WASHINGTON – Le 24 avril 2015 a marqué le centenaire du début de la tragédie qui a causé la mort de 1,5 million d’Arméniens sous l’Empire ottoman.
Chassés de leurs maisons et de leurs terres en 1915, le travail forcé les a tués par épuisement, ils ont été déportés, massacrés ou abandonnés à leur sort. Lorsque Raphael Lemkin a inventé le mot «génocide» en 1944, il a affirmé qu’il avait en tête «ce que Hitler a fait aux Juifs et ce que les Turcs ont fait aux Arméniens».
Malgré le consensus des historiens sur la nature des atrocités commises de 1915 à 1923 et l’abondance de preuves photographiques, de documents officiels et de comptes rendus de témoins oculaires, le gouvernement turc mène depuis toujours une campagne pour nier l’existence du génocide. Affirmer le contraire en Turquie de nos jours contrevient même à la loi.
Le 12 avril dernier, le pape François a qualifié le génocide arménien de «premier génocide du XXe siècle». Le pape a dit que «dissimuler ou nier ce mal est comme permettre à une plaie de saigner sans lui apposer de bandage».
La Turquie a répondu en dénonçant les propos du pape et en rappelant son ambassadeur au Vatican.
Après la déclaration du pape, plusieurs comités de rédaction de grands quotidiens ont appelé les États-Unis et la communauté internationale à reconnaître le génocide arménien comme le premier génocide du XXe siècle, a fait remarquer Taniel Koushakjian, directeur des communications d’Armenian Assembly of America, au National Press Club le 22 avril.
En 1915 et au cours des années suivantes, les médias américains ont joué un rôle important dans la publication d’informations sur les massacres, la torture et l’expulsion de la population arménienne. Les grands quotidiens comme le New York Times, le Washington Post et le Boston Globe ont rapporté sur les atrocités, les efforts pour sauver les survivants et la première campagne philanthropique du peuple américain pour fournir de l’aide, explique M. Koushakjian.
Obama suit la Turquie
Le président américain, Barack Obama, a prononcé le mot «génocide» en 2008 lorsqu’il était candidat à la présidence et il a critiqué l’administration Bush pour avoir congédié l’ambassadeur américain en Arménie qui avait prononcé ce mot.
«J’ai partagé avec la Secrétaire [d’État Condoleezza] Rice ma ferme conviction que le génocide arménien n’est pas une allégation, une opinion personnelle ou un point de vue, mais plutôt un fait solidement documenté soutenu par une quantité accablante de preuves historiques», avait dit M. Obama.
Barack Obama avait promis qu’une fois président, il n’éviterait pas d’utiliser le terme.
Toutefois, au cours des sept années de sa présidence, il n’a jamais prononcé le mot «génocide» afin de ne pas offenser un allié membre de l’OTAN, dont le soutien dans la région est important pour Washington.
La Déclaration du Président pour le Jour du Souvenir arménien le 24 avril indique :
«J’ai constamment partagé mon point de vue sur ce qui s’est déroulé en 1915 et mon point de vue n’a pas changé. Une reconnaissance entière, franche et juste des faits est dans l’intérêt de tous. Les peuples et les nations deviennent plus forts et établissent une fondation pour un avenir plus juste et tolérant, en reconnaissant et en faisant la paix avec des éléments douloureux du passé. Nous apprécions les propos du pape François, des historiens turcs et arméniens ainsi que de beaucoup d’autres qui ont cherché à faire la lumière sur ce chapitre sombre de l’histoire.»
Son prédécesseur, George W. Bush, avait également fait une promesse similaire qu’il a brisée lorsqu’il est arrivé au pouvoir. Le président Ronald Reagan a pour sa part mentionné le génocide arménien durant ses mandats.
«La Turquie fait des pressions politiques et dépense des millions de dollars aux États-Unis pour dissimuler le génocide arménien et elle connaît un succès alarmant dans les plus hautes sphères du gouvernement», avait déclaré en 2008 David Holthouse du Southern Poverty Law Center.
Audience au Congrès
Le membre républicain du Congrès Chris Smith, président de la Commission Helsinki, a critiqué le président pour avoir brisé sa promesse. Lors d’une audience qu’il a convoquée le 23 avril, le jour précédant la déclaration du président, M. Smith a énuméré des pays qui ont reconnu le génocide arménien : le Canada, la France, l’Allemagne, l’Italie, la Suède, la Belgique, les Pays-Bas, la Lituanie, la Pologne, la Slovaquie, la Grèce, Chypre, le Vatican, l’Argentine, le Chili, le Liban, la Russie, la Suisse, l’Uruguay, le Venezuela et le Parlement européen, selon le Congressional Research Service.
Inutile de dire que la position du président a été source de grande déception pour les personnes invitées par la Commission Helsinki pour témoigner à l’occasion du 100e anniversaire du génocide.
Le président de l’Armenian National Committee of America, Kenneth V. Hachikian, a déclaré que «les fondements pour une véritable réconciliation entre l’Arménie et la Turquie ainsi que pour une paix régionale durable» dépendent d’une reconnaissance de la Turquie et d’une discussion honnête sur le génocide arménien. La négation de la Turquie a «d’abord et avant tout» un coût moral, a-t-il dit.
Témoignage d’un universitaire turc
Taner Akçam est l’auteur de plusieurs ouvrages à succès, comme Un acte honteux : le génocide arménien et la question de la responsabilité turque (2006) et The Young Turks’ Crime Against Humanity: The Armenian Genocide and Ethnic Cleansing in the Ottoman Empire (Le crime des Jeunes-Turcs contre l’humanité : le génocide arménien et l’épuration ethnique dans l’Empire ottoman) (2012).
«Si nous sommes d’accord pour reconnaître et pour nous souvenir de l’Holocauste perpétré par les nazis […] alors nous avons la même obligation de reconnaître et de nous souvenir du génocide arménien», a commenté l’universitaire turc.
«Si nous voulons la réconciliation et la paix entre les Turcs et les Arméniens, nous devons reconnaître la vérité. Sans la vérité, il ne peut y avoir de paix.»
M. Akçam est le premier universitaire turc à reconnaître publiquement le génocide arménien. Ses livres démontrent, dans les moindres détails, le lien entre le génocide arménien et l’expulsion des Grecs par l’Empire ottoman et l’effort officiel de ce dernier pour se débarrasser des chrétiens, indique la maison d’édition.
M. Akçam a pu avoir accès à des documents officiels des archives impériales ottomanes qui étaient autrefois bien gardées. La recherche dans ses livres a donc permis de documenter la préméditation du génocide par le gouvernement. M. Akçam, qui habite maintenant aux États-Unis et qui enseigne à l’Université Clark, reçoit souvent des menaces de mort.
«Pourquoi la question de la reconnaissance de l’Holocauste n’est-elle pas matière à débat dans les milieux politiques, alors que le génocide arménien – même s’il est reconnu dans les cercles académiques respectables – l’est encore?», a-t-il demandé.
M. Akçam a indiqué qu’il y avait une autre Turquie avec des citoyens qui sont prêts à faire face à l’histoire. «Nous, les Turcs, ressentons cette obligation de nettoyer cette vilaine tache sur nous et notre honneur qui a été laissée par ceux qui ont commis ces crimes. […] Notre histoire ne contient pas que des meurtriers. C’est aussi l’histoire de gens braves et droits qui ont risqué leur vie pour sauver des milliers d’Arméniens.»
Faire face à l’histoire pourrait avoir de grandes répercussions. M. Hachikian a indiqué que l’Arménie, voisin de la Turquie, ne peut être en sécurité aussi longtemps que «les écoliers turcs apprennent que les Arméniens étaient des traîtres, que les protagonistes étaient des héros et que les victimes méritaient leur sort».
Confronter le crime
Selon M. Hachikian, une deuxième conséquence d’un «génocide ouvertement perpétré et nié sans regret» est qu’il encourage d’autres crimes lorsque la communauté internationale reste muette. Hitler a vu le génocide arménien comme le prototype de sa «solution» pour les Juifs et il croyait que le monde allait vite oublier ses propres crimes.
«Après tout, qui parle de nos jours de l’anéantissement des Arméniens?», avait déclaré Hitler en 1939, alors que la catastrophe arménienne était pratiquement oubliée.
La résistance à reconnaître et à confronter le génocide a été décrite comme un «problème infernal». Ce terme vient du titre d’un livre sur les génocides, écrit par l’ambassadrice américaine aux Nations Unies, Samantha Power.
D’autres témoignages durant l’audience ont souligné le rôle vital que peuvent jouer les États-Unis pour encourager la Turquie à reconnaître la vérité.
«Il y a des gens en Turquie qui ont pratiquement tout risqué pour aider leur pays à tourner la page. Chaque fois que les États-Unis protègent [la Turquie], c’est comme s’ils coupaient un membre et décourageaient l’autre personne d’avancer», estime Van Krikorian, coprésident de l’Armenian Assembly of America.
Version originale : The Politics of Acknowledging the Armenian Genocide
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