Grande-Bretagne : polémique autour de la diffusion de la série Netflix « Adolescence » dans les écoles

Par Rachel Roberts
23 avril 2025 03:47 Mis à jour: 24 avril 2025 00:57

Des professionnels britanniques du monde de l’éducation ont lancé une pétition demandant à ce que le gouvernement britannique renonce à soutenir la projection de la série Adolescence (Netflix) auprès des élèves du pays. La série retraçant l’histoire d’un meurtre à l’arme blanche, les professionnels s’inquiètent de la teneur du message et de contenus choquants.

L’opposition au soutien du gouvernement britannique de diffuser la série Netflix Adolescence dans les écoles s’est intensifiée, plus de 1800 personnes – dont de nombreux professionnels et parents – ayant signé une lettre exhortant le gouvernement à ne pas utiliser la série comme ressource pédagogique.

À la suite de critiques globalement positives et d’appels au Parlement pour que tous les adolescents visionnent la série, Netflix a annoncé que celle-ci serait mise à disposition gratuitement dans les établissements secondaires.

Cette série, déjà vue plus de 125 millions de fois, raconte l’histoire de Jamie, 13 ans, qui poignarde à mort une camarade de classe après avoir apparemment été radicalisé en ligne par la “manosphère” et la culture “incel” (célibataire involontaire), l’influenceur Andrew Tate étant mentionné dans le scénario.

« Ironie et hypocrisie »

La chercheuse doctorante Jaimi Shrive, fondatrice de l’association VictimFocus, est co-auteure de la lettre avec la psychologue Dr Jessica Taylor. Elle se dit surprise de la rapidité avec laquelle Adolescence, classée 15+, a été validée comme outil pédagogique.

Jaimi Shrive a déclaré à Epoch Times : « Il y a une ironie et une hypocrisie ici, car dans la série Adolescence, on voit des enseignants qui se contentent de passer des film au lieu d’enseigner, dans un environnement d’apprentissage prétendument passif. Et ce que cette proposition fait, c’est exactement cela. »

Elle s’est interrogée sur la pertinence de montrer une telle série à des jeunes impressionnables dans un cadre scolaire, de nombreux enseignants n’étant pas formés pour assurer un accompagnement adapté.

« Il y a un risque de semer encore plus de confusion, voire de provoquer une radicalisation chez des enfants qui pourraient sympathiser avec le personnage principal, d’autant plus qu’il est présenté de manière assez empathique », a-t-elle expliqué, évoquant le fait que la victime, Katie, n’a pas de voix dans la série, seulement l’allusion qu’elle aurait harcelé Jamie.

Ce n’est pas une ressource psychoéducative

« Ce n’est pas une ressource psychoéducative. Elle n’a pas été conçue comme telle. C’est une œuvre dramatique très importante et excellente. Elle mérite d’être connue des parents, mais ce n’est certainement pas quelque chose à montrer collectivement aux enfants. »

Certains commentateurs s’interrogent sur la pertinence de traiter cette fiction comme s’il s’agissait d’un documentaire, alors qu’elle ne reprend pas d’événements réels. D’autres experts estiment qu’il n’existe pas de preuve solide d’un endoctrinement généralisé des adolescents par la culture “incel” et que considérer la série comme un commentaire social risque d’engendrer une « panique morale » et de diaboliser la masculinité comme étant « toxique ».

Pour Mme Shrive, le terme de « panique morale » n’est pourtant pas exagéré, car selon elle, les preuves d’une radicalisation des jeunes garçons sur internet via des contenus misogynes parlent d’eux mêmes. Pour autant, dit-elle, ce ne sont pas les influenceurs qui posent le plus grand danger, mais l’accessibilité quasi illimitée à des contenus pornographique extrêmes et violents.

« Si vous regardez le site Pornhub, plus de 90 % des vidéos comportent une forme de violence contre les femmes. On sait que plus de 50 % des utilisateurs sont des enfants, et de même, plus de 50 % des enfants de 10 ans ont vu de la pornographie », indique-t-elle, se référant à une étude de 2016 commandée par la NSPCC, une association britannique pour la prévention de la cruauté envers les enfants.

Mme Shrive a ajouté que bien que les agressions au couteau entre enfants soient en augmentation, les recherches montrent que les « méthodes de choc » ont peu d’impact sur le changement culturel, et que les films percutants peuvent traumatiser les enfants sensibles ou victimes d’abus.

« Je me souviens qu’à l’école, on nous montrait des films sur les dangers de l’exploitation sexuelle des enfants en ligne. Les préoccupations étaient réelles, avec tous les salons de discussion qui existaient, et le phénomène de grooming. Mais je me souviens que c’était assez effrayant et que certains enfants qui avaient subi des abus semblaient revivre leur traumatisme. »

(L-R) Erin Doherty as Briony Ariston, Owen Cooper as Jamie Miller in "Adolescence." (Courtesy of Ben Blackall/Netflix © 2024)
(De g. à dr.) Erin Doherty dans le rôle de Briony Ariston, Owen Cooper dans le rôle de Jamie Miller dans Adolescence. (Crédit photo : Ben Blackall/Netflix © 2024)

« Normaliser » l’exceptionnel

Molly Kingsley, du groupe de campagne Us For Them, estime que la volonté du gouvernement britannique d’imposer la série dans les écoles constitue un abus « scandaleux » de l’autorité publique.

« Je ne sais pas ce qu’on essaie de faire aux enfants en leur montrant cela à l’école — les éduquer, les effrayer ou les culpabiliser ? », a-t-elle déclaré à Epoch Times.

« Cela place la responsabilité de ces situations atroces — fictives ici, ne l’oublions pas — sur les épaules des enfants, alors que ce sont les adultes qui devraient les protéger. Cela risque aussi de normaliser une chose rare ; cela envoie le message que ce genre d’événements se produit dans toutes les écoles, alors que ce n’est pas du tout le cas pour la majorité des élèves. »

Son avis est soutenu par les données du programme Prevent, principal outil britannique de lutte contre l’extrémisme chez les jeunes, qui a enregistré seulement neuf signalements liés à une radicalisation de type “incel” en 2023–2024, soit 2 % des cas pris en charge par sa branche d’intervention.

Molly Kingsley et Jaimi Shrive reconnaissent que l’usage excessif d’écrans chez les enfants est un problème réel et complexe qui devrait être abordé de manière plus « globale» qu’à travers la simple projection d’une histoire pour les plus de 15 ans.

« Ce qui a probablement le plus sonné juste dans Adolescence, c’est de voir cette génération zombie créée par les smartphones. Tous ces enfants qui traversent l’école, la tête baissée, le regard fixé sur l’écran, sans jamais lever les yeux, comme dans une sous-culture technologique entièrement façonnée. »

Owen Cooper as Jamie Miller in "Adolescence." (Courtesy of Netflix © 2024)
Owen Cooper dans le rôle de Jamie Miller dans Adolescence. (Crédit photo :  Netflix © 2024)

La fausse étiquette de documentaire

La Family Education Trust (FET), une association britannique qui milite pour la responsabilité sociale et les valeurs familiales, a exprimé son opposition à la diffusion de la série en milieu scolaire, notant que celle-ci a été à tort présentée comme un documentaire par le Premier ministre et d’autres personnes.

« Bien qu’Adolescence soit un drame percutant avec d’excellents acteurs, nous sommes préoccupés par la réaction impulsive qu’il a suscitée, amenant le Premier ministre à déclarer souhaiter que tous les élèves de plus de 11 ans la regardent. »

« Parler d’ “incels”, de célibataires involontaires, pour désigner des enfants de moins de 16 ans revient à considérer comme normal que des enfants de 13 ans aient des rapports sexuels. Il n’est nulle part question de l’âge légal du consentement, ni du fait que les enfants ne peuvent pas légalement avoir de relations sexuelles. »

La FET rappelle que les enfants se développent à des rythmes différents, et que nombre de jeunes de 13 ans n’ont pas encore atteint la puberté.

« La plupart ne sont pas sexuellement actifs et beaucoup n’ont même pas encore ressenti d’attirance. Les qualifier de « célibataires involontaires” parce qu’ils n’ont pas eu de relations sexuelles risque de leur faire croire qu’ils ont un problème. »

« Diabolisation » des garçons blancs de la classe ouvrière

La FET se dit particulièrement inquiète de la possible « diabolisation » des garçons blancs issus des milieux populaires.

« La série présente les garçons blancs de la classe ouvrière comme s’ils étaient tous des violeurs et des meurtriers en puissance, en particulier s’ils passent beaucoup de temps en ligne. Cela ne repose sur aucune donnée. »

« Bien qu’il existe un problème de violences au couteau au Royaume-Uni, les victimes comme les auteurs sont en majorité des jeunes hommes noirs résidant dans les zones urbaines. Selon l’Office for National Statistics, un tiers des crimes à l’arme blanche a lieu à Londres et est lié aux gangs. »

(L-R) Ashley Walters as Detective Inspector Bascombe, Faye Marsay as Detective Sergeant Frank, in "Adolescence." (Courtesy of Ben Blackall/Netflix © 2024)
(De g. à dr.) Ashley Walters dans le rôle de l’inspecteur Bascombe, Faye Marsay dans le rôle de l’enquêtrice Frank, dans Adolescence. (Crédit photo : Ben Blackall/Netflix © 2024)

La FET ajoute que les statistiques montrent une forte corrélation entre l’absence paternelle et la criminalité chez les jeunes hommes — un phénomène particulièrement répandu dans certaines communautés non-blanches.

« Les scénaristes ont choisi de montrer un garçon blanc issu d’une famille stable, avec des parents mariés, alors qu’en réalité, 76 % des jeunes hommes incarcérés en Angleterre et au Pays de Galles ont grandi sans père, et plus d’un tiers des mineurs en prison sont noirs. Il doit être possible d’aborder ces sujets sans être accusé de racisme. »

Soutien du Premier ministre et inspiration de faits réels

Soutenant la diffusion de la série à l’école, le Premier ministre Sir Keir Starmer a déclaré l’avoir regardée avec son fils de 16 ans et sa fille de 14 ans, et a trouvé qu’il s’agissait d’un « très bon drame ». « La violence perpétrée par de jeunes hommes influencés par ce qu’ils voient en ligne est un vrai problème. C’est odieux, et nous devons y faire face. »

M. Starmer a reconnu qu’il n’existait « pas de solution miracle » ni de « levier politique unique » pour répondre à la complexité des problèmes abordés par la série, qui a été visionnée plus de 66 millions de fois dans ses deux premières semaines.

Les auteurs et co-créateurs Jack Thorne et Stephen Graham ont précisé que la série ne s’inspire pas d’événements réels et n’a pas pour but de commenter la question raciale, mais bien de parler de la misogynie et la violence masculine envers les filles et les femmes.

M. Graham, qui joue aussi le père de Jamie dans la série, a confié au magazine Radio Times que l’inspiration venait en partie du meurtre d’Ava White, 12 ans, à Liverpool, par un jeune garçon de 14 ans dont l’identité n’a pas été révélée, et de celui d’Elianne Andam, 14 ans, à Londres, par Hassan Sentamu, un jeune homme de 17 ans. Il a aussi évoqué le meurtre de Brianna Grey, qui s’identifiait comme étant transexuel, par deux adolescents de 17 ans, une jeune fille Scarlett Jenkinson et un jeune homme Eddie Ratcliffe, imprégnés de contenus violents en ligne.

La cheffe de l’opposition conservatrice, Kemi Badenoch, a indiqué à la BBC qu’elle n’avait pas regardé la série, et « ne le ferait probablement pas », ajoutant : « De la même manière que je n’ai pas besoin de regarder Urgences pour comprendre ce qui se passe [dans les hôpitaux], je n’ai pas besoin de voir un drame Netflix pour savoir ce qui se passe. C’est une fiction, pas un documentaire. »

Financements publics

La ministre de l’Intérieur britannique, Yvette Cooper, a annoncé une révision de la lutte contre la misogynie sur le modèle antiterroriste, un mois après la victoire travailliste aux élections générales. Le gouvernement affirme vouloir faire appliquer et renforcer la loi sur la sécurité en ligne.

La ministre de l’Éducation, Bridget Phillipson, a laissé entendre qu’elle souhaitait inclure dans les programmes l’influence des contenus misogynes et pornographiques en ligne, ainsi que l’enseignement du consentement, bien que les détails restent à venir.

British Prime Minister Sir Keir Starmer holds a roundtable meeting with "Adolescence" writer Jack Thorne (R) at Number 10 Downing Street in London on March 31, 2025. (Jack Taylor/Getty Images)
Le Premier ministre britannique Sir Keir Starmer lors d’une réunion avec le scénariste Jack Thorne (à dr.) à Downing Street, le 31 mars 2025. (Jack Taylor/Getty Images)

Mais la FET s’inquiète de voir que l’on enseigne aux enfants que la masculinité serait « toxique », alors que l’on promeut sans nuance l’« empowerment » (le pouvoir d’agir) des filles.

Dans son rapport 2024, la FET indique que 3 écoles sur 10 enseignent que la masculinité est problématique. « Dire aux garçons qu’ils sont “toxiques” simplement parce qu’ils sont des garçons, ne fera que les pousser davantage vers des influenceurs misogynes comme Andrew Tate. »

« Pour ceux qui participent — même en marge — à des comportements de harcèlement, de misogynie ou de violence, le visionnage d’Adolescence pourrait renforcer ces tendances, et pourrait même pousser d’autres élèves à rechercher les contenus justement dénoncés dans la série. »

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