Un ancien censeur chinois d’Internet révèle avoir été interviewé pour le rôle de surveillance et de contrôle des vidéos postées par les utilisateurs internationaux de TikTok, une application de courtes vidéos chinoise prisée par des millions d’Occidentaux.
Liu Lipeng, qui a travaillé comme censeur en ligne en Chine pendant une décennie, a déclaré qu’il n’avait pas été retenu pour ce poste en 2018 après avoir suggéré dans l’interview que TikTok ne devrait pas trop censurer le contenu, car les Américains tiennent à la liberté d’expression.
Estimé à 86,5 milliards € en mai, le géant du numérique basé à Pékin, ByteDance Technology Co., société mère de TikTok, est « la plus grande et la plus terrifiante machine de censure » que M. Liu dit n’avoir jamais vue.
Sous le feu des critiques, pas surprenant que les affirmations de l’ancien censeur coïncident avec les préoccupations croissantes du public concernant les liens de TikTok avec le régime chinois, et surviennent alors que l’administration Trump envisage d’interdire l’application en raison de risques pour la sécurité nationale.
Tirant la sonnette d’alarme, des fonctionnaires et des experts américains indiquent que l’application pourrait être utilisée dans le but d’espionner et de censurer les utilisateurs américains. La société a nié ces affirmations.
Liu Lipeng, originaire de la ville de Tianjin, dans le nord de la Chine, a construit sa carrière en tant que « réviseur de contenu » pour des applications médiatiques chinoises populaires, Weibo, une plateforme de type Twitter, et Leshi, similaire à YouTube. En Chine, toutes les entreprises de médias sociaux doivent se conformer aux règles strictes de censure du régime et utiliser des algorithmes et des censeurs humains pour surveiller et effacer les messages jugés sensibles par le Parti communiste chinois.
Mais Liu Lipeng n’a pas seulement été chargé de surveiller le contenu de l’Internet chinois, entouré par la Grande Muraille. L’ancien censeur a déclaré avoir été interviewé par ByteDance le 18 octobre 2018, pour un poste de gestionnaire de contenu qui examinerait les discours à l’étranger sur TikTok. Le rôle consistait à examiner des « vidéos mondialisées » tel que l’avis de recrutement.
Parallèle à TikTok, ByteDance gère une version chinoise de l’application nommée Douyin, qui partage les données de ses utilisateurs avec le gouvernement chinois.
Depuis mars, Liu Lipeng habitait aux États-Unis avec sa famille. Il a décrit l’expérience de son entretien comme étant de l’ordre « ridicule ». La société a pris des mesures extrêmes pour garantir le secret, ce qui l’a déconcerté à l’époque.
L’interview a eu lieu dans le Bureau de ByteDance à Tianjin. Un membre du personnel de ByteDance attendait M. Liu à son arrivée et l’a « emmené tourner en rond » à l’intérieur du bâtiment. L’employé lui a également demandé de ne pas regarder autour de lui.
« On aurait pu tout autant me couvrir les yeux d’une couverture noire », a-t-il rappelé au journal d’Epoch Times. « J’avais l’impression de visiter la tanière d’un baron de la drogue. » Il ne pouvait ni tourner la tête, ni regarder les box de travail, a-t-il raconté.
« Je ne pourrais pas le trouver [le bureau de Bytedance] si je m’y rends aujourd’hui », a-t-il affirmé, ajoutant qu’il y avait des caméras de surveillance qui surveillaient les travailleurs pour s’assurer qu’ils ne prélevaient pas de matériel sur le site. Il a estimé que le Bureau de ByteDance abritait au moins 4 000 employés à l’époque, dont une partie travaillait sur TikTok.
Le niveau de secret l’a laissé perplexe, jusqu’à ce qu’il réalise le but du rôle pour lequel il était interviewé.
« Ils censurent directement le discours des Américains », a-t-il réitéré. L’équipe de ByteDance « a vécu plus d’une décennie d’endoctrinement politique du Parti communiste chinois [PCC] […] des gens qui sont effrayés par le PCC et vivent dans la peur ».
Lors de l’entretien d’embauche, Liu Lipeng a exprimé une vision différente du rôle pour lequel il postulait. Ayant déjà vécu à l’étranger pendant plusieurs années, M. Liu a déclaré à l’interviewer : « Je comprends mieux à quel point les Américains se soucient de la liberté d’expression, et par conséquent nous ne devrions pas surréglementer. »
Selon l’ancien censeur, Liu Lipeng a finalement été rejeté pour ce poste en raison de ses opinions.
ByteDance l’a approché pour un autre poste après son arrivée aux États-Unis au début de l’année, qu’il a refusé.
TikTok n’a pas répondu à une demande de commentaires. L’application a déjà déclaré qu’elle n’utilisait pas de modérateurs chinois pour gérer le contenu de TikTok. En mars, elle a lancé un centre de transparence à Los Angeles pour permettre à des experts extérieurs de surveiller la façon dont les équipes de TikTok s’y prennent pour modérer le contenu.
Le fait d’être aux États-Unis signifie que Liu Lipeng doit défendre les intérêts américains et qu’il n’y a pas de retour en arrière, a-t-il fait savoir.
Selon M. Liu, l’appareil de censure du PCC a pris de l’ampleur et est devenu plus restrictif au cours de la dernière décennie.
« Nous faisons le travail le plus vil qui puisse être, sous le guêt des forces de l’ordre, une arme dans le dos. »
L’adhésion au Parti n’était pas obligatoire lorsqu’il est entré dans le métier, et l’embauche se faisait de manière furtive, a-t-il dit. De nos jours, le recrutement se fait au grand jour, alors que l’une des principales qualifications est d’avoir une forte « conscience politique ». M. Liu a noté que les publications qui soutiennent l’idéologie du PCC, comme celles qui promeuvent le patriotisme et le socialisme, par exemple, sont destinées à rester sur la plate-forme.
Les recruteurs ciblent également les diplômés de l’enseignement supérieur dont la vision du monde a été façonnée par des années de lavage de cerveau par le régime communiste chinois, selon M. Liu. Cette nouvelle génération de recrues a tendance à sur-censurer avec zèle, et doit même être formée sur « comment ne pas effacer sans réfléchir ».
Censure
Ce n’est pas la première fois que TikTok fait l’objet d’une enquête pour avoir imposé une censure à la Pékin aux utilisateurs étrangers.
Epoch Times a récemment rapporté que l’appli avait fermé le compte d’un étudiant chinois du New Jersey après qu’il a posté une vidéo parodiant l’hymne national chinois.
En décembre dernier, TikTok a été critiqué pour avoir suspendu le compte d’un adolescent américain qui avait publié une vidéo critiquant la répression par Pékin des musulmans ouïgours dans la région du Xinjiang, à l’extrême ouest de la Chine.
En septembre 2019, The Guardian a rapporté que TikTok avait demandé à ses modérateurs de censurer certaines vidéos mentionnant des sujets considérés comme tabous par le régime chinois, tels le massacre de la place Tian’anmen et le Falun Gong, une pratique spirituelle sévèrement persécutée en Chine depuis 1999.
L’article était basé sur des documents ayant fait l’objet d’une fuite, lesquels détaillaient les directives de modération de l’appli. Dans sa réponse, TikTok affirmait que ces politiques ont été remplacées en mai 2019 et ne sont plus utilisées.
Sous la loupe d’un comité d’examen américain, ByteDance s’est porté acquéreur de l’application Musical.ly – qui a été revendue à TikTok – en 2017, pour près d’un milliard de $. Le comité examine si la transaction soulève des risques pour la sécurité nationale.
L’année dernière, le Pentagone a ordonné au personnel militaire américain de supprimer TikTok de leurs téléphones de travail. Wells Fargo a récemment suivi le mouvement, tandis que les comités nationaux démocrate et républicain ont mis en garde leur personnel contre l’utilisation de l’application.
À la suite de la récente décision de l’Inde d’interdire TikTok et 58 autres applications chinoises, l’administration Trump a confirmé qu’elle envisageait également une mesure similaire. Le chef de cabinet de la Maison-Blanche, Mark Meadows, a précisé le 15 juillet qu’un certain nombre de responsables de l’administration « examinaient le risque pour la sécurité nationale en ce qui concerne TikTok, WeChat et d’autres applications ».
« Je ne pense pas qu’il y ait une date limite pour agir, mais je pense que nous avons des semaines, pas des mois », a soumis M. Meadows.
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