La mort naturelle est difficile à prévoir, même pour les soignants qui la côtoient au quotidien. C’est ce dont témoigne Françoise Le Louër, infirmière pendant 40 ans au centre hospitalier de Gonesse (Val-d’Oise). Et si finalement nous avions le choix jusqu’au bout d’attendre une visite particulière ou bien de décéder seul ?
« Même si on a des signes qui nous disent que c’est la fin, on ne peut pas arriver à contrôler, c’est vraiment la personne qui contrôle ce qu’elle veut faire, quand elle veut partir », assure Mme Le Louër lors d’une entrevue accordée à Epoch Times à Port-Louis (Morbihan), où elle s’est installée pour sa retraite.
Au cours de sa carrière tout comme dans sa vie personnelle, cette ancienne infirmière fascinée par le sujet de la mort a été témoin d’une multitude d’exemples qui lui permettent d’affirmer cela.
Pendant 40 ans, elle a travaillé dans différents services de l’hôpital de Gonesse, des hospices à la rhumato-cardiologie en passant par la psychiatrie, avant de devenir cadre de nuit, gérant tous les services de l’hôpital où on l’appelait dès qu’il y avait quelque-chose de spécial. « Cela m’a fait naviguer entre les urgences, la cardio, la psychiatrie, la maternité, la médecine, la chirurgie, de découvrir beaucoup de choses et d’entendre beaucoup de choses », résume-t-elle.
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« On se demande où elle est allée chercher cette force »
L’un des événements parmi les plus marquants de sa carrière a été la fin de vie de la mère d’une de ses collègues. La patiente était hospitalisée en réanimation cardiaque de l’hôpital où les deux femmes travaillaient. L’état de santé de la mère de famille s’est soudainement aggravé et la famille a été appelée pour être prévenue que la fin était imminente.
La plupart des enfants vivaient en région parisienne et ont pu être rapidement sur place, mais l’une des sœurs habitait à Montpellier. Elle a dû prendre un vol en urgence. Cependant, Mme Le Louër et ses collègues voyaient bien que le dernier souffle de la mourante était imminent.
Elle avait commencé à avoir une respiration intermittente, un phénomène dont la soignante a souvent été témoin : « On le sent à la façon de respirer, puis ça s’arrête. On a l’impression que ça ne va pas repartir, puis ça repart. La personne va chercher suffisamment d’énergie au fond d’elle-même pour reprendre un petit souffle, pour attendre », décrit l’ancienne infirmière.
Pendant ce temps, les enfants de la mourante lui tenaient la main et l’informaient de l’arrivée de sa fille de Montpellier : elle était en train de monter dans l’avion, son vol atterrissait à Roissy, l’un d’eux allait la chercher. Ils l’encourageaient à tenir jusqu’à l’arrivée de leur sœur. Par chance, l’aéroport de Roissy est situé tout près de l’hôpital de Gonesse, un trajet d’environ 25 minutes en voiture.
Personne ne croyait que la dame vivrait jusqu’au moment où sa fille allait arriver. « Ce qui a été étonnant, c’est qu’elle a tenu. La porte, s’est ouverte. La fille a dit : ‘Maman, je suis là’. On a vu le regard se tourner vers la porte, un sourire et c’était terminé », se souvient celle qui a assisté à la scène.
« On se demande où elle est allée chercher cette force parce qu’elle a pu tourner la tête, ouvrir un œil, sourire et c’est là que sa respiration s’est arrêtée », commente la retraitée. « Elle n’a même pas pu tenir jusqu’à ce que sa fille aille jusqu’à son lit. » Cependant, cette fille a eu la chance de voir le sourire de sa mère une dernière fois à son arrivée.
« Ce sont de belles choses », remarque celle qui a constaté ce genre de phénomènes très souvent au cours de sa carrière. « Des gens qui attendent, qui attendent, qui attendent, qui attendent… »
« Il y en a qui ne veulent pas mourir devant les autres »
Ce genre de cas où la personne attend une visite particulière arrive régulièrement, défiant tous les pronostics. Dans d’autres circonstances, c’est l’inverse qui se produit. La personne mourante est très bien accompagnée par des proches tout au long du processus, mais elle décide de partir au moment où elle se trouve toute seule dans la pièce.
« Il y en a qui veulent, qui attendent au dernier moment de voir tout le monde. Une fois qu’on a vu tout le monde, on s’en va », explique Mme Le Louër. « Puis il y en a qui ne veulent pas mourir devant les autres, qui ne veulent pas se dire au revoir. Ou bien ils l’ont dit et ils ne veulent peut être pas imposer ça à la famille. C’est étonnant. »
« Face à la mort à l’hôpital, nous les soignants avons souvent été surpris, puis déconcertés », se rappelle la retraitée. Ainsi, dans certains cas, le personnel conseillait à la famille qui était restée toute la journée sur place d’aller se reposer, l’état du mourant paraissant stable. Une demi-heure plus tard, il fallait les rappeler parce que la personne était décédée.
Dans d’autres cas, les soignants suggéraient à la famille de rester parce que la fin approchait. Pourtant, deux jours plus tard, la personne était toujours en vie.
« Je me souviens d’une famille qui se relayait parce qu’on leur avait dit que c’était la fin. Ils restaient, certains repartaient une demi-heure, une heure et revenaient. À un moment, tout le monde est parti », raconte Françoise Le Louër. C’est à ce moment précis que le proche est décédé.
« Elle a attendu que je tourne le dos pour arrêter de respirer »
C’est ce qui s’est également produit pour la propre mère de Françoise Le Louër, en 2017. La mère de l’ancienne infirmière avait été transférée dans un plus gros hôpital et on l’avait prévenue qu’elle n’allait pas bien. À son arrivée, le médecin lui a demandé ce qu’il devait faire, s’il devait s’acharner pour qu’elle vive. « J’ai dit non. Maman était dans un mauvais état », se souvient la retraitée. Elle a demandé qu’on la laisse partir tranquillement.
Mme Le Louër a appelé son fils, celui-ci a pu parler au téléphone à sa grand-mère. Il lui disait de tenir bon et qu’il allait pouvoir venir la voir quinze jours plus tard. Après avoir passé un moment avec sa mère, la retraitée lui a dit qu’elle devait partir pendant environ 45 minutes pour aller récupérer sa petite fille de 10 ans et la laisser chez la voisine le temps que sa fille rentre du travail.
« Elle m’a souri. Je lui ai dit ‘surtout, je reviens et je reste avec toi », raconte-t-elle. « Je n’avais pas quitté l’hôpital que l’interne m’appelait pour me dire : ‘Ça y est, c’est terminé’. » La mourante avait vu sa petite fille la veille, elle avait parlé à son petit-fils, « mais elle a attendu que je tourne le dos pour arrêter de respirer ».
« Ça, il en est hors de question ! »
Une autre fois, cela s’est pourtant passé tout différemment pour la mère de Mme Le Louër. « En mars 2012, elle avait été très, très mal et elle s’était trouvée dans le service de réanimation à l’hôpital de Gonesse », se souvient la soignante. Les médecins lui ont demandé de sortir pour les soins, mais ils l’ont prévenue qu’ils pensaient que c’était terminé.
Ils lui ont ensuite raconté qu’ils étaient en train de discuter près de la mourante, disant que lorsque Françoise Le Louër reviendrait, ils allaient lui demander s’ils devaient débrancher sa mère. « Et d’un seul coup, elle a ouvert les yeux et elle a dit : ‘Ça, il en est hors de question ! J’ai deux arrières-petites-filles et je ne leur ai pas dit au revoir' ».
Les médecins étaient stupéfaits, ils ont même eu peur. Toutefois, ce sursaut a permis à la mère de Mme Le Louër de reprendre vie. « Elle est repartie pour quatre ans », remarque celle qui aime travailler sur la mort et l’au-delà.
De manière générale, « on voit ceux qui luttent, ceux qui ne luttent pas. Il y a ceux qui luttent pour une raison et ceux qui ne luttent pas pour d’autres raisons », résume l’ancienne infirmière qui a vécu encore bien d’autres choses étonnantes et extraordinaires tout au long de sa carrière. « Même quand on pense qu’on ne vous entend plus et qu’on ne vous voit plus, on a le contrôle jusqu’au bout. C’est vraiment la personne qui décide. »
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