« Je suis en paix avec ma conscience » : sa mère souffrait d’Alzheimer, elle l’a accompagnée pendant dix ans chez elle

Par Nathalie Dieul
15 avril 2025 19:58 Mis à jour: 15 avril 2025 19:58

Lorsque Mme Alice a reçu un diagnostic de la maladie d’Alzheimer, sa fille Nicole, infirmière anesthésiste, a fait un choix tout naturel : respecter la volonté de sa mère de ne pas aller en maison de retraite et s’en occuper. Elle lui a ainsi consacré dix ans de sa vie, jusqu’à son dernier souffle à son domicile. Malgré des moments difficiles, elle ne regrette rien, bien au contraire.

« Elle ne voulait pas aller en maison de retraite et moi non plus je n’y tenais pas. Elle voulait décéder dans sa maison », se souvient Nicole, qui a demandé à utiliser des prénoms d’emprunt pour elle ainsi que pour sa mère. « Comme je suis infirmière de métier et que j’étais à la veille de la retraite, c’est un choix que j’ai fait naturellement. Plutôt que de m’occuper des autres, autant que je m’occupe d’elle. »

Ce choix, Nicole l’a assumé pendant dix ans, de 2005 à 2015, sans jamais le remettre en question. « Je n’ai jamais eu de regret de l’avoir fait, même si j’ai pensé que c’était lourd », assure-t-elle. « Je me dis quelquefois que dix ans, c’est long. Moi, je ne m’en suis même pas trop rendu compte. Je l’ai fait parce que je l’ai bien voulu. »

« On pouvait encore aller se promener »

Évidemment, la charge de travail et la charge émotionnelle ont évolué au cours de cette décennie. « Au début, c’était une désorientation, une inappétence face à la nourriture », raconte l’infirmière à la retraite, en entrevue à Epoch Times dans la maison familiale située dans le Morbihan. Les premières années, la prise en charge était légère et la tâche était plutôt agréable. « On pouvait encore aller se promener. »

« Mais en dix ans, les choses se sont bien aggravées », reconnaît la fille d’Alice. La dégradation s’est faite très progressivement. Sa mère a fini par être alitée en permanence et n’avait plus aucune autonomie. Toutefois, « le fait de l’avoir gardée [à la maison], c’est quand même une satisfaction », remarque-t-elle.

Pendant ces dix années, ce que Nicole a trouvé le plus difficile, c’est la perte de sa liberté puisqu’elle devait constamment être auprès de sa mère.

Pendant les années où celle-ci marchait encore, elle pouvait fuguer. C’est d’ailleurs ce qui est arrivé un soir où Nicole avait fini par accepter d’aller au restaurant avec une amie, sur son insistance. Les deux femmes étaient attablées à une terrasse de la petite ville, à 350 mètres de la maison où la retraitée avait laissé sa mère, pensant que cette dernière y resterait. Mais elles ont vu Mme Alice passer dans la rue en chemise de nuit.

« Elle me cherchait. Tout d’un coup, je l’ai vue passer devant le restaurant. Elle était désorientée », raconte Nicole, qui rit aujourd’hui de l’événement, mais qui avait trouvé la scène moins drôle à l’époque.

« Il y avait une complicité entre nous »

À part ces moments difficiles, la proximité que la jeune retraitée a vécue avec sa mère était riche. « Il y avait une complicité entre nous », confie-t-elle.

Un an avant son décès, Mme Alice a été victime d’un gros AVC. Elle a été hospitalisée, puis elle a été transférée en maison de convalescence. À ce moment-là, sa fille aurait très bien pu la placer en maison de retraite sans même que la dame dont la maladie d’Alzheimer avait encore évolué ne s’en rende compte. Toutefois, Nicole n’a pas envisagé cette option.

« J’ai fait le choix de la ramener après une concertation familiale. La famille m’a demandé de la ramener, c’est donc ce que j’ai fait », explique celle qui a deux sœurs et un frère.

Suite à cet AVC, Mme Alice a perdu l’usage de ses jambes. Sa chambre étant située à l’étage, sa fille s’est fait aider pour installer un lit médicalisé dans la salle à manger de la maison, au rez-de-chaussée.

Nicole dans la salle à manger au décor Louis XV qu’elle avait transformée en chambre pour sa mère en fin de vie. (Nathalie Dieul/Epoch Times)

En tant qu’ancienne infirmière, Nicole reconnaît qu’elle a pu s’occuper de sa mère jusqu’au bout grâce à ses connaissances médicales. « Son état se serait plus détérioré si je n’avais pas été infirmière, compte tenu que je pouvais lui apporter des soins en dehors du passage des infirmières et des aide-soignantes », constate-t-elle.

En effet, grâce à tous ces soins, malgré le fait que sa mère ait été alitée à la fin de sa vie, elle n’a jamais eu d’escarres. « Elle a eu une certaine qualité de vie », remarque l’infirmière à la retraite.

Décédée paisiblement chez elle

Mme Alice s’est finalement éteinte paisiblement un beau soir de 2015, dans son lit, à l’âge de 94 ans. C’était un jour bien ordinaire où elle avait mangé des plats qu’elle aimait : des pâtes à la tomate et une verrine à la fraise. Alors que sa fille était à ses côtés jour et nuit – elle dormait même à côté d’elle – la nonagénaire est décédée lors d’un court moment où celle-ci est sortie de la pièce. Ce fait est assez courant selon des études que nous avons commentées dans le dernier article de notre série sur la fin de vie : les mourants ont « l’ultime liberté » de rendre leur dernier souffle seul ou accompagné.

Nicole avait offert une verrine à l’infirmière de passage, puis elle l’avait emmenée dans le salon à côté pour lui en montrer d’autres. Elles y sont restées « un temps vraiment court ».

« Je retourne dans la salle à manger où maman était et j’ai vu les prémices de la mort. Elle avait toute une partie des lèvres cyanosées. Cela venait juste de se produire. Elle avait arrêté de respirer », raconte Nicole.

« Avec l’infirmière, on l’a mise par terre pour lui faire un massage cardiaque. Mais il n’y a rien eu à faire », explique celle qui était habituée à la mort de par son métier mais qui était quand même choquée par le décès de sa mère.

« Une satisfaction de l’avoir gardée à domicile »

« J’avais l’impression pendant un petit temps de ne plus être moi-même », reconnaît-elle. C’est seulement après les obsèques que la retraitée a senti qu’elle retrouvait sa liberté, son autonomie.

Les années ont passé depuis et Nicole n’a jamais regretté d’avoir passé dix ans de sa vie à s’occuper de sa mère. « C’est une satisfaction de l’avoir gardée à domicile selon son désir. Puis je suis en paix avec ma conscience. Je n’ai jamais eu un point d’interrogation à ce sujet-là. Lorsqu’elle est partie, elle était en bon état physique, sans dommages corporels. Je suis contente d’avoir accompli cela. »

« Elle est décédée chez elle et je trouve que c’est bien. C’était son souhait, même si elle n’était sans doute pas consciente de son environnement à la fin. »

La Bretonne reconnaît que c’est grâce à sa force de caractère qu’elle a pu réaliser cela sur un temps aussi long. Si quelqu’un se trouve dans la même situation sans être infirmière, elle reconnaît qu’il n’est pas facile de maintenir une personne souffrant de la maladie d’Alzheimer à domicile jusqu’au bout.

La personne se dégrade progressivement, et quand elle perd son autonomie, cela devient de plus en plus contraignant. Nicole conseille à l’aidant qui fait le choix de garder son proche à domicile d’essayer de le faire au moins au début de la maladie, sans toutefois se forcer à aller jusqu’au bout. « Si on veut le faire, c’est très bien. Bien pour la personne et bien pour pour l’aidant. Je trouve que c’est une bonne chose. »

« J’ai fait ça naturellement et je ne regrette pas », conclut Nicole.


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