Parmi les étranges cheminées féeriques de roches érodées qui jonchent le paysage de la Cappadoce, dans le centre de la Turquie, rien ne laisse supposer qu’une ville souterraine tentaculaire se trouve sous le sol aride.
Durant des siècles, les habitants du plateau anatolien ont sculpté des habitations, des monastères et des villages troglodytes dans la roche volcanique tendre, créant ainsi des décors dignes d’un roman de Tolkien. La Cappadoce stimule l’imagination attirant les touristes pour des randonnées et des vols en montgolfière. Entretemps, un monde souterrain avec des centaines de kilomètres de chambres et de passages reste invisible.
Appelée Elengubu dans l’Antiquité, cette ville troglodyte, récemment redécouverte, a emprunté le nom de son district, Derinkuyu, dans la province de Nevşehir. Abandonné il y a des siècles, le réseau complexe de tunnels de Derinkuyu offrait autrefois un endroit sûr et caché pour ceux qui fuyaient les persécutions.
La ville était – et est toujours – entrelacée de structures en pierre et d’habitations à l’intérieur des terres. Après avoir été abandonnée et s’être fait oubliée au début du XXe siècle, la redécouverte accidentelle de Derinkuyu en 1963 a été attribuée à la rénovation d’une maison. Selon les habitants, un Turc qui agrandissait sa maison a abattu un mur pour découvrir un passage abyssal qui semblait interminable. Cette trouvaille à l’excavation rapide de la ville souterraine. Ce fut le premier des quelque 600 points d’entrée découverts reliant Derinkuyu aux structures supérieures.
De taille gigantesque, Derinkuyu s’étend sur 445 kilomètres carrés et descend à 85 mètres sous terre sur 18 niveaux. Autrefois une ville sous‑terraine animée, Derinkuyu est constituée de quartiers d’habitation pour quelque 20.000 habitants, d’étables pour le bétail, de pressoirs à vin et à huile, de caves, de chapelles, d’écoles, de puits et d’autres commodités. Cela faisait de la métropole souterraine une communauté entièrement autonome dont les habitants pouvaient se couper d’un monde extérieur, souvent dangereux en cas d’invasion ou d’occupation.
Quant à savoir qui a occupé Derinkuyu au fil des siècles et qui l’a créé, les preuves de la présence d’habitations troglodytes en Cappadoce remontent au paléolithique supérieur. Pendant des siècles, le tuf volcanique – une roche constituée de dépôts solidifiés de cendres volcaniques – a permis des excavations avec des outils métalliques simples comme des pelles et des pioches. L’origine la plus ancienne de Derinkuyu a été associée aux Hittites d’Anatolie, qui auraient creusé les premiers niveaux au XVe siècle avant J.‑C. Les artefacts hittites découverts à l’intérieur rendent cette théorie assez crédible.
Puis, les Phrygiens ont envahi la ville vers 1200 avant J.‑C. et l’ont occupée. Réputés pour leurs prouesses architecturales en matière de taille de la pierre dans la région, ils ont probablement construit la majeure partie des infrastructures de la ville. Les Perses et les Seldjoukides ont probablement procédé à d’autres expansions lorsqu’ils sont venus occuper le territoire. Cependant, Derinkuyu a atteint sa taille la plus importante à l’époque byzantine, lorsque les chrétiens ont cherché refuge contre les Arabes musulmans pendant les guerres arabo‑byzantines, de 780 à 1180.
Réseau autonome, la ville offrait à son apogée un refuge à 20.000 habitants et leur permettait de résister aux envahisseurs pendant des mois sans entrer en contact avec le monde extérieur. Les étages supérieurs de Derinkuyu sont constitués de grandes zones de stockage de nourriture sèche et d’étables pour le bétail qui auraient réduit les odeurs désagréables et les gaz toxiques tout en fournissant une isolation vivante pendant les mois les plus froids pour ceux qui vivaient en dessous.
Un puits remontant jusqu’à la ville en surface descend à 55 mètres sous terre, fournissant à la fois la ventilation et l’eau potable pour tout le réseau sous‑terrain. Il pouvait facilement être coupé par le bas pour éviter un empoisonnement potentiellement fatal de l’eau de la ville. Parallèlement, plus de 50 puits de ventilation remontent jusqu’à la surface, alimentant la ville en air frais par le haut. Les passages étaient autrefois éclairés par des torches et des lampes, et de nombreux murs et plafonds restent aujourd’hui noircis par les flammes. L’accès entre les niveaux était facilité par des escaliers taillés dans la roche ou par de périlleux puits verticaux avec des poignées et des pieds taillés dans la roche.
En cas d’invasion, les entrées de chacun des niveaux de la ville comportaient des portes rondes en pierre pesant quelque 500 kilos, qui pouvaient être roulées pour bloquer les intrus. Elles étaient pourvues d’un trou central par lequel les défenseurs pouvaient transpercer leurs assaillants. Les défenses innovantes de la structure sont également visibles dans des passages étroits et claustrophobiques, qui obligent à s’accroupir pour passer. On pense que cette entrave a été conçue à dessein, car elle obligeait l’assaillant à se baisser et donc à adopter une position le rendant vulnérable. Par ailleurs, cela forçait les groupes d’assaillants à se déplacer en file indienne, donnant ainsi un net avantage aux défenseurs.
Outre les fortifications, la ville accueillait des activités éducatives et religieuses. Une chapelle spacieuse avec un plafond voûté en berceau au deuxième niveau est supposée avoir été une école religieuse missionnaire avec des salles d’étude adjacentes. En outre, une série d’escaliers verticaux entre les troisième et quatrième niveaux mène à une église cruciforme au cinquième niveau.
Derinkuyu n’est pas la seule ville souterraine de Cappadoce, même si elle est considérée comme la plus grande. Il existe jusqu’à 200 villes souterraines sur le plateau anatolien, dont 40 descendent à trois niveaux de profondeur ou plus. En outre, un tunnel de 9 km de long relie Derinkuyu à la métropole souterraine voisine, Kaymalki. On peut imaginer que nombre de ces villes souterraines sont accompagnées d’ « autoroutes » souterraines interconnectées pour faciliter les déplacements en toute sécurité entre des habitations éloignées.
Bien que ces lieux soient progressivement tombés en désuétude, les Grecs de Cappadoce ont continué à les utiliser pour échapper aux persécutions périodiques jusqu’au XXe siècle. Ce n’est que lorsque le gouvernement turc a finalement fait évacuer Derinkuyu en 1923 – ses habitants ont été extradés en masse vers la Grèce – que le site a été définitivement abandonné. Après sa redécouverte fortuite en 1963 et son ouverture au public en 1969, le réseau a été fouillé par des milliers de personnes, exploré en profondeur et inscrit en 1985 sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.
Aujourd’hui, les visiteurs sont invités à explorer l’ancienne métropole pour la modique somme de 50 lires turques (1,50 euro). Avec huit niveaux de la ville ouverts au public, les visiteurs peuvent mettre les pieds à l’intérieur et poser les yeux sur une petite fraction de ce monde souterrain autrefois en pleine effervescence, mais il leur est conseillé de le faire en compagnie d’un guide expérimenté.
Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?
Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.