ENTRETIEN – Antisémitisme à Sciences Po, liberté d’expression et élections européennes, le politologue et éditorialiste sur Cnews et Sud Radio, Guillaume Bigot, analyse pour Epoch Times ces sujets qui font l’actualité. L’essayiste considère que certains étudiants de la prestigieuse école pratiquent un « antisémitisme de carnaval » par haine d’eux-mêmes. Guillaume Bigot met également en garde contre « un désintérêt de plus en plus croissant du public pour l’information et le débat » qui menace la liberté d’expression.
Epoch Times – Quel regard portez-vous sur ce qu’il s’est passé le 12 mars à Sciences Po ? Ces actes antisémites s’inscrivent-ils dans l’idéologie woke ou dans l’antisémitisme de gauche de la fin de XIXe siècle ?
Guillaume Bigot – Je pense que c’est une sorte de jeu. Ces individus jouent à l’antisémitisme ou à l’antisionisme, de la même manière que des enfants jouent aux cow-boys et aux indiens. Nous avons affaire à de jeunes bobos très lâches qui sont dans l’outrance. Je ne crois pas du tout que ce soit sérieux. C’est une sorte de « commedia dell’arte », de « néantisme » de la part de gens animés par une très forte haine d’eux-mêmes sur le plan culturel puisque la plupart sont occidentaux. Donc il y a quelque chose qui ressemble à l’antisémitisme, mais il s’agit davantage d’un antisémitisme de carnaval.
Il y a quand même une filiation avec l’antisémitisme de gauche de la fin du XIXe siècle. C’est d’ailleurs ce même antisémitisme de gauche qui a alimenté un autre beaucoup plus virulent, le national-socialisme, même si l’antisémitisme nazi possède une dimension raciale et pseudo biologique qui lui est propre. On retrouve également cette détestation des Juifs dans l’anarchisme de gauche qui les assimilent à l’argent et cette idée-là, dérive d’un antisémitisme chrétien. Il y a des transmutations de l’antisémitisme.
Tous ces jeunes gens qui se réclament de la gauche, ont récupéré du marxisme cette idée qu’il y a un lien entre le fait colonial, le fait capitaliste et l’hégémonie des États-Unis d’Amérique. Et comme les États-Unis d’Amérique se rangent du côté de l’État d’Israël et que pour eux, le sionisme correspond au colonialisme, ils mettent tout dans « le même panier », notamment le sionisme et le judaïsme, les Juifs et la puissance financière américaine.
Le wokisme à la mode Sciences-Po qui tend à faire du juif un Occidental au carré porteur de tous les péchés du monde est une idéologie horripilante et détestable mais inoffensive. Les gauchistes des beaux quartiers n’ont strictement aucune influence sur les mosquées salafistes où incubent le type de haine qui a poussé un Mohamed Merah à l’acte.
L’antisémitisme dangereux, celui qui blesse et qui tue non seulement existe et se propage en France mais cet antisémitisme-là est presqu’exclusivement islamiste et maghrébin.
Comment expliquez-vous cette obsession d’une partie du monde étudiant pour la cause palestinienne ? Il n’y a que 6.000 Palestiniens qui vivent en France…
Je crois que cela vient de la lutte nord-sud popularisée par l’Union soviétique pendant la guerre froide. L’URSS avait hérité de l’Empire russe et pour conserver les marges de l’ex-empire, elle avait eu la bonne idée de manipuler les mouvements décoloniaux indépendantistes au début du XXᵉ siècle, ce qui a notamment conduit au Congrès des peuples de Bakou.
Même s’il y a eu très vite une volonté de se défaire de la tutelle soviétique et communiste de la part des non-alignés, il y a quand même eu cette tentation russe d’utiliser la décolonisation quand elle n’avait pas encore été consommée du côté des grands empires européens; et d’alimenter une sorte de ressentiment du Sud à l’égard du Nord à l’époque de la guerre froide.
Ensuite, une fois que la décolonisation était terminée, il ne restait presque plus de colonies ; la question de la création de l’État d’Israël a donc été vue comme le dernier vestige ou le dernier témoin d’une situation coloniale, ce qui est par ailleurs, très discutable.
Et puis, les mouvements nationalistes arabes se sont réclamés de la décolonisation et de la lutte entre le Nord et le Sud.
Mais de nos jours, le combat anticolonial a changé, surtout avec l’avènement de l’islamisme. L’islamisme n’est pas du tout anticolonialiste ou anti-impérialiste. C’est une idéologie qui vise à installer un pouvoir religieux musulman sunnite. C’est ce que cherche à faire le Hamas et les Frères musulmans. Nous sommes donc extrêmement loin de la pensée historique décoloniale. Je pense que tous ces jeunes qui s’en réclament l’utilisent en prétexte pour se détester, pour s’autoflageller.
Il a beaucoup été reproché à ceux qui nous gouvernent de ne pas vouloir nommer les choses. Que craignent-ils?
Nos dirigeants sont très influencés par l’idéologie américaine gauchiste, celle des Young Global Leaders. Ils sont fascinés par les États-Unis et le courant de pensée qui est diffusé dans leurs universités. Et cette idéologie est une recombinaison de deux souches.
La première vient de France, ce que les Américains appellent la French theory, et la deuxième qui est proprement américaine, c’est ce que décrit très bien Tocqueville dans ‘La démocratie en Amérique’, c’est-à-dire le fond puritain fanatique dans la mentalité WASP (White Anglo-Saxon Protestant, ndlr), autrement dit, la volonté de traquer le mal originel. Des sorcières de Salem, en passant par maccarthysme et jusqu’à Judith Butler, il y a une filiation. Ce pays est obsédé par le mal qui se trouve à l’intérieur et veut se purifier, en quelque sorte. Rappelez-vous que dans les années 1920, l’Amérique a interdit la consommation d’alcool, ce qui est très puritain.
Tout ceci pour dire que le gauchisme correspond à la philosophie de déconstruction mélangée à ce puritanisme extrême.
Le monde occidental, après s’être pensé comme le centre du monde et le garant du progrès, de la justice, de la liberté, de la raison, des sciences, etc, n’est plus aujourd’hui le centre des préoccupations internationales. Je crois que l’idéologie gauchiste est un moyen pour les Occidentaux de continuer à attirer l’attention, mais ils ne souhaitent plus incarner des modèles comme avant, plutôt être des anti-modèles en étant dans l’auto-culpabilisation: esclavage, racisme, etc. L’Occident se comporte comme une vieille actrice qui pour rester sur la scène, décide de jouer le rôle de la criminelle horrible.
L’association Reporters sans frontières avait saisi le Conseil d’État en 2022 reprochant à Cnews son manque de pluralisme. Des journalistes de la chaîne ont été récemment auditionnés par des parlementaires. Interrogé il y a quelques jours par Jean-Jacques Bourdin sur l’interdiction de Cnews, la députée écologiste de Paris, Sandrine Rousseau répondait que « la question se pose ». La liberté d’expression est-elle menacée ?
La liberté d’expression est menacée par le désintérêt de plus en plus croissant du public pour l’information et le débat. Il y a une tentation de fermer une fenêtre qui a été ouverte par le groupe Canal+ avec la création de CNews, qui est un moyen d’oxygéner un peu le débat en proposant autre chose que du politiquement correct caricatural.
La chaîne n’est pas d’extrême-droite, mais rend compte du réel. Elle éclaire des zones volontairement occultées par le politiquement correct : l’insécurité, le trafic de stupéfiants, la violence gratuite, l’immigration de masse, etc.
Mais il y a cette volonté étrange, via la décision du Conseil d’État de sauver le politiquement correct en prétendant que cette ouverture sur le réel serait de l’opinion et que l’information objective et neutre est seulement diffusée par les médias de service public.
À mon avis, la réaction du Conseil d’État est quand même extrêmement dangereuse et cela va se retourner contre eux. Il est vrai que Cnews a une ligne éditoriale plutôt à droite, mais il y a aussi, en dehors de cette ligne éditoriale, le traitement de thèmes qui n’intéressent pas les autres médias, parce que selon eux, cela ferait le « jeu de l’extrême droite ». Et donc, leur réaction a été de vouloir étiqueter tout le monde. Mais dans ces conditions, il faudra aussi mettre des étiquettes sur les journalistes du service public. Il me semble que la question se pose.
Pour moi, Cnews est presque une œuvre de service public, plus particulièrement en éclairant des pans entiers de ce qui se passe dans la société, censurés par des médias soi-disant de service public qui filtrent l’information en permanence.
Mais je crois surtout que l’effondrement du niveau de la formation des journalistes, des citoyens, le manque de curiosité des gens nuisent gravement à la liberté d’expression.
Les élections européennes vont se tenir dans deux mois. Comment analysez-vous les choses ? Est-ce que le résultat va être proche de ce que nous disent les enquêtes d’opinion, un RN largement en tête, une majorité présidentielle qui arrive deuxième et un PS troisième, ou est-ce que la guerre en Ukraine va bousculer le scrutin et va, par conséquent, faire baisser le parti de Marine le Pen ?
En 2022, il y a eu le démarrage d’une guerre. Pour qu’il y ait un effet drapeau, il faudrait qu’il y ait un rebondissement suffisamment spectaculaire des événements, par exemple la défaite totale de l’Ukraine, même si je n’y crois pas beaucoup. Mais au moment où je vous parle, il ne se passe rien sur le terrain qui serait de nature à changer de manière affective, l’état d’esprit, les sentiments de la population et à créer un véritable effet drapeau.
Cependant, il y a probablement une surestimation du score du RN, parce qu’on sait que la participation est faible pour les partisans du RN, qu’elle l’est, en général, pour les partis plutôt eurosceptiques et qu’elle est très forte pour les partis plutôt européistes et donc pour la majorité présidentielle. Cela étant, il est possible aussi qu’il y ait d’autres forces politiques qui puissent incarner le vote utile de sanction du gouvernement. Des gens pourraient voter par exemple pour la liste de Raphaël Glucksmann ou pour les écologistes.
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