ENTRETIEN – Le directeur-adjoint de la rédaction de Causeur et président des Conservatives Abroad in Paris (conservateurs britanniques en France), Jeremy Stubbs, analyse pour Epoch Times deux événements qui ont marqué l’actualité en Écosse : l’appel à la prière islamique organisé par le Premier ministre Humza Yousaf et une nouvelle loi sur les incitations à la haine.
Epoch Times : Jeremy Stubbs, le Premier ministre écossais, Humza Yousaf, a récemment organisé un appel à la prière islamique à Bute House, la résidence officielle du chef du gouvernement à Édimbourg. Comment analysez-vous cet appel à la prière qui est une première dans l’histoire des Premiers ministres écossais. Peut-on y voir une revendication communautaire ?
Jeremy Stubbs : Il faut quand même savoir que la laïcité à la française n’a pas cours outre-Manche. C’est donc moins choquant que si cela avait eu lieu en France. Et puis le poste de Premier ministre est très récent en Écosse, il remonte à 1999. Il n’y a pas d’ancienneté. Donc, on n’a pas d’exemple. Mais il est vrai que ce geste a toute une signification. On peut y voir certainement une revendication multiculturaliste. D’autant plus qu’aujourd’hui, il y a la guerre entre le Hamas et Israël et les mouvements de gauche pro-palestiniens sont très actifs, même si l’appel à la prière a lieu dans un contexte œcuménique dans la mesure où les représentants d’autres religions étaient invités. Il s’agit donc d’un geste pas tout à fait innocent, bien que des précautions aient été prises pour qu’il ne soit pas interprété comme un geste politique.
Comment la société écossaise a-t-elle réagi à cet épisode ?
Je pense que beaucoup d’Écossais sont surpris et choqués. En même temps, ils sont, pour un très grand nombre, habitués à ce genre d’événements. Il y a eu tellement d’absurdités en Écosse ces dernières années que maintenant ils considèrent cela comme un énième geste absurde.
Vous l’avez dit, il n’y a pas de laïcité à la française en Écosse. Mais depuis 1921, l’Église d’Écosse est séparée de l’État. Humza Yousaf n’a-t-il pas heurté cette séparation des pouvoirs ?
Essayons de bien faire la distinction entre la laïcité en France et ce qu’il se passe outre-Manche. En France, l’Église et son influence ont été plus ou moins éjectées, à tort ou à raison par un mouvement anticlérical qui trouvait que l’Église catholique avait trop d’influence. Par conséquent, la séparation entre la sphère politique et la sphère religieuse est très stricte ici. Au Royaume-Uni, le mot laïcité n’existe pas vraiment. On le traduit souvent par sécularisme. Mais le sécularisme est le fruit, non pas d’une séparation aussi stricte, mais d’une indifférence grandissante à ces questions. L’Église d’Angleterre est toujours l’Église de l’État et elle ne représente pas ou n’est pas vue comme une menace.
Cependant, la séparation entre l’Église d’Écosse et l’État s’inscrit dans un autre processus qui est de séparer cette Église protestante des pouvoirs publics en sachant que le monarque du Royaume-Uni ne joue pas le même rôle dans l’Église écossaise que dans l’Église anglaise. Cela étant, cette séparation clarifie les choses, mais ne conduit pas à une laïcité à la française.
Toujours en Écosse, une nouvelle loi sur les incitations à la haine visant à protéger contre les discriminations liées à la religion, à la transidentité et au handicap fait polémique. Certains Écossais jugent qu’elle porte atteinte à la liberté d’expression. Même le Premier ministre britannique Rishi Sunak a critiqué cette loi: « Nous croyons en la liberté d’expression dans ce pays et les conservateurs la protégeront toujours », a-t-il déclaré. Qu’en pensez-vous ? Le texte menace-t-il la liberté d’expression ?
Ce texte menace la liberté d’expression, non seulement par sa formulation, mais aussi par la manière dont on laisse à la police l’initiative totale de l’appliquer. Une police qui est déjà surmenée et qui n’a pas les ressources pour faire respecter cette loi. Il y a donc un risque d’une application partielle et partiale du texte, c’est-à-dire qu’elle ne va pas viser tout le monde et ceux qui sont les plus faciles à épingler seront dans le collimateur.
Cette loi risque-t-elle également de rétablir un délit de blasphème ?
Pas exactement. Strictement parlant, le blasphème qui n’avait pas été invoqué depuis longtemps a été aboli. Il est clair que dire quelque chose de critique à propos d’une religion constitue potentiellement un crime de haine punissable par la loi. Mais ce que nous ne savons pas, c’est ce qui va constituer une expression de haine dans le domaine religieux.
Une chose est certaine : si cette loi est invoquée dans le domaine de la religion, ce sera beaucoup plus souvent pour islamophobie que pour christianophobie. Et le Premier ministre écossais, qui est lui-même musulman, accuse ses opposants d’islamophobie dès qu’il est critiqué pour quelque chose. On voit donc que la boucle est bouclée et qu’il entend désormais se défendre politiquement à travers une loi qui est presque une loi contre le blasphème déguisée.
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