Exportatrice de pétrole jusqu’en 1993, la Chine en est devenue le premier importateur mondial en 2014 et le second consommateur.
Il s’agit pour Pékin de répondre à de multiples objectifs : la recherche de nouveaux marchés, la captation des ressources et la montée en gamme technologique. Acteurs émergents dans le secteur pétrolier, les compagnies chinoises concurrencent désormais leurs homologues internationales (les IOC, comme ExxonMobil, BP, Shell, Total, Chevron, Eni ou ConocoPhillips) sur leurs propres marchés.
Une politique de sécurité énergétique affirmée
Avec des importations estimées à 7,5 mb/j, devant les États-Unis (6,7 mbj) en 2015, la question de la dépendance pétrolière extérieure est stratégique pour Pékin, les approvisionnements étrangers représentant désormais près de 60 % de ses besoins journaliers, contre 30 % en 2000, selon les chiffres du Département américain à l’Énergie.
Malgré une politique de diversification depuis début 2000, la géographie des importations chinoises continue de donner une place prépondérante au Moyen-Orient (52 % des importations globales), devant l’Afrique (22 %), la Russie et les ex-républiques de l’Union soviétique (13 %) et les Amériques (11 %).
Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), cette dépendance au Moyen-Orient pourrait atteindre 70 % en 2020 et continuerait de progresser jusqu’en 2035.
La question des routes d’approvisionnements guide également la géopolitique énergétique chinoise. Le processus de diversification engagé ne lui permet pas en effet de s’affranchir de la problématique des détroits et plus particulièrement de celui de Malacca, qui voit chaque année transiter près de 80 % de ses importations ; le président chinois Hu Jintao et la presse nationale évoquaient dès 2003 cette problématique sous le nom de « Dilemme de Malacca ».
Pékin a ainsi commencé à investir dans les infrastructures transnationales d’acheminement d’hydrocarbures dès le début des années 2000. Dès 2006, la Chine a commencé à recevoir du pétrole en provenance du Kazakhstan. Aujourd’hui, le pays compte trois pipelines internationaux avec la Birmanie, le Kazakhstan et la Russie et de nombreux projets sont à l’étude dont le projet TATC (Turkménistan, Afghanistan, Tadjikistan, Chine).
La construction de champions nationaux chinois
Dans sa politique énergétique, la Chine a également misé très tôt sur la construction de champions nationaux pétroliers. Ainsi, entre 1982 à 1988 seront créées China National Offshore Oil Corporation (CNOOC), China Petroleum and Chemical Corporation (Sinopec) et China National Petroleum Industry (CNPC).
Dans les réformes de l’économie chinoise observées entre 1992 et 2003, notamment celles concernant les entreprises d’État (SOE, pour State Own Enterprises), la question centrale de la dépendance pétrolière extérieure et la rationalisation du secteur énergétique en 1998 vont amener le gouvernement chinois à changer de stratégie.
Le modèle de segmentation des activités des trois compagnies va être remplacé par celui, plus classique, de compagnies pétrolières verticalement intégrées.
Depuis ces réformes, CNPC et Sinopec sont très actives sur les marchés et figurent parmi les acteurs de premier plan au niveau international. En 2015, selon le classement Fortune 500 de Forbes, CNPC arrivait à la 3e place mondiale en matière de chiffre d’affaires et Sinopec à la 4e. Elles devançaient notamment les supermajors Shell, ExxonMobil et BP dans ce classement.
Fortes de cette exposition internationale, les NOC chinoises ont bénéficié d’un environnement institutionnel favorable pour la conquête des marchés. Le système bancaire chinois, composé de deux fonds souverains nationaux (State Administration of Foreign Exchange, SAFE ; et China Investment Corporation, CIC), de banques spécialisées dans le développement international (Eximbank, China Development Bank) et de banques commerciales, constitue le bras armé financier de la politique d’internationalisation des entreprises pétrolières à l’étranger.
Le rôle des investissements à l’étranger
Dans le secteur énergétique, selon le Global Investment Tracker, les investissements directs à l’étranger (IDE) chinois ont atteint, entre 2005 et début 2016, plus de 510 milliards de dollars. Les investissements dans le secteur pétrolier arrivent de très loin en tête, suivi par ceux dans le gaz. Toutefois, on note une inflexion depuis 2013, avec une hausse importante dans le secteur du gaz naturel liquéfié, de l’hydraulique et des énergies renouvelables.
L’amont pétrolier et gazier a été la véritable porte d’entrée des IDE chinois dans le secteur énergétique. Depuis le premier investissement pétrolier au Canada en 1992, les NOC chinoises ont entrepris de cibler des actifs spécifiques et d’intégrer l’ensemble de la chaîne de valeur pétrolière de l’amont (exploration-production) à l’aval (raffinage).
La Chine est présente désormais dans les infrastructures de réseaux (pipelines, gazoducs) dans divers pays (Canada, Irak, Mozambique, Tanzanie), dans le raffinage en Europe (France, Royaume-Uni), en Arabie saoudite et en Afrique du Sud, dans les capacités de stockage (Indonésie).
Cette stratégie va dans le sens du 13ᵉ plan chinois qui cherche à transformer les SOE en groupes mondiaux ultracompétitifs. Dans ce contexte, la coordination entre l’État chinois et les entreprises est essentielle, et les printemps arabes ont montré l’importance de l’appui du gouvernement chinois en cas de problèmes géopolitiques. Dans le seul secteur de l’amont pétrolier, près de 50 % des IDE chinois ont été réalisés en Afrique et au Moyen-Orient, deux zones particulièrement instables avec des investissements en Lybie, en Syrie, au Soudan du Sud ou encore au Nigeria.
Une approche globale et pragmatique
Croire toutefois que la Chine n’investit que dans des zones instables est erroné.
En effet, l’approche de Pékin est désormais plus globale avec une évaluation des ressources, des risques et du retour sur investissement potentiel. Depuis 2013, cette dernière composante est essentielle dans la politique d’IDE chinois et aucun investissement à l’étranger ne peut être envisagé sans un bénéfice futur en retour.
D’un point de vue plus politique, la stratégie chinoise dite de « profil bas » initiée par Den Xiaoping semble à l’heure actuelle quelque peu remise en cause. Comme sur le plan économique, c’est le pragmatisme qui caractérise le positionnement de la Chine en tant que puissance politique, que ce soit en Asie, au Moyen-Orient ou en Afrique.
La Chine se pose désormais comme une puissance globale. Plus grand partenaire commercial de plus de 130 pays et à l’origine d’institutions financières multilatérales (BAII, Banque des BRICS), la Chine est également en train de réussir l’internationalisation de sa monnaie et de ses entreprises tout en se positionnant comme un acteur géoéconomique mondial majeur. La nécessité se fait d’ores et déjà sentir de défendre ses propres intérêts dans le monde, intérêts périodiquement pris à partie, que ce soit ses ressortissants ou ses entreprises.
Les investissements des NOC chinoises à l’étranger…
En 2014, les NOC chinoises à l’étranger ont produit 2,5 millions de barils équivalent pétrole (mboe), dont 2,1 mb/j de pétrole brut contre 1,36 mb/j en 2010.
Ce chiffre correspond à environ 50 % de la production domestique chinoise estimée à 4,25 mb/j. Sur la période récente, l’Irak est le pays qui a le plus bénéficié des investissements chinois à l’étranger et Bagdad devrait devenir le principal pilier de la politique de production pétrolière chinoise à l’étranger.
Entre 2011 et 2013, de nombreux pays ont porté le volume de production chinoise à l’étranger (par ordre d’importance) : Irak, États-Unis, Kazakhstan, Nigéria, Canada, Brésil, Argentine, Angola, Indonésie et Tchad. En retrait depuis 2011, le Kazakhstan reste cependant un pays clé avec près de 13 % de la production globale chinoise à l’étranger. Dans ce pays, et comme au Turkménistan, la CNPC est un acteur majeur avec plus de 25 % de la production pétrolière nationale.
Les NOC chinoises augmentent également leur présence dans les pays de l’OCDE : Royaume-Uni, Canada et États-Unis, en tête, sans toutefois représenter un poids important au regard des autres acteurs présents sur ces marchés. Les IDE chinois dans le secteur gazier en Australie sont également extrêmement dynamiques.
… et à domicile
En parallèle des objectifs globaux de la Chine à l’étranger, chaque acteur pétrolier national possède sa propre stratégie. La CNPC, dont la holding Petrochina est cotée en Bourse depuis 2000, a l’ambition de devenir une compagnie internationale intégrée concurrente des majors traditionnelles.
Elle possède un portefeuille de participations diversifié géographiquement (Afrique, Asie centrale, Amérique du Nord, Amérique du Sud et Moyen-Orient) et elle représenterait environ 60 % des transactions réalisées par les acteurs chinois à l’étranger. Sinopec est devenue très dynamique après 2007. Ses investissements concernent aussi bien des participations dans l’amont pétrolier (Angola, Gabon, États-Unis, Ouzbékistan, Russie, etc.) que les contrats d’ingénieries et de construction avec l’Iran notamment. Sa stratégie consiste à devenir la première compagnie internationale de raffinage et de pétrochimie.
En 2016, elle est le premier raffineur chinois et le deuxième raffineur mondial. La CNOOC a commencé à investir dans les années 1990 et ses dernières acquisitions sont orientées vers des actifs gaziers. Comparée aux deux autres NOC chinoises, elle représente une faible part de la production de pétrole de la Chine à l’étranger. Enfin, un quatrième acteur important, Sinochem est de plus en plus active dans les IDE chinois.
En parallèle, les NOC chinoises ont développé de nombreux partenariats stratégiques avec les IOC et les compagnies nationales des pays producteurs. Ce renforcement des liens avec les NOC a pour objectifs de réduire les risques d’investissements et de mieux maîtriser les nationalismes pétroliers.
Les NOC chinoises sont ainsi très friandes de barter deals financiers. Ce type d’accords assimilés à des accords de troc pétrole contre crédits permet à la Chine de réduire le risque de non-paiement des prêts et d’améliorer, à moindres frais, sa sécurité énergétique et, pour les pays producteurs, d’avoir l’assurance d’obtenir un prêt financier à longue échéance et de bénéficier de taux d’intérêt plus faibles. Pour la Chine, ces prêts permettent une véritable diversification financière de ses réserves de changes et constituent également un formidable outil pour créer de la dépendance envers Pékin.
La combinaison de ces stratégies a permis aux NOC chinoises d’opérer une mue technologique importante et de prendre l’avantage sur de nombreux terrains de production où les IOC traditionnelles avaient des positions incontestées depuis de nombreuses décennies (Afrique, Moyen-Orient, etc.)… jusqu’à peut-être un jour racheter une grande compagnie internationale ?
Emmanuel Hache, Économiste et prospectiviste, IFP Énergies nouvelles
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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