Eve Vaguerlant : « Le monde du travail est impitoyable pour les femmes enceintes »

Par Julian Herrero
18 février 2025 16:56 Mis à jour: 19 février 2025 16:47

ENTRETIEN – Eve Vaguerlant est enseignante et auteure de plusieurs ouvrages, en dernier lieu L’effacement des mères (L’Artilleur, 2024). Elle analyse pour Epoch Times les causes de la dénatalité.

Epoch Times :  Eve Vaguerlant, selon le dernier bilan démographique de l’Insee publié en janvier, 663.000 bébés sont nés en France en 2024, soit -2,2 % par rapport à l’année précédente. L’indicateur conjoncturel de fécondité a atteint 1,62 enfant par femme la même année, contre 1,66 en 2023. Il est au plus bas depuis la fin de la Première Guerre mondiale. Comment expliquez-vous cette baisse inquiétante de la fécondité ?

Eve Vaguerlant : Il y a à la fois des facteurs idéologiques et pratiques qui sont défavorables à la maternité.

Sur la question idéologique, on a ce féminisme issu de Simone de Beauvoir, qui définit la maternité comme une contrainte, un enfermement de la femme dans sa condition biologique dont il faudrait qu’elle se libère. S’ajoute à cela, un rejet du mâle et de l’être masculin, nourrissant ainsi une guerre des sexes. Cette guerre des sexes, par définition, n’est pas favorable à la constitution de couples stables et a fortiori, à la maternité.

Je constate qu’aujourd’hui, les jeunes ont du mal à se rencontrer, à former des couples et le taux de divorces a explosé, ce qui est particulièrement néfaste pour les enfants : ils deviennent plus difficiles à élever et leurs résultats scolaires baissent.

Nous vivons également dans une époque de culte de l’avortement, véhiculé par l’idéologie féministe. C’est devenu une espèce de totem, comme nous avons pu le constater lors de sa constitutionnalisation. Il n’est pas autorisé de le critiquer ou de penser qu’il y a trop d’avortements.

Je note que la baisse de la natalité que vous évoquiez est concomitante avec un nombre record d’avortements : 243.000 en 2024.

L’avortement, rendu totalement libre et gratuit, a contribué à véhiculer l’idée que l’enfant est d’abord une contrainte à éviter. Il y a cette espèce d’angoisse de l’enfant qui viendrait alors qu’il n’a pas été désiré et qu’il faut absolument pouvoir l’éliminer.

Par ailleurs, aujourd’hui, le féminisme a trouvé un allié de taille : l’écologie, d’où le terme « écoféministe ». Cette écologie est très nihiliste et va propager une vision négative de l’homme. Selon ses adeptes, sa présence serait toxique pour la planète et il ne serait là que pour polluer et détruire la Nature. Ainsi, cette écologie affirme qu’il est mauvais pour la planète de faire des enfants.

Comme je le rappelle dans mon dernier ouvrage, ces idées sont assez anciennes. Françoise d’Eaubonne, la mère de l’écoféminisme, les a théorisées dans les années 1970-1980. Mais elles se sont imposées avec le temps et ont rencontré un certain succès auprès des jeunes.

Ainsi, vous avez, par exemple, aujourd’hui chez les jeunes, une mode de la stérilisation : la ligature des trompes pour les femmes, et la vasectomie pour les garçons. On va expliquer aux jeunes garçons que la vasectomie va aider leurs partenaires à se libérer de la contrainte, la charge contraceptive, comme on dit.

Ce discours écologique sert en réalité de prétexte à la jeunesse et masque un individualisme de plus en plus marqué : ils ne veulent plus s’encombrer d’enfants et assumer leurs responsabilités.

Pourriez-vous revenir sur les contraintes pratiques que vous évoquiez ?

Ces dernières sont très nombreuses, aujourd’hui. Il y a la question du travail pendant la grossesse, avec un monde du travail assez impitoyable pour les femmes enceintes. Il y a très peu d’adaptations prévues pour les femmes enceintes.

On veut des femmes qui soient au travail comme les hommes, or il y a très peu d’adaptations prévues quand elles sont enceintes, ou pour concilier travail et maternité. Pendant le confinement lié au Covid, certaines maternités ont enregistré une baisse importante du nombre de fausses-couches et de naissances prématurées, parce que les femmes enceintes avaient cessé le travail ; on n’a pas voulu prendre en compte ces données dans le débat public.

Ensuite, il y a les conditions d’accouchement qui se dégradent : on sait très bien que l’hôpital français est en péril et les maternités en particulier, au point que de plus en plus de femmes se retranchent vers l’accouchement à domicile, en dépit de ce que cela implique sur le plan sanitaire. La non-médicalisation présente des avantages, mais aussi des inconvénients. Par exemple, il n’y a pas la possibilité de faire une césarienne d’urgence ou d’avoir un service de réanimation à disposition, ce qui peut être particulièrement dangereux.

De plus, le congé maternité en France est ridicule par rapport à celui en vigueur chez nos voisins : il est de dix semaines. C’est extrêmement court. Ainsi, quand l’enfant est âgé de deux mois et demi, il faut le placer en crèche et reprendre le travail. C’est-à-dire que l’enfant doit être sevré, alors que l’OMS recommande jusqu’à six mois d’allaitement exclusif pour les enfants.

Sevrer son enfant au bout de deux mois et demi peut être très difficile pour certaines mères, ou alors il faut pouvoir financer ensuite un congé parental, mais ce dernier est très peu indemnisé en France. Par ailleurs, la prise en charge par la Sécurité sociale des soins liés à la grossesse n’est pas aussi importante que ce qui est fait pour la contraception, notamment l’avortement.

Pour ma part, lors de ma grossesse, j’ai pris un médicament contre les nausées, le Cariban, qui me coûtait 50 euros par mois. Il n’est pas remboursé.

Les deux premières échographies sont remboursées à 70 %, alors que dans le cas de l’avortement, on sait que c’est une prise en charge à 100 % de tous les examens, consultations, et analyses. Ce sont des signaux catastrophiques envoyés à la maternité.

Dans la matinale de Frontières en janvier, vous avez affirmé que « tout le système est fait pour favoriser la natalité [immigrée] et non la française ». C’est-à-dire ?

Depuis François Hollande, il n’y a plus d’universalité des allocations familiales. Elles sont désormais distribuées en fonction du revenu.

Les allocations deviennent de plus en plus importantes à mesure qu’on a un plus grand nombre d’enfants. Ce qui n’est pas justifié, puisqu’un troisième enfant ne coûte pas plus à ses parents qu’un premier ou un deuxième. Mais dans la réalité, elles deviennent importantes au moment de l’arrivée du troisième ou du quatrième enfant.

Or, rares sont les femmes françaises de la classe moyenne qui ont entre trois et quatre enfants. En revanche, c’est très souvent le cas des femmes issues de l’immigration. Ces dernières ont un peu plus du double du nombre d’enfants que les femmes françaises, voire plus.

Ce décalage s’explique en partie par le fait qu’elles ne sont pas intégrées culturellement. Elles vivent dans des schémas familiaux patriarcaux, et la plupart ne travaillent pas. Le taux d’activité des étrangères hors UE, en France, est d’environ 42 %, ce qui fait que leur taux d’inactivité est de plus de 50 % ! Elles vont donc capter un maximum d’allocations familiales.

La question du mode de garde est aussi importante : 30 % des enfants en France ne bénéficient pas de mode de garde. Et quand on se penche sur le système d’attribution des places en crèche publique, il y a des critères de revenus qui entrent en compte et les gens qui ne travaillent pas ont des places prioritaires. Ce qui est hallucinant, puisque quand vous travaillez, vous devez faire garder votre enfant.

Ce n’est jamais dit officiellement, mais on sait, quand on échange avec des directrices de crèche, qu’il y a des places attribuées en priorité aux personnes issues de l’immigration, afin que leurs enfants puissent évoluer dans un environnement francophone et n’accusent pas de retard en termes de niveau de français, quand ils arrivent à l’école maternelle. Cette problématique est particulièrement présente à Paris.

La ministre du Travail, Catherine Vautrin, a annoncé le 24 janvier, dans un entretien à l’Union, le lancement d’un « plan démographique 2050 ». « Un chantier qui s’occupe à la fois de l’infécondité et de l’enfance, de l’organisation des soins et de la santé, du travail ou encore du grand âge », a-t-elle expliqué. La ministre prévoit notamment de renforcer les contrôles dans les microcrèches. Qu’en pensez-vous ?

On sait qu’il y a eu un certain nombre de problèmes de traitement des enfants dans des crèches. Plusieurs scandales ont éclaté, envoyant ainsi un mauvais signal aux couples désirant des enfants.

Sur la question de l’infertilité, j’ai l’impression que le gouvernement noie le poisson. La fertilité masculine a beaucoup baissé. Il est vrai que la concentration en sperme a chuté. Mais je crois que le vrai problème réside dans le retardement de l’âge de la femme au moment où elle donne naissance à son premier enfant.

Par exemple, à Paris, la moyenne d’âge est de 31 ans, ce qui est tard puisque la fertilité d’une femme est optimale entre 20 et 25 ans. C’est donc à cette problématique qu’il faut s’attaquer.

Il y a tout un contexte de société à changer, notamment dans le cadre des études. Là-dessus, le gouvernement fait l’exact inverse de ce qu’il faudrait. J’ai entendu François Bayrou dire à propos de Parcoursup, que c’était beaucoup trop précoce d’orienter les gens immédiatement après le bac.

Il faut savoir que, jusqu’en 1991, il y avait un premier palier d’orientation vers des filières d’apprentissage professionnel à la fin de la cinquième. Ce dispositif a été supprimé et on a commencé à orienter vers ces filières seulement à partir de la troisième. Maintenant, Emmanuel Macron nous dit qu’à 18 ans, après le bac, il est encore trop tôt pour orienter les jeunes.

Mais augmenter la durée des études pour envoyer tous les jeunes à l’université ne rime à rien. Nous ne pouvons que le constater avec le taux d’échec en licence ou en master. Les jeunes devraient être réorientés vers des filières qui leur correspondent, afin qu’ils puissent s’insérer plus facilement dans le monde du travail, qu’ils aient une stabilité financière et in fine qu’ils puissent avoir des enfants.

On a également beaucoup fait croire aux femmes qu’elles allaient être en mesure de prolonger leur fertilité avec des congélations d’ovocytes, des PMA, etc., mais c’est une voie sans issue : cela échoue dans énormément de cas et augmente les risques de malformation du fœtus et donc d’avortement pour des raisons médicales.

Malheureusement, le gouvernement est aux abonnés absents sur ce sujet.

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