Les premiers milliers de mètres cubes de gaz de schiste américain sont arrivés en Europe le 23 mars, en Norvège. Le gazier suisse Ineos l’a annoncé avec fierté, l’amarrage de son premier tanker étant le point de départ symbolique d’une tentative de conquête du marché européen.
« C’est un jour d’importance stratégique pour Ineos et pour l’Europe », se satisfait Jim Ratcliffe, le milliardaire britannique qui préside Ineos. L’entreprise a investi près de 2 milliards de dollars durant les cinq dernières années pour gérer l’importation d’éthane liquéfié sur une flotte de 8 tankers spécialement construits pour l’occasion. « Nous savons que l’économie du gaz de schiste a revitalisé le secteur manufacturier américain ; pour la première fois l’Europe peut également avoir accès à cette énergie essentielle et matériau brut », s’enthousiasme-t-il, cité par The Guardian. L’ambition est claire pour Ineos, un des plus grands gaziers mondiaux : commencer par alimenter l’Europe avec du gaz américain comme alternative au gaz russe, et lever les verrous de défense de l’environnement pour commencer l’extraction de gaz de schiste en Europe, et en premier lieu dans le Nord de l’Angleterre et en Écosse. Ce qui prendra un peu de temps, les premiers essais ayant déstabilisé les sols et déclenché une secousse sismique, conduisant à une interdiction temporaire des forages en Angleterre.
Production américaine en hausse, le monde suit
Le coût de production du gaz de schiste ainsi que celui de son transport – l’éthane est transporté liquéfié à moins 90 degrés – ont longtemps fait penser que la rentabilité ne pourrait pas être au rendez-vous. Ineos a cependant calculé qu’il pourrait être en zone de rentabilité à un prix de baril de pétrole brut de 30 dollars – sa descente à 28 dollars a certainement donné des sueurs froides à M. Ratcliffe, qui respire mieux aujourd’hui que les cours sont à 40 dollars. Mais pour quelle durée ? Les pays du Golfe ont beau tenter de stabiliser les cours, le retour de l’Iran sur le marché et la multiplication des chantiers d’exploitation de gaz de schiste sont en train de bouleverser durablement les équilibres énergétiques mondiaux. Aux États-Unis, les 48 États du Sud ont produit sur le mois de février 2 milliards de mètres cubes de gaz par jour, une production en augmentation de 2% sur celle de janvier, rapporte le service d’analyse gazier Platts Bentek. Dans UPI, l’analyste Sami Yahya explique que « le record de production de gaz naturel atteint en février est largement attribuable aux États américains du Nord-Est, qui compensent aussi le déclin d’autres bassins américains ».
Se lancer dans l’exploitation des gaz de schiste aujourd’hui revient à faire un bras d’honneur à tous les processus de lutte contre le dérèglement climatique.
– Anne Valette, chargée de campagne Climat pour Greenpeace France
Cette dynamique fait du gaz de schiste un produit d’investissement incroyablement prisé. Sur la dernière semaine de mars, rapporte Reuters, la firme Covey Park Energy LLC, soutenue par des fonds de private-equity, a indiqué avoir acheté pour 420 millions de dollars des terrains en Louisiane pour y développer de l’extraction de gaz de schiste. Covey Park, soutenue par Denham Capital, a acheté plus de 21 000 hectares de terres, dans une zone qui a produit 3 millions de mètres cubes par jour sur la fin 2015. Covey Park pense pouvoir doubler cette production. Ceci n’est que le dernier exemple d’une dizaine d’achats récemment réalisés par des fonds d’investissement américains en pleine « ruée vers l’or ».
Mais les États-Unis ne sont pas les seuls à s’emballer face à la perspective d’auto-suffisance énergétique. Dernière semaine de mars, au même moment où les records de production américains, les nouveaux investissements et les premières importations européennes étaient rapportées, le gouvernement d’Afrique du Sud a annoncé l’exploration de zones d’extraction de gaz de schiste dans la région semi-désertique du Karou, qui passe pour avoir en réserve 14 000 milliards de mètres cubes de gaz de schiste.
« L’exploitation du gaz de schiste est une réelle opportunité pour l’Afrique du Sud », avait expliqué, début mars, le ministre de l’Économie sud-africain Gugile Nkwinti. « Les activités d’exploration commenceront pendant la prochaine année fiscale ». Le gouvernement sud-africain voit le gaz de schiste comme une réponse possible aux difficultés du pays à s’approvisionner en énergie et une façon de se libérer progressivement de la dépendance au charbon. Avec sa décision, le gouvernement Zuma fait cependant l’impasse sur l’opposition des protecteurs de l’environnement qui craignent une pollution massive des nappes phréatiques du Karou du fait de la technique de « fracturation hydraulique » utilisée pour l’extraction du gaz. Aux États-Unis, plusieurs centaines de tremblements de terre, qui n’ont heureusement pas fait de victimes, auraient été causés par l’exploitation du gaz de schiste, en particulier dans l’Oklahoma qui est devenu l’État le plus sismique des États-Unis depuis que son sol subit la technique de fracturation hydraulique.
Mais face à l’opportunité à court terme, les considérations de protection de l’environnement font difficilement le poids. Une étude de marché très complète publiée par le groupe Zion Research anticipe une croissance du marché mondial du gaz de schiste de 63 milliards de dollars en 2014 à 105 milliards en 2020. Si près de 75% de la production et consommation mondiale de ce gaz est actuellement aux États-Unis, les plus grandes réserves naturelles comprennent aussi le Canada, la Chine, la Russie, la Pologne et l’Argentine. Face à l’augmentation des prix de l’énergie, l’instabilité géopolitique des régions productrices de pétrole ou de gaz, chacun de ces pays a toutes les raisons de renforcer sa production et ses moyens de distribution, poussé en cela par l’attractivité du secteur pour les investisseurs privés.
La COP21 loin derrière
Il y a un mois, le 28 février, des milliers de personnes manifestaient dans le Gard, à Barjac, contre l’autorisation d’exploration accordée à Total par la justice française. La situation en France est telle que, si la technique de fracturation hydraulique est interdite, la « recherche » privée reste autorisée et que beaucoup de défenseurs de l’environnement sentent le gouvernement prêt à suivre l’exemple américain.
« Quelle que soit la technique utilisée, il est aberrant de se lancer aujourd’hui dans l’exploitation d’une nouvelle ressource fossile » , commente Anne Valette, chargée de campagne Climat pour Greenpeace France. « La réduction des émissions de gaz à effet de serre est bien le défi principal que le monde doit relever. Le dérèglement climatique a déjà des conséquences visibles et désastreuses, se lancer dans l’exploitation des gaz de schiste aujourd’hui revient à faire un bras d’honneur à tous les processus de lutte contre le dérèglement climatique dans laquelle la France est engagée. »
La réalité de l’emballement mondial autour du gaz de schiste n’empêche pas les événements « bonne conscience ». Dernier exemple en mars, « une Heure pour la planète » qui invite les citoyens du monde entier à éteindre leurs lumières pendant soixante minutes.
Cette année, cet événement symbolique organisé à l’initiative du Fonds mondial pour la nature (WWF), a été suivi au siège des Nations unies à New-York, où les lumières ont été éteintes pendant une heure. Dans un message vidéo, le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a commenté : « Cette année, ‘Une Heure pour la planète’ intervient à un moment crucial. En décembre dernier, tous les gouvernements du monde se sont réunis pour adopter l’Accord de Paris sur le changement climatique. C’est une réalisation historique pour les gens et la planète – mais seulement si nous tenons les promesses qui ont été faites », a déclaré le Secrétaire général.
« Ensemble, nous pouvons créer l’avenir à faibles émissions dont le monde a besoin pour réaliser le développement durable et une vie de dignité et de stabilité pour tous. Une Heure pour la planète nous rappelle que nous avons tous un rôle à jouer », a-t-il dit. L’actualité du mois de mars fait se demander si le message a une chance d’être un jour reçu.
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