Alors que la France est visée par des opérations d’influence numériques russes, l’Europe s’organise en lançant son propre réseau de vérification des faits pour lutter contre la désinformation en ligne.
Baptisé « Spotlight », ce réseau de vérification inclut 17 médias publics et intègre le projet français « Alliance pour les faits », lancé en février 2025 par Radio France, en partenariat avec France Télévisions, France Médias Monde, TV5 Monde et l’Institut national de l’audiovisuel (INA).
Selon Liz Corbin, directrice de l’information de l’Union européenne de radio-télévision (en anglais European broadcasting union, EBU) à l’origine de l’initiative, « nous sommes confrontés à une crise croissante d’informations inexactes, fausses et synthétiques qui mettent à l’épreuve notre certitude de la vérité et de la réalité ».
L’annonce de la création de Spotlight intervient après la décision de Meta en début d’année d’arrêter son programme de fact-checking au profit des notes de la communauté, alors qu’il finançait plus de 80 médias à travers le monde.
Spotlight : une initiative européenne pour lutter contre la désinformation
L’Union européenne de radio-télévision (UER) a lancé le 11 avril un réseau de vérification des faits pour lutter contre la désinformation, appelé Spotlight. L’UER est la première alliance mondiale de médias de service public, dont les 113 membres exploitent près de 2000 chaînes et services de télévision, de radio et sites internet dans 56 pays, touchant un public de plus d’un milliard de personnes.
La France y est représentée avec Arte, France Médias Monde (France 24 et RFI), TV5 Monde, Radio France et le groupe France Télévisions, dont la présidente Delphine Ernotte assumait en décembre 2024 une ligne militante en faveur de l’inclusion, du féminisme et de la transition écologiste, selon Boulevard Voltaire.
« Les médias de service public ont la responsabilité unique d’être un havre de vérité dans un océan de fausses informations et d’incertitudes », déclarait Florent Latrive, directeur adjoint de l’information de Radio France, suite à la création de Spotlight, selon FranceInfo.
Le projet, qui n’est pas en lien direct avec l’Union européenne, veut doter les médias de service public européens des outils nécessaires pour lutter contre les fausses informations et promouvoir une information fiable. Aujourd’hui, il regroupe 18 radiodiffuseurs publics, parmi lesquels ORF (Autriche), RTBF (Belgique), Czech Television (République tchèque), Yle (Finlande), ZDF (Allemagne), BBC (Royaume-Uni) et Radio-Canada, sous l’égide d’Eurovision News, la branche d’information de l’UER.
Fin du fact-checking de Meta : la nouvelle vision américaine de la liberté d’expression
Meta annonçait début janvier mettre fin à son programme de vérification des faits en le remplaçant par des notes communautaires, similaires au système utilisé par la plateforme de réseau social X, précisant que cela ne concernerait pas l’Union européenne (UE) pour le moment.
Le programme de vérification des faits de Meta avait été lancé après l’élection de Donald Trump en 2016, avec des entreprises et des médias tierces chargés de cibler certains sujets et de proposer des suppressions ou des signalements de posts.
Mais début 2025, le PDG de Meta, Mark Zuckerberg a déclaré qu’il était « temps de revenir à nos racines en matière de liberté d’expression sur Facebook et Instagram ». Les vérificateurs de faits « sont trop orientés politiquement et ont détruit plus de confiance qu’ils n’en ont créée », a-t-il souligné.
Meta, qui possède Facebook, Instagram, Threads et WhatsApp, simplifie également ses politiques de contenu en supprimant les règles liées à des sujets tels que l’immigration et la question du genre.
« Ce qui a commencé comme un mouvement visant à être plus inclusif a de plus en plus été utilisé pour faire taire les opinions et exclure les personnes qui ont des idées différentes. Et c’est allé trop loin », a expliqué Mark Zuckerberg.
En France, les partenaires du programme de fact-checking de Meta sont l’AFP, Le Monde, 20 Minutes et France 24. Selon une étude de 2023 de l’International Fact-Checking Network (IFCN), le programme de Meta constituait des « sources de revenus importantes » pour un réseau international de 137 organismes de fact-checking à travers le monde.
La réponse de l’Europe à Meta
En réponse aux changements apportés par Meta, la Commission européenne a rappelé sa position sur les vérificateurs de faits et les conséquences potentielles de la non-conformité du Digital Services Act (DSA), s’appliquant dans l’UE.
Le porte-parole de la Commission européenne, Thomas Regnier, a déclaré par courriel à Epoch Times que dans l’UE, les vérificateurs de faits travaillent sur la base de « hautes normes éthiques et professionnelles, qui garantissent leur indépendance » et que la vérification indépendante de faits peut être considérée comme un moyen efficace d’ « atténuer les risques systémiques » découlant de la « désinformation ». « En d’autres termes, nous réfutons absolument toute allégation de censure de notre part », selon Paula Pinho, porte-parole en chef de la Commission européenne.
Le commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe Michael O’Flaherty a pour sa part estimé que la fin de la vérification des faits de Meta allait avoir « des conséquences négatives pour les droits humains » et a voulu assurer que les intermédiaires sur internet atténueraient “les risques systémiques de désinformation et de discours non contrôlés ».
Le nouveau projet Spotlight est une réponse à cette fin prochaine du fact-checking de Meta en Europe. L’Europe représente actuellement un environnement particulier pour les entreprises numériques, qui doivent se plier aux règles de modération du DSA.
La vision européenne de la liberté d’expression
Mark Zuckerberg a qualifié l’Europe de lieu de « censure », en raison du DSA qui réglemente les contenus en ligne. « L’Europe dispose d’un nombre croissant de lois qui institutionnalisent la censure et rendent difficile la mise en place de projets innovants », a-t-il déclaré.
Le DSA est un règlement européen voté en octobre 2022 qui régit les obligations des services numériques. Les plateformes de médias sociaux sont notamment tenues de supprimer les informations considérées comme de la désinformation et de prendre d’autres mesures spécifiques pour y remédier, sous peine d’amendes colossales pouvant aller à 6 % de leur chiffre d’affaires.
Selon Norman Lewis, chercheur invité du groupe de réflexion MCC Brussels, ancien directeur de PwC et directeur de la recherche technologique chez Orange UK, cité dans un rapport de 2024, l’UE institutionnalise des lois contre les discours haineux et la désinformation. Il en résulte une « attaque fondamentale contre la liberté d’expression et la démocratie en Europe », dès lors que les discours haineux ou la désinformation peuvent concerner des opinions politiques différentes des politiques nationales ou européennes en place.
« Le problème, c’est que tout cela est opaque » déplore Norman Lewis. Le public n’accède pas à ces données pour voir quel contenu exactement [a été supprimé]. Il peut être très dangereux, il peut s’agir d’abus sexuels violents ou d’appels à la violence. Mais il peut aussi s’agir de contenus légitimes, par exemple l’opposition au Green Deal, aux politiques d’immigration de l’UE ou à l’identité de genre », a-t-il poursuivi.
Selon lui, l’annonce de Mark Zuckerberg concernant « la censure, l’intention [de Meta] de supprimer les vérificateurs de faits » défie l’Union européenne. « La suite des évènements reste à voir. Mais il ne fait aucun doute que la liberté d’expression ou la censure deviendront une question géopolitique, en particulier dans les relations entre l’administration Trump et l’UE », a-t-il ajouté.
Il faudra enfin s’assurer que le remède de la vérification des faits européenne ne soit pas pire que le mal, et que le résultat ne soit pas une liberté d’expression limitée à la ligne éditoriale des médias ou agences de service public, eux-mêmes encadrés par la ligne idéologique du gouvernement en place.
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