Coup d’accélérateur ou frein pour l’insertion ? Le gouvernement veut conditionner l’octroi de certains titres de séjour à un niveau minimal de français, disposition du projet de loi sur l’immigration qu’il présente comme une mesure d’intégration, mais dont les associations anticipent des effets pervers.
« Qu’est-ce que c’est, ça ? », demande Ophélie Claustre, professeure de français, après avoir souligné la dernière lettre de plusieurs mots écrits au tableau. « S ! », s’exclament en chœur ses douze élèves. « Et qu’est-ce que ça veut dire ? », poursuit-elle. « Beaucoup ! », répond l’un des apprentis.
Le cours, qui se tient dans les locaux de SJT, prestataire de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), fait partie d’un cursus de français dans le cadre du contrat d’intégration républicaine (Cir). Pour les étrangers qui ne savent ni lire ni écrire dans leur langue maternelle, il peut atteindre 600 heures.
À l’issue ? Aucune obligation de résultat : seule l’assiduité est requise pour obtenir un titre de séjour pluriannuel.
C’est ce que le gouvernement veut réformer, en conditionnant l’octroi de ces cartes de séjour « à la maîtrise d’un niveau minimal de français », selon le projet de texte au menu du Conseil des ministres mercredi et qui doit encore être examiné par le Parlement.
« Donner des objectifs plus ambitieux en matière d’apprentissage du français, c’est une mesure d’intégration », défend Didier Leschi, directeur général de l’Ofii, qui orchestre ces cours.
Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, qui porte le projet de loi, avait avancé en décembre le chiffre d’un étranger en situation régulière sur quatre qui parle ou écrit « très mal le français ». « Comment voulez-vous bâtir un parcours de vie, professionnel, personnel et peut-être citoyen, avec un tel handicap ? », avait-il interrogé à l’Assemblée nationale lors d’un débat sans vote sur le sujet.
En 2021, 76,4% des étrangers en formation Cir ont validé un niveau A1 de français, le plus élémentaire. Un taux qui cache d’importantes disparités. Les étrangers instruits dans leur pays d’origine sont plus de neuf sur dix (93,6%) à avoir réussi le test à l’issue de 100 heures de cours. Un niveau qui dégringole à 42,3% pour ceux ayant suivi un cursus de 600 heures, avec « un taux d’atteinte globalement moindre pour les signataires Asile (Afghanistan, Syrie…) » du Cir, précise Samia Khelifi, directrice de l’accueil et de l’intégration à l’Ofii.
« Une mesure de rattrapage »
« Faire parvenir quelqu’un, non lecteur non scripteur, au niveau A1 en 600 heures, c’est quasiment impossible », estime Marianne Bel, chargée de projet apprentissage du français à l’association La Cimade. Elle dénonce « un projet de loi socialement discriminant » : « Les personnes qui n’ont pas eu la chance d’être scolarisées dans leur pays sont les plus précaires socialement. La loi va maintenir dans la précarité les plus précaires ».
« On est le seul pays d’Europe à ne pas prendre suffisamment en compte la question de la langue. Donc faire en sorte que, pour obtenir un titre pluriannuel, il faille un niveau minimal de français, c’est plutôt une mesure de rattrapage », justifie le patron de l’Ofii Didier Leschi.
Le projet de loi ne prévoit pas de renforcement des formations linguistiques, dont la durée a déjà été doublée en 2018, mais prévoit de mettre à contribution les entreprises en leur demandant de considérer ces cours de français comme « un temps de travail effectif qui donne lieu au maintien de sa rémunération ».
Concernant ceux qui, malgré cela, échoueront à valider un niveau A1, l’Ofii assure que « des orientations » sont prévues en fin de formation, « afin d’intégrer des cours de français complémentaires au Cir, financés par l’État », explique Mme Khelifi.
« On s’adaptera, comme on l’a toujours fait. Il faudra faire en sorte de ne pas laisser ces personnes sur le bord de la route », ajoute Pierre Terroni, responsable de la formation linguistique à l’Ofii.
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