Quelle est donc cette forme surprenante, un soleil en éruption ? En fait, il s’agit de la pointe racinaire d’une jeune plantule de pin, colonisée par un champignon symbiotique, Cenococcum geophilum. C’est un organe chimérique minuscule – moins de deux millimètres – alliant cellules végétales et filaments mycéliens. Dénommée « ectomycorhize », soit racine-champignon, cette symbiose mutualiste joue un rôle fondamental dans la biologie des arbres et l’écologie des forêts depuis plus de 180 millions d’années.
À travers l’oculaire du microscope confocal, la racine transformée par la présence du champignon symbiotique se distingue par trois composantes structurales.
À la surface de la racine, on distingue d’abord un dense manteau vert (c’est la couleur de la sonde fluorescente) constitué de plusieurs couches de mycélium fongique entrelacées qui encerclent totalement la racine courte. Ce manteau joue un rôle majeur dans le stockage des nutriments produits par l’activité métabolique du champignon et de sa plante-hôte : éléments minéraux, sucres, acides aminés, lipides notamment.
Puis, un réseau de mycélium qui colonise l’intérieur de la racine en progressant entre les cellules de l’hôte, dont les parois sont ici colorées par une sonde fluorescente rouge. C’est au niveau de cette interface plante/champignon que se déroule l’échange symbiotique des éléments nutritifs : glucose et acides aminés circulent de la plante vers le mycélium, alors que les éléments minéraux transitent du mycélium vers la plante.
Enfin, émergeant du manteau, des projections du mycélium s’éloignent de la racine et se projettent dans le sol. Ce mycélium extérieur absorbe les éléments minéraux disponibles et les transporte vers la racine, stimulant la nutrition de l’arbre. De ce fait, la symbiose exerce une forte influence sur la croissance et la santé de la plante hôte.
Dans quelques années, il sera vraisemblablement possible de semer ou de planter des arbres « fortifiés » par des champignons sélectionnés. Ces arbres, protégés par leurs alliés microbiens, seront plus aptes à résister aux conditions environnementales stressantes imposées par les dérèglements climatiques.
Interagir avec de nombreuses espèces de champignons
Un arbre peut interagir simultanément avec plusieurs centaines d’espèces de champignons symbiotiques, par exemple des bolets, des lactaires, des cortinaires ou des amanites. En forêt, toute perturbation environnementale a un impact néfaste sur cette diversité.
En effet, les champignons symbiotiques sont très sensibles aux diverses interventions de gestion sylvicole couramment pratiquées dans les forêts aménagées. Par exemple, les éclaircies et les « coupes rases » de régénération provoquent la disparition massive de ces espèces symbiotiques. Les substitutions d’essences sylvicoles ont également un effet néfaste sur les communautés fongiques. Dans de nombreux boisements, le taillis-sous-futaie d’origine est de loin l’état sylvicole le plus favorable à la diversité fongique et toutes les plantations mono-spécifiques, feuillues ou résineuses, conduisent à une forte diminution de la biodiversité fongique. Le tassement des sols par le passage des engins forestiers, le piétinement excessif ou l’exportation des bois morts sont d’autres facteurs liés à l’exploitation forestière qui affectent fortement les communautés fongiques des sols forestiers.
Ces études démontrent que toutes perturbations, d’origine naturelle ou anthropique, retentissent sur les interactions symbiotiques en équilibre plus ou moins instable. Les connaissances actuelles sur les relations forêt-champignons montrent donc clairement que tout projet à long terme de gestion durable des ressources forestières doit se préoccuper de la stabilité des interactions complexes entre champignons et végétaux. Toute réduction de la biodiversité fongique d’un sol représente donc une menace réelle pour la stabilité et la durabilité d’un écosystème forestier.
À l’heure de la COP15, il est urgent de rappeler qu’à peine 5 % des cinq millions d’espèces fongiques de notre planète sont identifiés et répertoriés. Il est donc indispensable de multiplier les expéditions mycologiques dans les « points chauds de biodiversité » afin de parfaire notre connaissance de la stupéfiante diversité des champignons. Ainsi, nous pourrons les protéger et mieux comprendre leurs rôles biologiques et écologiques.
Francis Martin, Directeur de recherche INRAE, Inrae
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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