ANALYSES

Forêt urbaine à Paris : « Faire du chiffre […] et les laisser mourir »

janvier 22, 2025 6:37, Last Updated: janvier 22, 2025 9:51
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Une « forêt urbaine », la troisième du genre à Paris, a commencé à être plantée sur le parvis de l’Hôtel de Ville où une centaine d’arbres élevés en pépinière devraient éclore au printemps et participer à la promesse d’Anne Hidalgo de végétaliser la ville.

L’espace disponible pour la pleine terre, un peu moins de 1.000 mètres carrés, « est contraint par le réseau souterrain du métro et du parking » en dessous, a détaillé Amélie Astruc, cheffe de division à la direction des espaces verts de la ville, questionnant de la viabilité de ces arbres sur le long terme et de leur réseau racinaire.

L’opposition et certaines associations de défense de l’environnement critiquent cette politique de végétalisation de la ville, davantage animée par une politique du chiffre plutôt qu’une volonté de préserver et faire grandir une flore durable. Pour preuve, des plants de 50 cm plantés l’un à côté de l’autre près du périphérique, alors que des arbres en pleine maturité mais mal entretenus, sont coupés sans ménagement en pleine ville.

Une « forêt urbaine » à 6 millions d’euros

Entre 25 % et 30 % de la surface de la place de l’Hôtel de Ville est en passe d’être végétalisée, avec une cinquantaine d’arbres plantés près des fontaines de part et d’autre du parvis – conservées d’après le projet initial de la mairie, pour un coût de 6 millions d’euros.

« Ce nouveau paysage garantira les vues historiques notamment sur Notre-Dame de Paris » de l’autre côté de la Seine, a assuré Anne Hidalgo lors de la visite du chantier, laissant envisager l’émergence d’une « forêt » en pleine ville.

Les arbres, élevés en pépinière et transplantés, sont déjà matures, les plus grands mesurant une dizaine de mètres, a-t-elle précisé, ajoutant que les essences choisies (charmes, chênes chevelus, féviers d’Amérique…) étaient « résistantes au milieu urbain ».

« À l’ombre des arbres, on peut espérer un rafraîchissement local de 4 degrés en période de forte chaleur », ce qui correspond à la baisse mesurée cet été sur la place de Catalogne (sud), première « forêt urbaine » parisienne, qui ne pourra jamais devenir un écosystème mais plutôt un petit parc sur un rond-point, entouré de circulation et de peu de promeneurs.

Des travaux de végétalisation sont également en cours place du Colonel Fabien (nord-est) où se trouve le siège du parti communiste et à la Porte Maillot (nord-ouest).

Quelque 120 rues devraient également être végétalisées cet hiver dans la capitale, c’est-à-dire des parterres de plantes clairsemées, comme récemment sur la rue Mouffetard, la municipalité voulant consulter les Parisiens le 23 mars sur la généralisation de ce type de voie.

Déjà deux « forêts urbaines »

La maire de Paris Anne Hidalgo avait inauguré en septembre le Bois de Charonne, deuxième « forêt urbaine » de la capitale. Situé dans le XXe arrondissement aux abords de la Petite Ceinture, ancienne ligne de chemin de fer parisienne, ce nouveau parc comprend près de 3,5 hectares dédiés à la promenade. « Un investissement pour la Ville de Paris de l’ordre de 15 millions d’euros », détaille Christophe Najdovski, adjoint en charge de la végétalisation de l’espace public.

En juin, c’était près de la gare Montparnasse que la maire de Paris Anne Hidalgo avait inauguré la première « forêt urbaine » de la capitale. Sur la place de la Catalogne, aménagée dans les années 1980 par l’architecte Ricardo Bofill, des rangées de chênes, merisiers, charmes – 470 selon la mairie – et de fougères ont remplacé un rond-point automobile, formé autour d’une fontaine en forme de dalle. Lancé début 2023, l’aménagement, qui a coûté près de 10 millions d’euros.

Avant sa réélection en 2020, l’élue socialiste avait promis de créer quatre « forêts urbaines » dans la capitale. Les projets de l’Opéra Garnier et de la gare de Lyon ont été depuis abandonnés, remplacés par ceux de la place du Colonel Fabien et de Charonne.

La promesse de planter 170.000 arbres

Selon la maire de Paris, « l’objectif » de planter 170.000 arbres dans la capitale au cours de sa mandature est « en passe d’être atteint », assurant que 113.000 arbres ont été plantés depuis 2020.

En 2023, la mairie de Paris s’est félicitée d’un total de 63.000 « arbres » plantés à mi-mandat, « plus du tiers de cet objectif aura été atteint ». La majorité des arbres plantés l’ont été dans les bois et sur les talus du périphérique. Sur les 25.000 plantations de 2023, plus de 11.500 entourent le périphérique, tandis que 7300 ont servi à « renaturer les bois ». Les arbres dans les rues sont au nombre de 800, correspondant à environ 80 rues parisiennes qui ont reçu en moyenne une dizaine d’arbres. Près de 2700 arbres ont été plantés dans les cimetières.

Les 800 arbres plantés lors de la dernière saison dans les rues proprement dites « seront présents dans 100-150 ans », assure Christophe Najdovski. Pour cela, la mairie, qui possède une immense pépinière à Rungis (Val-de-Marne), cherche à diversifier ses essences. « Le noisetier de Byzance, l’érable de Montpellier sont plus adaptés, alors que le hêtre, qui a besoin d’eau, va migrer vers le nord », explique Emmanuel Grégoire, l’adjoint à l’urbanisme.

« Faire du chiffre […] et les laisser mourir »

Ce bilan quantitatif ne fait pas l’unanimité. La mairie « appelle arbres des pousses de 50 cm », notamment celles plantées sur les talus du périphérique (30.000 en trois ans), dénonce Tangui Le Dantec, cofondateur du collectif Aux arbres citoyens. « Ce ne sont pas des arbres », assure-t-il.

L’opposition et certaines associations de défense de l’environnement pointent le faible espoir de survie pour les 63.000 arbres que la mairie dit avoir plantés le long du périphérique. Beaucoup de ces plantations sont effectuées en utilisant la méthode Miyawaki – du nom de la méthode du botaniste japonais qui a théorisé des bosquets résilients grâce à leur densité. Mais « la densité de plantation est beaucoup trop forte, ils n’arriveront jamais tous à l’âge adulte », souligne M. Le Dantec. Une étude européenne fait état de 61 à 84 % de mortalité des arbres, 12 ans après la plantation.

Selon Thomas Brail, fondateur du Groupe national de surveillance des arbres (GNSA), devant une douzaine de sorbiers plantés à proximité du périphérique, des arbres ont été plantés « à 50 cm du mur, plein sud avec la réverbération directe, sans arrosage… ». « Eh bien, ces arbres-là sont tous morts », a-t-il affirmé, dénonçant le fait de « les mettre en terre pour faire du chiffre […] et les laisser mourir ».

Et lorsque l’adjoint chargé de la végétalisation Christophe Najdovski se félicite que le taux d’abattage « ait diminué de l’ordre de 20 % depuis vingt ans » pour arriver à 1,5 %, soit 3000 arbres par an, Philippe Raine, représentant syndical Unsa des bûcherons-élagueurs de la ville, déplore « tous les travaux au pied des arbres » qui ont « des conséquences pour leur pérennité et sont source d’infections ».

Le groupe d’opposition Changer Paris est aussi critique de la politique de « végétalisation » de l’actuel mairie : « Les chiffres des bois et du périphérique permettent à la Ville de ‘gonfler’ ses statistiques ». « 63.000 arbres, ça ne veut pas dire grand-chose, c’est trompeur. Essentiellement, ils plantent des tiges. Il faut voir le nombre d’arbres qui vont prospérer. Et avant que ces arbres-là ne soient source de fraîcheur, c’est au moins 30 ans d’attente, et ils ne vont pas tous atteindre 30 ans » a assuré Véronique Baldini, conseillère de Paris du 16e arrondissement déléguée aux espaces verts et à la propreté.

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