Gérard Vespierre : « On retrouve toujours chez Donald Trump cette volonté d’être insaisissable »

Par Julian Herrero
24 février 2025 07:06 Mis à jour: 24 février 2025 09:57

ENTRETIEN – Le géopolitologue et fondateur de Le Monde Décrypté analyse l’actualité internationale pour Epoch Times.

Epoch Times : Depuis son retour officiel à la Maison-Blanche il y a un mois, le président américain fait beaucoup parler de lui. Il a signé des dizaines de décrets, provoqué une multitude de réactions internationales avec ses propos sur le Groenland, le Panama, le Canada et le plan pour Gaza. Ces derniers jours, il a invectivé Volodymyr Zelensky. Que vous inspirent les 30 premiers jours de l’administration Trump II ?

Gérard Vespierre : Nous pouvons y voir une volonté idéologique de faire renaître la puissance américaine. Celle-ci se matérialise par le souhait de reprendre le canal de Panama, d’acheter le Groenland, etc.

Cela étant, on s’aperçoit dans le temps que tout ce « show idéologique » autour du slogan « Make America Great Again » ne tient pas vraiment la route.

Il y a les mots de Donald Trump, mais nous pouvons nous demander s’il n’y aurait pas derrière ceux-ci d’autres mouvements moins visibles et qui correspondent à la réalité de la nouvelle administration américaine.

Je pense que le « plan » du président américain pour Gaza est une bonne illustration de mon propos. Il relève du grand n’importe quoi, mais en même temps, il a fait bouger les lignes et quelque chose d’autre se met en place derrière. Il faut faire la différence entre ce qui est dit et ce qui est fait.

Ce que j’explique peut également se vérifier dans l’ambiguïté que représente le rôle d’Elon Musk dans cette réforme de l’État fédéral américain. C’est du jamais vu ! Ni le Parti Républicain, ni l’administration républicaine s’en chargent, mais quelqu’un d’extérieur à la sphère politique.

On retrouve toujours cette ambiguïté, cette volonté d’être insaisissable qui est à mon avis, la marque de fabrique de Donald Trump. C’est un personnage à la fois dynamiseur et dynamiteur. Il est donc dans la force positive et dans la force négative.

Comment voyez-vous la politique qu’Elon Musk est censé mettre en œuvre ? Est-ce une politique conservatrice classique de réduction des dépenses publiques ?

Je crois que nous avons affaire à quelque chose de très différent. Il s’agit de la mainmise des milliardaires sur l’administration en place. Regardez l’envoyé spécial de Trump pour le Moyen-Orient, Steve Witkoff. Ce n’est pas quelqu’un issu du département d’État, mais un promoteur immobilier ami de Donald Trump.

Même chose du côté du nouvel ambassadeur des États-Unis en France, Charles Kushner. Il est également promoteur immobilier, mais surtout le père du gendre du président américain. Il y a un mélange des genres qui est, à mon sens, absolument inacceptable !

Je crains qu’il y ait un retour de manivelle à l’intérieur du nouveau pouvoir : quand Elon Musk défait l’USAID, le secrétaire d’État, Marco Rubio, annonce être l’administrateur par intérim de l’agence. Il peut donc y avoir à l’intérieur de cette nouvelle administration des tensions.

On retrouve même ces tensions au niveau de la NASA. Ils sont en train de mettre en difficulté le programme lunaire parce que l’engin qui est censé se poser sur la Lune est un Starship de la société SpaceX d’Elon Musk. Or cette fusée a explosé en vol au mois de janvier. Ainsi, Musk sait qu’il ne pourra pas être, en 2027, au rendez-vous du nouveau programme lunaire.

En plus, les résultats de Tesla sont mauvais, 20 % du personnel de la Gigafactory du Nevada vient d’être licencié, et le public européen n’apprécie pas le personnage d’Elon Musk, les ventes baissent sérieusement. S’ajoute à cela le fait que X ait perdu un tiers de sa communauté et deux tiers de ses revenus depuis 2019.

Tout ceci va mettre le milliardaire d’origine sud-africaine en difficulté. À mon humble avis, Elon Musk va mal finir l’année et probablement faire un burn-out : on ne peut pas gérer trois entreprises, mondiales, s’occuper de l’État et avoir l’œil sur les mouvements de droite voire populistes en Europe en même temps. C’est inhumain.

Je note par ailleurs, que la majorité politique des Républicains est très faible, c’est-à-dire de trois sièges au Sénat, et de six sièges à la Chambre des représentants. Lors de certaines auditions au Sénat de personnalités nommées par Donald Trump, quelques sénateurs républicains ont voté contre leur nomination. Plusieurs confirmations ont été obtenues avec une seule voix de majorité….

Il y a eu, certes, une remontée de Donald Trump dans l’électorat : il avait perdu de 7 millions de voix en 2020 face à Joe Biden et a regagné de 2 millions et demi de voix en novembre 2024 contre Kamala Harris, mais on parle ici d’une avance de 2,5 millions sur 155 millions de votants. La majorité populaire ‘trumpiste’ est faible.

Plusieurs responsables politique français ont vanté les mérites d’Elon Musk en matière de débureaucratisation tels que l’ancien ministre de la Fonction publique Guillaume Kasbarian ou le président de l’UDR Éric Ciotti. Un Elon Musk et sa politique libérale pourraient-ils exister en France ?

Il y a en France une faiblesse en matière de réflexion politique et stratégique. Certains responsables politiques français emploient des mots qui ne reflètent pas les réalités.

On peut être favorable à la débureaucratisation, mais ce n’est pas du tout ce qui est en train de se passer aux États-Unis. Je parlerais davantage de violence que de débureaucratisation.

En plus, quand Elon Musk décide d’attaquer tout un système d’agences, d’agences de santé, scientifiques ou du renseignement, alors qu’il n’a ni le profil, ni les compétences pour le faire, c’est un vrai problème.

Par ailleurs, je rappelle qu’il existe au sein des administrations des équipes d’audit. Elles peuvent ainsi se réguler elles-mêmes. Qu’il y ait un accélérateur juridique reconnu, pourquoi pas ! Mais demander à quelqu’un comme Elon Musk de mener une politique de réduction des normes est une erreur.

Le 3 février, Elon Musk annonçait la fermeture officielle de l’USAID. L’agence américaine représente 42 % de l’aide humanitaire internationale. Le secrétaire d’État Marco Rubio a été nommé par le président américain au poste d’administrateur par intérim. « L’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) dévie depuis longtemps de sa mission initiale, qui consiste à faire progresser de manière responsable les intérêts américains à l’étranger, et il est désormais tout à fait clair qu’une part importante du financement de l’USAID n’est pas alignée sur les intérêts nationaux fondamentaux des États-Unis », dénonçait le Département d’État. Qu’en est-il ?

Bill Gates, à la tête d’une puissante fondation humanitaire, s’est récemment entretenu avec Donald Trump à ce sujet. Il lui a fait savoir que c’était une erreur stratégique fondamentale, à la fois humaine et politique puisqu’elle ouvre la porte aux aides chinoises ou aux aides de toute autre nature. Là encore, cette décision de fermer l’USAID a été violente. On ne gère pas une situation aussi complexe avec un tel niveau de violence.

De leur côté, les Européens tentent d’exister face à Donald Trump. Il y a eu une réunion informelle lundi. Qu’en pensez-vous ?

Les choses étaient bien plus organisées que ce que certains médias ont prétendu. Les grands pays européens se sont réunis et il y avait tout un système : le Danemark représentait par exemple officiellement les pays de la Baltique.

Le lendemain, le président de la République s’est entretenu avec d’autres leaders européens en visioconférence. Je note que cette semaine, lui et son homologue britannique seront reçus à la Maison-Blanche.

Méfions-nous des envolées médiatiques et regardons les faits. Les Européens ont été mis de côté parce que, pour le moment, nous ne sommes pas encore entrés dans la négociation.

Le but de la rencontre à Riyad était de définir le cadre matériel et les options stratégiques : éviter les irritations diplomatiques entre Washington et Moscou, monter des équipes de négociateurs pour l’Ukraine, suivre les négociateurs et définir une nouvelle approche globale et économique pour les deux puissances que sont les États-Unis et la Russie.

Nous ne sommes donc pas dans le cadre des négociations sur l’Ukraine. Ces dernières vont débuter dans les semaines à venir, après la venue des dirigeants français et britannique à Washington.

Soutenez Epoch Times à partir de 1€

Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?

Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.