« L’Opéra Bastille, c’est le Titanic, l’orchestre en moins! » Avec des débuts émaillés de controverses, la plus grande salle d’art lyrique en France, qui fête samedi ses 30 ans, a failli ne jamais voir le jour. Elle est devenue une référence.
Le palais Garnier, foyer de l’Opéra de Paris depuis le 19e siècle, étant jugé trop étroit, François Mitterrand commande en 1982 à son ministre de la Culture Jack Lang un opéra « moderne et populaire », qui fera partie de ses Grands travaux à l’instar de la Pyramide du Louvre.
« Sans cet opéra, le destin de l’art lyrique en France aurait été menacé », affirme M. Lang à l’AFP. Mais ce « fut certainement l’un des projets culturels les plus controversés et a failli se casser la figure plusieurs fois ». Il défend son projet contre la droite, la moitié de la presse et même du monde lyrique. Avec toutefois deux soutiens de taille: le président lui-même et Pierre Boulez, figure incontournable de la vie musicale française.
« Le président m’a dit le ministre des Finances veut rayer de la carte votre projet d’opéra. Mais rassurez-vous, je vous ai protégé », se rappelle l’ancien ministre. Un concours international est lancé en 1983 pour désigner l’architecte. Des 1.650 candidatures, 756 projets sont rendus sous forme anonyme. « Le jury croit déceler dans l’un d’eux la patte du grand architecte américain Richard Meier », affirme M. Lang.
« Mais à la levée de l’anonymat, le projet retenu s’avère être celui d’un jeune architecte canado-uruguayen, Carlos Ott. Personne ne le connaissait ». La presse fulmine: Le Monde titre « La Bastille sans génie »; le Figaro, « Le triomphe de la banalité » et le Nouvel Observateur… « L’ère des opéras Hilton ».
En 1986, avec la première cohabitation, Jacques Chirac alors Premier ministre estime le projet injustifié et trop coûteux. « L’opposition idéologique était telle qu’il voulait tout raser, sauf la pyramide du Louvre », se souvient M. Lang. La nouvelle salle de 2.745 places est finalement inaugurée en présence de 33 chefs d’Etat et de gouvernement, présents à Paris pour les cérémonies du bicentenaire de la Révolution française.
Mais les deux premières saisons sont perturbées par des grèves de techniciens. Pierre Bergé est nommé à la tête du premier conseil d’administration, avec le chef d’orchestre Daniel Barenboim comme directeur artistique et musical mais ce dernier est limogé en janvier 1989 sur fond de différends financier et artistique.
« Patrice Chéreau et Pierre Boulez faisaient partie de l’équipe Barenboim, ils ont aussi claqué la porte », rappelle Jack Lang. En réaction, l’orchestre ne joue plus, si bien que Françoise de Panafieu, alors maire-adjointe de Paris chargée de la Culture, lance à Jack Lang une phrase dont il s’en souviendra: « Votre Opéra, c’est le Titanic, l’orchestre en moins! » « C’était génial et c’était pas faux », souligne-t-il.
Le Sud-Coréen Myung-Whun Chung, 36 ans, sera nommé directeur musical par la suite. Autre vicissitude: à partir de 1996, la façade est recouverte d’un filet de protection pour éviter la chute des plaques de pierres qui ont une fâcheuse tendance à se décrocher. La réfection n’est engagée qu’en… 2005.
Le look de l’Opéra Bastille ne fait pas nécessairement rêver encore moins depuis la récente installation d’un puissant écran géant LED sur sa façade, mais sa machinerie fait pâlir d’envie le Met de New York ou le Bolchoï de Moscou. L’espace est si grand que lors de sa récente production d’une oeuvre de Berlioz, « Les Troyens », le metteur en scène Dmitri Tcherniakov a fait reculer les décors jusqu’à une profondeur équivalant à trois scènes.
« On peut alterner trois spectacles en même temps, c’est unique », affirme Nicolas Minssen, le directeur technique. Et l’Opéra Bastille va devenir encore plus grand: une salle modulable de 800 places qui était prévue dans le projet initial sera enfin inaugurée en 2023.
E.T avec AFP
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