Alors que des pays comme l’Allemagne et la Grande-Bretagne ont entrepris la libéralisation des transports ferroviaires dès 1994, la France a ouvert depuis peu le rail domestique à la concurrence, bien que très timidement encore à ce jour. Alors que le monopole de la SNCF sur le fret a pris fin en 2006, les lignes grande vitesse sont ouvertes à la concurrence depuis décembre 2020. Ne bénéficiant plus, notamment, du monopole de l’exploitation de la ligne Paris-Lyon-Milan, la SNCF se trouve désormais en situation de concurrence avec Frecciarossa, opéré par l’italien Trenitalia, depuis décembre 2021. D’autres opérateurs devraient apparaître progressivement sur le réseau ferré national, ce qui devrait engendrer une augmentation non seulement de l’offre mais aussi de la demande, au bénéfice des usagers.
La libéralisation du rail en Allemagne et en Italie : deux exemples pour la France
L’IREF a déjà écrit dès 2014 que la SNCF devrait prendre pour modèle son équivalent allemand, la Deutsche Bahn (DB). Si la SNCF suit l’exemple de la DB, on peut raisonnablement conjecturer qu’elle pourra enregistrer à terme des résultats comparables. Issue de la fusion de la Bundesbahn à l’ouest et de la Reichsbahn à l’est, la Deutsche Bahn, nouvelle compagnie nationale apparue en 1994, a été transformée en société anonyme. Accusant une dette de 35 milliards d’euros en 1994, la Deutsche Bahn a finalement enregistré un bénéfice en 2016 ! (Elle affiche il est vrai pour 2021 une perte de 1,6 milliards d’euros, les recettes s’étant toutefois accrues de 18,4% par rapport à 2020.) En 2018, le trafic avait augmenté de 50% par rapport à son niveau de 1994. Comment expliquer de tels résultats ? Certainement par l’ouverture à la concurrence, qui est totale depuis 2004. Mais aussi par le fait que 130 000 postes sur 350 000 ont été supprimés lors de la refonte complète du système ferroviaire allemand, tout comme l’a été le statut de fonctionnaire pour les nouveaux arrivants.
L’Italie fait elle aussi figure de modèle en Europe en matière de libéralisation du transport ferroviaire. L’entreprise historique Trenitalia et la compagnie privée Nuovo Trasporto Viaggiatori (NTV), qui a créé la marque Italo, se partagent le marché des lignes à grande vitesse depuis 2012. S’inspirant des compagnies aériennes, Italo tente de se différencier en proposant notamment trois classes : Smart (classe économique), Prima (classe affaires) et Club (première classe). Après plusieurs années déficitaires, et une augmentation de capital en 2015, Italo a réalisé ses premiers bénéfices en 2016. Elle enregistre en 2017 un bénéfice net de 34 millions d’euros et détient en 2018 35% du marché.
L’ouverture du rail à la concurrence profite à tout le monde
Décriée par beaucoup, l’ouverture du transport ferroviaire à la concurrence a pourtant des conséquences très positives, ainsi que l’Allemagne et l’Italie l’ont déjà montré comme nous venons de le voir. Grâce au « service librement organisé » (ou « open access »), les opérateurs qui exploitent une même ligne ferroviaire en France peuvent désormais concevoir librement leur offre commerciale (politique tarifaire, villes desservies, choix du matériel roulant homologué, service à bord…). C’est en vertu de ce principe que la SNCF a été amenée à adapter ses services et ses prix à la demande du marché, à travers la création de l’offre « low cost » Ouigo. De plus, l’introduction de la concurrence s’est traduite par une hausse substantielle des taux de remplissage, aussi bien pour la SNCF que pour Trenitalia.
En définitive, l’ouverture à la concurrence n’a pas seulement été bénéfique pour les usagers, qui peuvent désormais comparer plusieurs offres entre elles et choisir celle qui leur semble la plus intéressante, au meilleur prix ; elle l’a aussi été pour Trenitalia et même pour la SNCF ! Preuve que l’opérateur historique ne pâtit pas nécessairement de l’ouverture à la concurrence, à condition qu’il sache s’adapter à la nouvelle donne concurrentielle.
Malgré des notifications de nouveaux services en hausse, des barrières à l’entrée encore trop dissuasives
L’Autorité de régulation des transports (ART) a reçu à ce jour plusieurs notifications de nouveaux services (parmi lesquelles Le Train – qui devrait relier plusieurs villes dans l’ouest de la France par TGV à compter de 2025), Midnight Trains, RENFE, et, comme nous l’avons dit, Trenitalia). À côté de barrières à l’entrée évidemment justifiées comme la détention d’un certificat de sécurité, l’habilitation du personnel de conduite, ou encore l’homologation du matériel roulant, d’autres n’ont pas lieu d’être, telles que les difficultés d’approvisionnement en rames de seconde main, inhérentes au fait que le marché de l’occasion n’est pas assez développé en France. Se heurtant à une quasi-impossibilité d’acquérir des rames de TGV d’occasion, le nouvel opérateur Le Train a dû revoir entièrement son modèle économique, choisissant finalement de passer commande pour des trains neufs au constructeur espagnol Talgo. Au grand dam de la nouvelle compagnie ferroviaire française, dont l’entrée sur le marché, initialement prévue pour 2023, a dès lors été reportée à 2025.
Il serait également souhaitable que le marché de la location de trains puisse s’élargir en France. On compte certes déjà des acteurs comme Alpha Trains, qui achète des trains et les loue ensuite aux opérateurs en Europe. Alpha Trains dispose d’une flotte de près de 500 trains, mais elle ne comporte pas de TGV. Quant à Akiem (ancienne filiale de la SNCF), qui propose également à la location du matériel roulant, sa flotte ne comprend pas non plus de TGV. On peut donc considérer qu’un nouvel opérateur potentiel qui souhaiterait pouvoir louer des TGV – du fait qu’il n’aurait pas la possibilité d’investir dans des TGV neufs – est ainsi dissuadé d’entrer sur le marché.
Une ouverture à la concurrence encore trop limitée
À compter de décembre 2023, les régions et l’État seront tenus de faire des appels d’offres pour les TER et les Intercités. Déjà, en 2021, à la suite d’un appel d’offres lancé par la région PACA pour l’exploitation de la ligne Marseille-Nice, la SNCF a perdu son monopole historique au profit de Transdev, qui devra ainsi, à compter de 2025, et ce pour une durée de 10 ans, doubler le nombre d’allers-retours quotidiens. On peut se réjouir que la SNCF ait été mise en concurrence de la sorte avec un autre opérateur. Mais on ne fait ici que remplacer en quelque sorte un monopole par un autre, fût-il limité dans le temps. D’autre part, il serait préférable que les clients aient le choix entre plusieurs compagnies de chemin de fer.
Enfin, on peut déplorer que le nouvel opérateur choisi, Transdev, ne soit pas un opérateur privé, puisqu’il s’agit d’une filiale de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) – depuis 2018, Transdev est détenu à 66% par la CDC et à 34% par l’allemand Rethmann. (On notera au passage que Transdev bénéficie aussi de l’ouverture à la concurrence du rail européen, faisant partie en 2018 des quelque 450 opérateurs présents sur le réseau allemand, et arrivant même à la deuxième place derrière Deutsche Bahn avec 7% du marché. La SNCF profite d’ailleurs elle aussi de cette ouverture à la concurrence en Europe : outre des filiales comme Eurostar ou Thalys, elle compte aussi une activité « low cost », Ouigo España, assurant les trajets Madrid – Barcelone et Madrid -Saragosse. La SNCF peut donc se montrer compétitive au niveau européen lorsqu’elle sait adapter ses offres et ses tarifs selon les pays.) On le voit, l’ouverture à la concurrence du rail en France reste encore fort limitée. Il faut donc continuer à l’intensifier. Car comme le dit Bernard Roman, président de l’ART, « la concurrence a pour objectif de réintroduire ce qui peut faire défaut dans une situation historiquement monopolistique. Elle incite à l’innovation, à la performance, à la mise en œuvre de politiques de prix permettant d’accroître la demande ».
Article écrit par Matthieu Creson. Publié avec l’aimable autorisation de l’IREF.
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