En mars, la Food and Drug Administration (FDA) a publié un projet révisé de lignes directrices visant à aider les laboratoires pharmaceutiques à développer des médicaments pour traiter les cas de maladie d’Alzheimer précoce qui « surviennent avant l’apparition d’une démence manifeste ».
L’une des théories sur la maladie d’Alzheimer est que la pathologie amyloïde peut survenir des décennies avant l’apparition des symptômes et que, pour arrêter la maladie, les médecins pourraient devoir s’attaquer à cette pathologie sous-jacente bien avant que cela ne se produise. Certains affirment que cela reviendrait à étiqueter des personnes comme étant atteintes d’une maladie qu’elles ne développeront peut-être jamais ; d’autres affirment que c’est le seul moyen d’arrêter la maladie chez ceux qui finiront par l’avoir.
Traiter la démence comme une maladie cardiaque
Rudolph E. Tanzi, docteur en neurologie, professeur de neurologie à la Harvard Medical School et directeur de l’unité de recherche sur la génétique et le vieillissement, a déclaré que pour stopper la démence et la maladie d’Alzheimer, les médecins doivent les traiter de la même manière qu’ils traitent actuellement les maladies cardiaques.
« Tout comme nous surveillons notre taux de cholestérol, modifions notre mode de vie et prenons des médicaments sûrs pour abaisser notre taux de cholestérol afin d’éviter les maladies cardiaques, nous devrons faire de même pour la maladie d’Alzheimer », a déclaré le Pr Tanzi à Epoch Times.
L’American Heart Association (Association américaine du cœur) indique que les décès dus aux maladies cardiaques ont diminué de 60 % depuis 1950 et que le nombre de personnes qui meurent chaque année d’une crise cardiaque aux États-Unis est passé d’une sur deux dans les années 1950 à une sur 8,5 aujourd’hui. Selon le Pr Tanzi, cela s’explique par le fait que les médecins traitent désormais leurs patients de manière proactive contre une maladie qui, autrement, pourrait les tuer de nombreuses années plus tard.
En tant que généticien ayant codécouvert trois des premiers gènes de la maladie d’Alzheimer, le Pr Tanzi a reproduit les cascades de changements cellulaires de la maladie d’Alzheimer dans une boîte de Pétri afin que les scientifiques puissent effectuer des tests au fur et à mesure de l’évolution de la maladie et tester l’efficacité des médicaments. Selon lui, le problème actuel est que les médecins ne diagnostiquent la maladie d’Alzheimer que lorsque le cerveau s’est déjà détérioré au point de devenir dysfonctionnel. Les patients « ont besoin de médicaments sûrs et abordables pour intervenir sur les dépôts amyloïdes le plus tôt possible », a-t-il ajouté.
Selon le Pr Tanzi, bien que le guide conseille à juste titre de traiter les patients atteints de la maladie d’Alzheimer à un stade précoce, les scientifiques devront un jour prévenir l’accumulation de dépôts anormaux d’amyloïde dès qu’ils apparaissent dans le cerveau, avant que des dommages ne se produisent.
« Cela serait particulièrement important pour les personnes présentant des mutations génétiques familiales de la maladie d’Alzheimer à début précoce, les personnes atteintes du syndrome de Down et les porteurs de la variante epsilon de l’APOE qui augmente le risque de maladie d’Alzheimer, lorsque l’on sait que le dépôt d’amyloïde est garanti ou très probable dès le début de la vie », a ajouté le Pr Tanzi.
La positivité de l’amyloïde suffit-elle à redéfinir la maladie d’Alzheimer ?
Le Dr Eric Widera, professeur de médecine clinique à la division de gériatrie de l’université de Californie-San Fransisco, estime qu’il n’existe pas encore de preuve solide que les médicaments, même s’ils réduisent la quantité d’amyloïde, diminueront le risque de démence à l’avenir. Il s’interroge également sur les risques de certains médicaments aux effets secondaires graves, tels que les hémorragies cérébrales et la mort.
Il existe une tendance à redéfinir la maladie d’Alzheimer sur la base d’un test positif à l’amyloïde, « indépendamment du fait qu’une personne présente des symptômes de déficience cognitive ou qu’elle en développera à l’avenir », a déclaré le Dr Widera.
Il a expliqué que si les scientifiques ont « des preuves assez solides que chez les personnes souffrant de troubles cognitifs légers et de démence légère », deux médicaments, le donanemab et le lecanemab, « ont une capacité exceptionnelle à éliminer l’amyloïde ». Cependant, il affirme que cette capacité n’a qu’un « effet subtil » sur le taux de déclin de la cognition.
« Il s’agit d’une preuve assez claire qui suggère que l’amyloïde n’est probablement pas le seul facteur qui contribue à la progression de la maladie d’Alzheimer et que nous avons encore beaucoup à apprendre sur la façon d’arrêter ou d’inverser la maladie », a-t-il déclaré.
Les changements proposés auront des effets « loin d’être subtils » et seront commercialisés comme « une nouvelle épidémie d’Alzheimer », a déclaré le Dr Widera.
On estime que 6 millions d’Américains âgés de 65 ans et plus vivent avec la maladie d’Alzheimer et la démence, la majorité d’entre eux ayant plus de 75 ans. En France, plus de 1 million de personnes en sont atteintes. « Les changements proposés transformeront ce qui est une maladie redoutée mais loin d’être universelle, la démence d’Alzheimer, en une maladie largement silencieuse et asymptomatique affectant une population beaucoup plus large, car la plupart des personnes présentant des biomarqueurs amyloïdes positifs n’ont pas de problèmes cognitifs », a écrit le Dr Widera dans son commentaire, publié en février dans le Journal of the American Geriatrics Society.
Que peut-on faire ?
Pour sa part, le Pr Tanzi reconnaît qu’il reste encore beaucoup à faire. « Nous aurons besoin de tests sanguins qui nous indiqueront non seulement quand l’amyloïde fait déjà des dégâts dans le cerveau, mais aussi quand il faut traiter pour empêcher le dépôt d’amyloïde dans le cerveau. »
Selon le Pr Tanzi, la maladie d’Alzheimer ne peut être « vaincue » que si elle est détectée à un stade précoce, sur la base des antécédents familiaux et de la génétique, détectée à un stade précoce, sur la base de biomarqueurs sanguins et de l’imagerie, et si elle fait l’objet d’une intervention précoce, à l’aide de médicaments sûrs et abordables.
« Les médicaments approuvés contre l’amyloïde, comme Leqembi [lecanemab], ne sont pas approuvés pour la prévention, mais seulement pour le traitement des cas les plus légers de la maladie d’Alzheimer. C’est une bonne chose, mais c’est encore trop tard. » Il a ajouté que le lécanemab « est trop coûteux, y compris les IRM nécessaires pour détecter les gonflements et les hémorragies cérébrales ».
Il a indiqué que c’était l’un des objectifs du McCance Center for Brain Health (Centre McCance pour la santé du cerveau, hôpital général du Massachusetts), où il collecte actuellement des fonds pour une initiative d’essai clinique sur la maladie d’Alzheimer visant à tester des combinaisons de médicaments et de produits naturels sûrs et abordables pour réduire les niveaux d’amyloïde dans le cerveau, en tant qu’alternative plus sûre et plus abordable à l’immunothérapie de l’amyloïde comme le lecanemab.
« L’espoir est que des combinaisons de médicaments réaffectés sûrs et abordables puissent un jour être utilisées chez des dizaines de millions de personnes pour prévenir la maladie d’Alzheimer », a-t-il ajouté.
Quel sera l’effet de la directive ?
En tant que projet, le document « servira de point de référence pour la poursuite des discussions » sur le traitement des formes précoces de la maladie d’Alzheimer, comme l’indique le projet. Cependant, une fois finalisé, le document « représentera la pensée actuelle de la FDA concernant la sélection des sujets atteints de la maladie d’Alzheimer à un stade précoce pour le recrutement dans les essais cliniques et la sélection des critères d’évaluation pour les essais cliniques dans cette population ».
Dans les lignes directrices qu’elle propose, la FDA se concentre davantage sur l’amyloïde. Elle considère que la réduction de l’amyloïde dans le cerveau, détectée par tomographie par émission de positons (TEP), est un critère de substitution « raisonnablement susceptible de prédire un bénéfice clinique » et que les essais cliniques montrant un effet sur ce critère de substitution peuvent servir de base à une approbation accélérée, y compris pour les médicaments destinés à traiter la maladie d’Alzheimer.
Selon Fierce Biotech, une société américaine qui s’intéresse à l’industrie biotechnologique, la FDA ne va pas jusqu’à dire que la réduction de l’amyloïde peut être considérée comme un critère d’évaluation primaire – le principal résultat mesuré à la fin d’une étude pour déterminer si un traitement donné a fonctionné – dans les essais sur la maladie d’Alzheimer. Toutefois, l’agence suggère que ce biomarqueur peut servir de critère de substitution, c’est-à-dire d’indicateur permettant de savoir si un traitement est efficace, afin de prédire les bénéfices cliniques.
Les chercheurs spécialisés dans la maladie d’Alzheimer utilisent actuellement des mesures cognitives et fonctionnelles comme critères d’évaluation secondaires, ce qui se traduit par une durée moyenne des essais cliniques de deux ans ou moins aux stades symptomatiques de la maladie. Mais il pourrait falloir plus de temps pour établir des effets de traitement cliniquement significatifs chez les patients atteints d’une forme précoce de la maladie d’Alzheimer, en raison des déficits cognitifs et fonctionnels limités ou inexistants observés à un stade précoce de la maladie. En outre, les outils souvent utilisés pour mesurer la déficience fonctionnelle chez les patients aux stades avancés de la maladie d’Alzheimer peuvent ne pas être en mesure d’identifier les changements subtils dans les stades précoces de la maladie.
Pour ces raisons, la FDA envisage d’autres approches, notamment des critères d’évaluation basés sur des évaluations cognitives ou des critères de substitution, qui pourraient permettre des durées d’essai plus courtes aux premiers stades de la maladie, a rapporté Fierce Biotech.
Possibilité de surdiagnostic
Dans un projet de document publié en octobre 2023, le groupe de travail de l’Association Alzheimer a suggéré d’élargir les critères de diagnostic de la maladie d’Alzheimer et de fonder le diagnostic sur des biomarqueurs de base tels que l’amyloïde plutôt que sur des syndromes cliniques.
L’American Geriatrics Society (AGS) “Société américaine de gériatrie”, a commenté l’élargissement des critères, s’inquiétant du fait qu’il « exposerait de nombreuses personnes âgées et multimorbides au risque de surdiagnostic, ce qui pourrait conduire à l’instauration de traitements dont le bénéfice clinique n’est pas encore prouvé, en particulier dans une population asymptomatique, et qui présentent un risque élevé d’effets néfastes ».
Selon l’AGS, le document n’accorde pas suffisamment d’attention à l’impact potentiel d’un diagnostic d’Alzheimer sur l’identité du patient ou aux conséquences sociales et fiscales.
« La réalité est que de nombreuses personnes porteuses de biomarqueurs ne développent jamais de troubles cognitifs […] et que la plupart des personnes diagnostiquées avec une démence mourront avec, et non pas de la démence », a écrit l’AGS.
« À ce stade, une personne de 50 ans en bonne santé cognitive aurait une chance sur dix d’être testée positive à l’amyloïde et de porter un diagnostic de maladie d’Alzheimer dans son dossier médical », a écrit l’organisation.
L’AGS ajoute que cela « détourne l’attention de l’objectif plus large qui est d’assurer des soins de santé de haute qualité aux personnes qui souffrent déjà de troubles cognitifs ou de démence ».
Citant « l’influence potentielle des liens financiers entre les principales parties prenantes qui prennent des décisions sur les définitions et les seuils de diagnostic », l’AGS a déclaré que la transparence était essentielle et que tout conflit d’intérêts devait être divulgué.
Epoch Times a contacté la FDA et le groupe de travail de l’Association Alzheimer, mais n’a pas reçu de réponse.
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