression de l’interdit de tuer m’inquiète. Je vais donc faire campagne pour défendre mes convictions et faire comprendre à la population ce qui est en jeu.
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