Après des années de négociations très tendues, l’Union européenne a enfin trouvé un accord sur la révision du règlement concernant les stocks de poissons en eau profonde dans l’Atlantique du Nord-Est.
L’accord a été conclu le 30 juin lors de la dernière occurrence d’une série de « trilogues », ces négociations informelles entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission. Le nouveau règlement va remplacer un texte datant de 2002, largement considéré comme inadapté et inefficace.
Une pratique destructrice
L’UE reconnaît depuis longtemps que le chalutage profond présente « le plus grand risque de destruction des écosystèmes marins vulnérables et irremplaçables » et « entraîne des niveaux élevés de captures indésirées ».
Des avancées technologiques ont permis le développement dans les années 1980 de cette technique de pêche qui se pratique à des profondeurs variant entre 200 et 4000 mètres. Très vite, des questions se sont posées sur son impact. En raclant les profondeurs des océans, les chaluts ont en effet une action destructrice sur les écosystèmes des grands fonds, tels que les coraux.
Certains experts considèrent d’autre part que l’exploitation des poissons ciblés par le chalutage profond ne pourra jamais être durable. Ces poissons ont en effet pour la plupart une longue durée de vie et des taux de reproduction extrêmement faibles. Deux espèces ciblées par les chalutiers industriels – le grenadier de roche et la lingue bleue – ont ainsi été placées sur la « liste rouge » de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) l’an dernier .
En dépit de ce constat, des millions sont dépensés chaque année afin de subventionner une flotte de pêche, considérée par beaucoup comme étant non viable économiquement.
Interdiction au-delà de 800 mètres
Le nouveau règlement interdit le chalutage au-delà de 800 mètres de profondeur dans les eaux européennes et gèle « l’empreinte » (ou étendue dans l’espace) des activités de pêche profonde restantes, qui ne pourront avoir lieu que dans des zones déjà chalutées entre 2009 et 2011.
L’accord trouvé comprend aussi une règle d’éloignement (ou « move-on rule »), qui signifie concrètement qu’à partir de 400 mètres de profondeur, les navires pratiquant le chalutage de fond devront cesser de pêcher lorsque leurs prises accessoires (par exemple de coraux ou d’éponges) sont trop importantes.
De nouvelles obligations de contrôle et de transparence vont aussi être mises en œuvre : obligation de fournir des informations publiques sur les navires ciblant les espèces profondes ou encore la présence obligatoire à bord de 20 % de ces bateaux d’un observateur chargé de vérifier que les données de pêche sont correctement collectées.
Cet accord doit beaucoup au combat mené sans relâche des ONG, telles que Bloom ou la Deep Sea Conservation Coalition. Ces organisations ont salué le résultat obtenu lors des dernières négociations et souligné que le nouveau règlement va aider l’UE à se mettre en conformité avec les recommandations des Nations unies sur les pêches profondes (voir à ce propos la comparaison entre ces recommandations et le nouveau règlement UE).
Il faut souligner à ce titre que cet accord s’inscrit dans la lignée d’efforts entrepris ces dernières années au niveau mondial afin de protéger les écosystèmes des grands fonds de l’impact des chaluts. Ainsi, depuis le début des années 2000, plusieurs zones en haute mer ont été fermées au chalutage profond. Des progrès restent cependant à faire afin de mieux réglementer l’impact de cette pêche qui ne concerne qu’un petit nombre de pays en dehors de l’Union européenne (notamment l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon, la Corée du Sud et la Russie).
Les limites de l’accord
Des concessions, venues amoindrir l’ambition originelle du nouveau règlement, ont cependant été réalisées au cours des négociations. Recommandée par les scientifiques, l’interdiction du chalutage au-delà de 600 mètres de profondeur n’a ainsi pas été retenue. Pourtant, les chercheurs avancent que c’est à partir de cette profondeur que l’impact écologique de la pêche croît considérablement (avec notamment un plus grand nombre de prises accessoires, non désirées) tandis que, dans le même temps, la rentabilité économique des opérations commence à décroître.
De plus, à la suite d’un lobbying intense de la part du gouvernement espagnol, les eaux internationales de l’Atlantique du Nord-Est ont été enlevées du champ d’application du nouveau règlement. Concrètement, cela signifie que le chalutage profond va continuer en haute mer, au-delà des eaux européennes.
Il reste enfin à démontrer quel niveau de protection ces fermetures de zones à la pêche vont réellement offrir. Les gouvernements ont parfois annoncé avec emphase que des fermetures similaires étaient des victoires pour la biodiversité, alors même que très peu d’activités de pêche s’y déroulaient.
Ce fut le cas par exemple de la Nouvelle-Zélande qui, en 2007, ferma au chalutage profond 32 % des eaux se trouvant sous sa juridiction. Or, la plupart de ces zones se situaient à des profondeurs auxquelles il n’était pas possible de pêcher et la fermeture ne causa au final qu’une réduction de 0,2 % de l’effort de pêche au chalut de fond.
Cet accord informel, adopté le 12 juillet par la Commission de la Pêche du Parlement européen (PECH), doit encore être approuvé en session plénière au mois de novembre, puis par le Conseil. Il entrera probablement en vigueur au début de l’année prochaine.
Glen Wright, Research Fellow, Iddri et Elisabeth Druel, Ex-chargée d’études sur la gouvernance de la biodiversité marine, Iddri
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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