ENTRETIEN – Le proviseur du lycée Maurice Ravel a quitté ses fonctions à la suite de menaces de mort proférées sur les réseaux sociaux. Le 28 février dernier, il demandait à une élève de retirer son voile. L’anthropologue et auteure du livre : « Le frérisme et ses réseaux, l’enquête », Florence Bergeaud-Blackler revient pour Epoch Times sur ce qui a conduit à ce genre de situation. Pour la chercheuse au CNRS, tout débute il y a une trentaine d’années, quand les Frères musulmans ont commencé à endoctriner les jeunes Français de confession musulmane. Elle déplore que depuis tout ce temps, rien n’ait été fait pour endiguer le phénomène. Entretien.
Epoch Times – Florence Bergeaud-Blackler, que vous évoque le départ de ce proviseur du lycée Maurice-Ravel ? L’Éducation nationale est une nouvelle fois durement frappée.
Florence Bergeaud-Blackler – À l’occasion de cette affaire, je suis allée voir dans les archives ce qu’il s’était passé en 1989 lors d’une affaire à peu près similaire qui était celle dite des « foulards de Creil ».
Trois collégiennes ont refusé d’enlever leur foulard dans la salle de classe, ce qui avait entraîné une controverse très médiatisée, notamment entre deux courants de la gauche. Au nom de ce qu’on appelle aujourd’hui l’inclusivité, l’un d’eux était pour l’admission de ces jeunes filles avec leur foulard, soutenant que si on leur interdisait l’accès à l’école publique, elles partiraient peut-être dans le privé, ou pire elles seraient retirées de l’école tout simplement. Pour ce courant, il s’agissait là d’une exception.
L’autre courant avait bien identifié la pression exercée par des « intégristes » (dans les années 1980, on ne parlait pas d’islamisme, mais d’intégrisme) et y voyait un danger. Elisabeth Badinter, Régis Debray, Alain Finkielkraut, Elisabeth de Fontenay et Catherine Kintzler avaient alors très bien posé les termes du débat et mis en garde dans une tribune, « Profs, ne capitulons pas ! », publiée sur Le Nouvel Observateur.
On se retrouve 35 ans plus tard avec exactement la même problématique, mais à un niveau quantitatif beaucoup plus important. Nous n’avons pas avancé d’un pouce dans notre analyse et dans notre compréhension de ce phénomène qui caractérise pour moi l’idéologie frériste, celle que j’analyse en détail dans mon livre.
Les Frères musulmans ont toujours dit que la priorité pour eux était de garder le contrôle de l’éducation des jeunes musulmans. Cette affaire de Creil a été l’occasion de leur première véritable offensive, une déclaration d’une guerre de très basse intensité qui a commencé à l’école mais qui s’est déployé ailleurs dans les autres secteurs, la santé, le commerce halal etc.
Les Frères espéraient que les familles musulmanes retireraient leurs enfants de l’école de la République, mais comme celle-ci était gratuite, cela ne se produisait pas. Les Frères canal historique ont accepté d’abandonner cette bataille du voile – avec la loi 2004 – en échange d’une position de co-représentant du culte musulman au Conseil français du culte musulman (CFCM), mais ils n’ont jamais renoncé à la guerre. Donc, ce sont les jeunes, qu’ils ont réislamisé, qui sont partis au front avec des offensives pour imposer le bandana, puis l’abaya, pour éviter certains cours jugés hostiles à l’islam qui heurteraient la sensibilité des jeunes musulmans.
Un récent sondage Ifop indiquait que la norme islamique devrait gouverner les choix alimentaires pour 86 % des musulmans, que 79 % des musulmans pensent que la norme islamique doit réguler les relations intimes (contre 19% pour les autres religieux), même chose pour le choix des amis, on est à 47 % chez les musulmans contre 22 % pour les autres religions.
Pour vous, ce qu’il s’est passé au lycée Maurice Ravel à Paris découle donc directement de la stratégie frériste ?
Oui, ça découle directement de la stratégie frériste qui avait d’ailleurs été bien exposée dans un document de l’ISESCO publié en 2000 par le Qatar – par ailleurs financeur des réseaux fréristes et qui exerce un soft power très important dans le monde en finançant des équipes de foot, par exemple. Pour rappel, l’ISESCO est une organisation issue de l’Organisation de la coopération islamique (COI), l’équivalent de l’UNESCO pour l’ONU.
Dans cette stratégie intitulée « Stratégie de l’action islamique culturelle à l’extérieur du monde islamique », il est très clairement indiqué qu’il faut éviter que les jeunes musulmans adoptent les valeurs et la vision du monde des sociétés sécularisées. Il est même précisé que les séculariser reviendrait à leur ôter leur identité de musulman et qu’ils risqueraient ainsi de devenir des délinquants. Cette stratégie est effectivement celle qui s’applique, nous le savons depuis 20 ans, les Frères ayant annoncé qu’ils empêcheraient les enfants musulmans de s’assimiler.
Ainsi, il y a une trentaine d’années, nous avons assisté aux prémices de l’endoctrinement de la part des Frères musulmans. C’est une confrérie parfaitement secrète, nous n’avons pas vu ses techniques d’entrisme et d’influence dans les écoles et les universités, mais aussi dans tous les secteurs de la société. Aujourd’hui, les citoyens se rendent compte que le phénomène s’aggrave et que rien ne lui est opposé.
De son côté, le rectorat a évoqué, « un départ à la retraite anticipé pour convenance personnelle ». Comment analysez-vous cette sémantique ?
La « convenance personnelle » est un terme relativement neutre qui ne me choque pas s’agissant de l’administration publique. Qu’elle ne compatisse pas, ne s’émeuve pas et qu’elle publie des propos relativement neutres est assez déplaisant, c’est certain, mais c’est l’administration.
Dans ce cas, le proviseur a été immédiatement soutenu par la ministre de l’Éducation nationale Nicole Belloubet. Mais c’est vraiment une réaction de myope, sans mémoire et sans visée à long terme. L’administration se montre neutre très bien. Mais elle pourrait aussi se montrer neutre s’agissant des recherches sur l’islam qui ne sont plus impartiales. Il y a des centaines de mémoires soutenus sur l’islamophobie mais de très rares travaux sur cette montée, qui semble inexorable, de l’islamisme.
C’est ce temps perdu depuis des décennies que nous payons aujourd’hui et ça ne va pas se rattraper comme ça du jour au lendemain. Il faut qu’il y ait une prise de conscience de nos politiques. Or, je ne la vois pas, je ne la ressens pas.
Le Premier ministre Gabriel Attal a annoncé que l’État a porté plainte contre l’élève pour « dénonciation calomnieuse ». Êtes-vous satisfaite ?
Ce n’est pas satisfaisant, mais c’est indispensable. Je pense même qu’il faudrait donner comme consigne aux administratifs, aux enseignants et aux proviseurs des écoles de ne pas intervenir quand une élève rentre avec un voile ou commet une infraction. Je ne pense pas qu’il existe en France une jeune fille qui ne sait pas que le voile est interdit à l’école, il est inutile de faire un rappel à la loi. Il faut prévenir les forces de l’ordre et interpeller les individus en question. Les forces de l’ordre sont là pour protéger, pour défendre et se défendre. De cette manière, les enseignants et les cadres ne prendront aucun risque.
L’argument de la peur est souvent avancé pour parler de ce que ressentent les enseignants face à ces menaces. Des commentateurs politiques parlent plutôt de problèmes idéologiques qui empêchent la communauté éducative de bien comprendre ce qui les met en danger et prennent l’exemple du vote des enseignants en 2022. Selon le Cevipof, 28 % d’entre eux ont voté Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la dernière élection présidentielle. Qu’en pensez-vous ?
Tous les enseignants ont peur. Il y a quand même eu le traumatisme de la décapitation de Samuel Paty. C’est évidemment d’une violence extrême. Même s’il y a eu ensuite l’assassinat de Dominique Bernard, c’est la mort de Samuel Paty qui a traumatisé les enseignants puisqu’il n’avait absolument pas été protégé. Il avait son marteau dans le sac pour se défendre et c’est tout.
Ensuite, vous avez une idéologie véhiculée par la gauche de la gauche qui explique que finalement les intégristes sont violents parce qu’ils sont malheureux, stigmatisés et dans une situation socio-économique défavorable. Les personnes qui véhiculent ces idées ont également peur mais ils freinent considérablement la lutte contre le frérisme.
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