Le cabinet du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu est confronté à une question épineuse : que faire de l’exemption de service militaire dont bénéficient les hommes ultra-orthodoxes ?
Actuellement, les Forces de défense israéliennes (FDI) sont victorieuses sur plusieurs fronts, notamment à Gaza, au Liban et en Syrie, alors que les inimitiés non résolues en Iran et au Yémen se poursuivent plus loin.
Les réservistes de Tsahal, épuisés par une année de guerre, ont besoin de répit.
Fortement tributaire de ses soldats de réserve, Israël a procédé à l’appel le plus important de son histoire après l’attaque du 7 octobre, mobilisant 287.000 soldats.
En juin 2024, le gouvernement a augmenté le nombre maximal de soldats appelés par l’armée israélienne pour le porter à 350.000. La plupart d’entre eux portent toujours l’uniforme et sont absents de leur travail, de leur entreprise et de leur famille.
La coalition de Netanyahu s’appuie sur une importante faction ultra-orthodoxe, ou Haredi. Or, les autres membres de la coalition affirment qu’ils ne peuvent plus justifier l’exemption des Haredim du service militaire.
Très religieux et vivant dans des communautés très unies qui évitent de trop se mêler au monde extérieur, les Haredim, parfois appelés familièrement « les chapeaux noirs », représentent la liberté religieuse des Juifs que l’existence même d’Israël incarne. Ils se considèrent comme menant un style de vie favorable à la famille, dont le monde séculier pourrait s’inspirer.
Ils pensent que l’armée cherche à les dépouiller de leur identité religieuse, à renverser la séparation des sexes et à les incorporer de force dans le monde séculier.
Mais de nombreux autres Israéliens pensent que le coût de leur mode de vie est trop élevé pour être supporté au cours d’une guerre dévastatrice.
Scission politique
En juin, la Cour suprême d’Israël a statué, dans un arrêt historique, que les jeunes hommes haredi n’étaient plus exemptés de l’appel sous les drapeaux. L’armée israélienne a annoncé qu’elle commencerait à envoyer des avis de conscription, ce qui a déclenché des manifestations massives des Haredim. En novembre, le nouveau ministre de la Défense, Israël Katz, a approuvé l’incorporation de 7000 hommes haredi.
Des personnalités haredi ont accusé le Likoud de Netanyahou de « déclarer la guerre » à leur communauté. M. Katz a réagi en émettant 1125 mandats d’arrêt contre des conscrits haredi qui n’avaient pas répondu aux ordres de mobilisation.
Son prédécesseur, Yoav Gallant, a déclaré que la question de l’exemption de service militaire était l’une des trois causes de tension qui l’opposaient à Netanyahou depuis des mois. Le premier ministre l’a limogé le 5 novembre.
Dans un discours prononcé quelques heures après son licenciement, Gallant a déclaré que l’exemption de service militaire pour les Haredim n’était « plus seulement une question sociale ».
« C’est la question la plus cruciale pour notre existence », a souligné Gallant.
Le ministre du Trésor, Bezalel Smotrich, et le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, des partisans de la ligne dure alliés sur de nombreux sujets, se sont divisés sur ce point.
En octobre, Smotrich, membre de la communauté orthodoxe nationale qui soutient le service militaire, a fustigé les Haredim pour avoir bloqué le budget national sur la question de l’exemption du service militaire, et a déclaré que sa communauté payait « un prix disproportionné par rapport à sa taille dans la population ».
Ben Gvir a déclaré que, bien qu’il soutienne le service militaire, « [il] ne pense pas que la contrainte y contribuerait ».
Les étudiants haredim des yeshivas n’étaient que 400 lorsque le Premier ministre de l’époque, David Ben Gourion, confronté à la question en 1948 dans un pays tout neuf et déjà en guerre, les avait exemptés.
En raison de leur taux de natalité élevé, les Haredim représentent aujourd’hui environ 18 % des jeunes Israéliens de 18 ans et 13 % de la population du pays.
Pressions économiques
Le problème est à la fois économique et militaire.
Historiquement, les réservistes israéliens n’ont eu à effectuer que quelques semaines de service consécutives. Leurs emplois, leurs entreprises et leurs familles pouvaient s’en accommoder. La guerre de 1967 a duré six jours. La guerre du Kippour de 1973 a duré trois semaines.
Mais la guerre déclenchée par l’attaque du Hamas le 7 octobre dure depuis 15 mois. Elle a entraîné la disparition de 46.000 entreprises en 2023, et l’on prévoit la fermeture de 60.000 autres en 2024.
Israël a dû allonger son service militaire obligatoire après l’avoir réduit de trois mois lorsqu’il avait jugé improbable une guerre à grande échelle.
Aujourd’hui, la nation doit remettre ces trois mois à plus tard. Les hommes servent pendant trois ans et les femmes pendant deux ans.
Dans un rapport récent, les fonctionnaires du Trésor ont évoqué un « besoin économique certain d’augmenter le nombre de recrues de Tsahal issues de cette population le plus largement possible ».
Le recrutement d’un millier d’Haredim par an pour le service militaire permettrait aux réservistes de bénéficier de deux semaines de congé supplémentaires par an. Les enrôler pour des emplois non militaires, comme le service national, ou pour le ZAKA – les premiers intervenants qui s’occupent des corps des victimes du terrorisme conformément à la loi religieuse juive – ne suffit pas, selon le rapport.
Ils ont un impact sur l’économie israélienne d’une autre manière, a déclaré à Epoch Times Leon Hadar, membre de l’Institut de recherche sur la politique étrangère, un groupe de réflexion de Philadelphie. Alors qu’une grande partie du pays jouit d’un niveau de vie supérieur à celui de certains pays d’Europe occidentale, les données économiques sont tirées vers le bas par les populations haredi et arabes les plus pauvres, a-t-il expliqué.
Il écrit également pour le journal israélien Ha’aretz, le Business Times of Singapore, National Interest et d’autres publications.
D’une certaine manière, même les Arabes israéliens réussissent aujourd’hui mieux que les Haredim à trouver un bon emploi. De nombreux hôpitaux israéliens comptent d’importants contingents d’Arabes parmi leurs médecins et leurs infirmières.
Les Haredim, quant à eux, ont tendance à manquer de compétences en mathématiques et en langues, comme l’anglais. Cela, ajouté aux exigences de leur observance religieuse ultra-stricte, les empêche d’être compétitifs dans une économie moderne.
Un rapport de 2019 de l’Institut israélien pour la démocratie a révélé que seuls 51 % des hommes haredi étaient employés, et 76 % des femmes. Le taux de pauvreté des Haredim était de 44 %, soit le double de celui de la population générale, et leur revenu familial moyen représentait environ les deux tiers de celui des autres ménages juifs d’Israël.
Les Haredim représentent environ 13 % de la population israélienne, mais leurs enfants constituent 26 % de la population israélienne en situation de précarité alimentaire.
Toutefois, les chercheurs ont constaté que le taux de pauvreté chez les Haredim avait diminué au cours des quatre années précédentes. Ils attribuent ce changement à l’augmentation du nombre de femmes haredi qui travaillent, à davantage de subventions gouvernementales et à un plus grand soutien public aux étudiants des yeshiva et autres écoles religieuses.
Les chercheurs ont souligné qu’il était difficile de déterminer le nombre d’Haredim bénéficiant de l’aide sociale, bien qu’ils aient estimé que ce pourcentage se situait entre 20 et 30 %, compte tenu d’autres données relatives à la pauvreté et à l’aide sociale.
Racines historiques
Pour expliquer les racines de ce clivage, le rabbin Binyomin Friedman, un rabbin haredi d’Atlanta, évoque la confrontation tendue, en 1948, entre un Israël cherchant à rassembler en un seul peuple moderne des Juifs très divers venus du monde entier et une secte profondément attachée aux traditions qu’elle était déterminée à conserver.
Ben Gourion pensait que l’idée d’une armée était d’homogénéiser le peuple pour l’assimiler à une nouvelle identité, a expliqué M. Friedman. Ils ne seraient plus polonais ou yéménites, mais israéliens.
Dans leur confrontation avec Ben Gourion, a-t-il ajouté, les Haredim disaient en fait : « Nous ne voulons pas être Israéliens. Nous voulons être juifs. Nous sommes venus ici pour être juifs. Et c’est tout ce que nous voulons être, des Juifs ».
Israël utilisait, et utilise encore aujourd’hui, le service militaire comme « principal portail » d’accès au système national.
« Tous les jeunes iront dans l’armée. Ils recevront tous un enseignement particulier. Ils seront formés d’une certaine manière. Ils développeront certains liens. Ils parleront une certaine langue [et s’habilleront d’une certaine manière]. Il y aura beaucoup de changements de noms. »
D’autres immigrants abandonnent souvent leurs anciens noms pour adopter des noms israéliens modernes. David Ben Gourion, par exemple, est né en Pologne et s’appelait David Grun. Le nom de famille de Benjamin Netanyahu était Mileikowsky avant que son père ne le change.
« Les hommes et les femmes se côtoient beaucoup et se disent souvent ‘Nous sommes modernes maintenant’ », a ajouté M. Friedman.
Alors que les Israéliens modernes proclamaient la naissance d’un monde nouveau, différent des villages frappés par la pauvreté de Pologne ou du Yémen, la communauté religieuse « s’est vraiment retranchée » et a refusé de participer, en particulier à l’enrôlement des jeunes filles.
« La communauté religieuse a fait comprendre à Ben Gourion qu […] ‘[ils] devront [les] tuer (les parents, ndlr) avant de prendre [leurs] filles’ », a-t-il rapporté.
Israël a instauré un service national comme alternative au service militaire, qui comprend des emplois dans les services sociaux, les hôpitaux, etc. De nombreuses jeunes filles orthodoxes le font aujourd’hui.
Les ultra-orthodoxes, cependant, n’étaient pas d’accord. « Ils ne voulaient pas soumettre leurs filles à ce système et être contrôlés par lui. »
Le gouvernement n’a pas reculé sur ce point. Les jeunes filles ultra-orthodoxes sont toujours tenues d’effectuer leur service national, mais le gouvernement ne les oblige pas.
Pour les garçons, le gouvernement a accepté d’exempter les étudiants des yeshivas, comme d’autres gouvernements ont exempté les étudiants des écoles de théologie.
Selon lui, deux conflits sont à l’origine de cette situation. Les Haredim s’opposent à la conscription parce qu’ils ne veulent pas se soumettre au contrôle d’un État qu’ils considèrent comme « une entité qui ne repose pas sur la Torah ».
Même si les Haredim pouvaient passer outre et admettre que le service militaire est nécessaire au bien-être de tous, ils ne pensent pas que l’armée leur permettrait de mener une vie conforme à la Torah sous l’uniforme.
En outre, ils considèrent que l’armée a été conçue « pour priver les orthodoxes de leur pratique religieuse ».
Les fondateurs d’Israël, comme Ben Gourion, étaient majoritairement laïques, et pour la plupart socialistes. Ils considéraient le judaïsme orthodoxe comme un symbole du monde qu’ils avaient laissé derrière eux et qu’ils jugeaient, en tout état de cause, voué à disparaître en ces temps modernes.
Ces dernières années, l’armée israélienne s’est efforcée de trouver des compromis avec les orthodoxes, mais elle a encore un long chemin à parcourir pour satisfaire les religieux sur des questions telles que la ségrégation entre les sexes.
L’armée considère ses opérations comme une question de vie ou de mort.
Les religieux disent : « Ce que vous nous demandez en réalité, c’est de laisser notre religion à la porte, et nous reviendrons la récupérer lorsque nous repartirons après trois ans de service. La communauté religieuse n’est pas prête à s’engager dans cette voie ».
M. Friedman reconnaît que certains jeunes haredim échappent à la conscription en s’inscrivant dans des yeshivas, mais sans vraiment étudier et en se contentant de « traîner ».
D’autres ont terminé leurs études et ont désormais un emploi. Ils ont été visés par la première série de convocations.
Il a estimé que c’était « un bon début, pragmatique ».
Selon lui, certains membres du gouvernement sont déterminés à annuler l’exemption pour tous les Haredim, notamment pour les étudiants légitimes des yeshivas.
Les orthodoxes nationaux, que Smotrich représente, ont adapté leur théologie dans les premières années du sionisme pour s’adapter à un État qui ne renaît pas selon les enseignements messianiques juifs.
Ils croient que l’État est un précurseur, une étape initiale vers la rédemption messianique, et qu’il deviendra plus religieux avec le temps. Ce qui leur permet de considérer l’État comme faisant partie du plan de Dieu.
MM. Friedman et Hadar ont tous deux noté qu’aujourd’hui, les orthodoxes nationaux ne se contentent pas de servir dans l’armée, ils s’y distinguent et deviennent souvent des leaders. Ils ont enregistré un plus grand nombre de pertes humaines que les autres groupes au cours de cette guerre, a indiqué M. Hadar.
Avec Associated Press (AP) et Reuters
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