Gérard Vespierre est analyste géopolitique, chercheur associé à la Fondation d’Études du Moyen-Orient et fondateur du média web Le Monde Décrypté. Dans un entretien accordé à Epoch Times, il revient sur la situation en Israël.
Julian Herrero : Ce samedi 7 octobre, à l’aube, la branche armée du Hamas et le Djihad islamique ont lancé une grande attaque sur le territoire israélien avec des milliers de tirs de roquettes lancées depuis Gaza et des incursions sur le territoire israélien par la terre, la mer et le ciel. Le bilan est très lourd. On parle aujourd’hui d’au moins 900 morts, 2500 blessés. Du jamais vu. Beaucoup d’experts parlent de cette tragédie comme d’un échec majeur pour les services secrets israéliens. Comment qualifieriez-vous cette la situation ?
Gérard Vespierre : Personne n’a rien vu venir. Cependant, il y a un certain nombre d’informations qui circulent indiquant que des services et également des individus à l’intérieur des services secrets israéliens avaient alerté sur des préparatifs du côté du Hamas et de Gaza. Certaines voix s’étaient aussi élevées contre le pouvoir israélien, lui reprochant d’être seulement concentré dans une répression ou des actions en Cisjordanie. Mais elles sont restées inaudibles. L’enjeu est de savoir si nous avons affaire à un problème structurel des services de renseignements ou tout simplement quelque chose de plus ponctuel. Pour le moment, seule une commission d’enquête pourra nous révéler la nature du problème.
Hélas, le pouvoir israélien a utilisé beaucoup plus d’énergie sur des problématiques internes déstabilisantes que sur des enjeux externes rassembleurs. Beaucoup plus en amont de cette problématique de renseignement, Israël paie un problème de dispersion de l’âme israélienne. Elle a été dispersée, premièrement, par l’arrivée de plus en plus prégnante des religieux dans la sphère politique. Deuxièmement, par l’intrusion de débats juridico-constitutionnalistes internes avec la clause de raisonnabilité à faire sortir ou à maintenir dans la Constitution. Troisièmement, par l’inefficacité et la bêtise de certains ministres comme monsieur Ben Gvir qui s’est promené il y a quelques mois sur l’esplanade de la mosquée Al-Aqsa. Une attitude bien maladroite et en même temps une forme de provocation vis-à-vis des minorités arabes d’Israël et de l’ensemble du monde musulman de la part d’un membre éminent du gouvernement israélien. Il n’aura échappé à personne que le nom de code de la récente opération du Hamas est « déluge d’Al-Aqsa ». Une référence directe à l’esplanade sur laquelle monsieur Ben Gvir a fanfaronné. Je crois que ce ministre doit être sorti du gouvernement Netanyahu.
Cette attaque du Hamas a été malheureusement très bien coordonnée. En plus des morts et des blessés, s’ajoutent les prises d’otages. Selon le ministre israélien des Affaires étrangères, Eli Cohen, l’organisation terroriste aurait pris en otage plus de 100 personnes lors de ses incursions terrestres. Pouvons-nous imaginer que cette attaque ait été directement supervisée par une puissance ou une entité étrangère ?
En février 1979, la République islamique d’Iran a indiqué très clairement que le cancer israélien devait disparaître. Le régime a créé quelques mois plus tard les « Gardiens de la Révolution » qui ont pour mission la mise en œuvre du plan pour détruire l’État hébreu. Au sein des Gardiens de la Révolution, une unité internationale a été baptisée Al-Qods (Jérusalem en Arabe). Dans les années 1980, le Hezbollah a été créé à partir de la forte minorité chiite présente au Liban. Ensuite, viennent s’ajouter officiellement la création du Djihad islamique à Gaza et les accords entre Téhéran et le Hamas. Il faut cesser d’être crédule.
Depuis 44 ans, il y a tout un plan stratégique progressivement et discrètement mis en œuvre par la République islamique d’Iran avec des moyens technologiques, politiques, humains et financiers pour détruire Israël. L’Occident n’a pas voulu le voir. On peut noter que le régime iranien est organisé avec des gens malfaisants mais également très brillants. La paix et la stabilité au Moyen-Orient ne reviendront pas tant qu’il n’y aura pas à Téhéran un régime de liberté et d’État de droit. C’est aussi simple que cela. Le peuple iranien le demande de plus en plus par ses révoltes réprimées dans le sang. Elles ont maintenant lieu pratiquement tous les ans. Nous devons aider le peuple iranien à faire en sorte que le régime des Mollahs tombe. Il n’y va pas simplement du sort de l’Iran, il y va du sort d’Israël et de la stabilité régionale.
En riposte à cette attaque, Tsahal a lancé dès le samedi après-midi des frappes aériennes sur Gaza. Hier, lundi 9 octobre, l’armée israélienne a ordonné un siège complet de la bande de Gaza. Quelques heures plus tard, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a annoncé que la campagne contre le Hamas ne fait que commencer et que ce qu’il va endurer sera terrible. Il a même déclaré vouloir « changer la donne au Moyen-Orient ». Sommes-nous en train de nous installer dans un conflit de longue durée ?
Rappelons qu’Israël est dans une situation conflictuelle avec les peuples arabes depuis 75 ans pour ne pas dire plus. Nous sommes simplement dans le prolongement de cette situation conflictuelle.
Pour ce qui est du Premier ministre Netanyahou, qui est grandement responsable de la situation actuelle, il est dans une situation entièrement politique. Par conséquent, dans son discours, il a une réaction politique. Maintenant, il faut regarder de près s’il y a un écart entre le discours et la réalité. Combien de temps peuvent durer les frappes sur Gaza ? Personne ne le sait. Il est bien évident qu’il ne s’agit pas de frapper pour frapper, il faut des résultats. Jusqu’où peut aller Israël ? Difficile à dire. L’État hébreu va devoir rester dans le rationnel. S’il part dans l’émotionnel en bombardant sans raison, il perdra très vite sa crédibilité aux yeux de la communauté internationale.
Il y a également l’inextricable situation des otages. Il faut donc à la fois frapper et en même temps négocier. C’est politiquement difficile à faire et à assumer. Il faut trouver les bons canaux. Nous sommes dans une situation de dilemme. Et dans les dilemmes, il n’y a aucun choix qui soit supérieur à un autre. On est toujours dans la difficulté de choisir entre des inconvénients.
Pour revenir au siège complet de Gaza ordonné par Israël, l’État hébreu risque de perdre encore plus de crédibilité aux yeux du monde. Il est pensé comme un levier pour que la communauté des Gazaouis se retourne contre le Hamas. Mais comment voulez-vous qu’ils se retournent contre cette organisation terroriste ? S’ils défilent dans les rues, ils sont rappelés à l’ordre ou exécutés. C’est une situation extrêmement difficile. Il va falloir du temps, de l’intelligence, de l’innovation et de la créativité. Le Hamas en a, malheureusement, fait preuve dans cette campagne. En réponse, Israël doit intervenir avec des moyens d’actions auxquels le Hamas n’a pas pensé et frapper fort. C’est impératif. Jérusalem doit aussi changer de paramètres en termes de calendrier pour ne plus être pris par surprise comme ce samedi 7 octobre, jour de shabbat et doit arrêter de croire qu’il est toujours supérieur, notamment techniquement et technologiquement.
Cette attaque du Hamas a été vue par certains comme une tentative de briser l’unité du monde arabe dans un contexte de rapprochement diplomatique entre Israël et les puissances arabes, notamment le royaume saoudien. Comment analysez-vous cette problématique ?
Le plan iranien dont je parlais précédemment a été exécuté. Pourquoi ? Parce que les préparatifs étaient finalisés. Et effectivement, l’attaque du Hamas intervient au moment où les relations entre Israël et le monde arabe s’apaisent de plus en plus. Il y a eu les accords avec l’Égypte en 1979 puis avec la Jordanie en 1994, et plus récemment des premiers pourparlers avec l’Arabie Saoudite. Depuis un certain nombre de trimestres, Jérusalem et Riyad ont commencé des échanges ainsi que des approches pour normaliser leurs relations. C’est un véritable casus belli pour Téhéran. Il n’est pas question que la Mecque et Jérusalem s’entendent. J’ajoute que les Émirats Arabes Unis ont condamné l’attaque du Hamas. Il y a donc une poursuite de cette séparation de l’univers arabe que l’Iran essaie de stopper.
Pour le moment, il est évident que les Saoudiens ne peuvent continuer pour les mois qui viennent, à poursuivre leurs échanges, officiellement avec Israël, même si au cœur de ce débat, les Saoudiens ont été très clairs en demandant des concessions aux Israéliens. Les négociations qui étaient en cours sont suspendues et reprendront quand Washington estimera que cela est possible. Contrairement à ce qu’on entend trop souvent, les États-Unis n’ont jamais été aussi présents dans la région que maintenant. Ils y achètent certes moins de pétrole, étant devenus premier producteur mondial grâce au pétrole de schiste. Mais ils n’ont jamais été autant présents militairement. Ils sont toujours le premier fournisseur en armement d’Israël et de l’Arabie Saoudite.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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