ENTRETIEN – Le journaliste et écrivain Jean Sévillia, auteur de nombreux essais politiques et historiques, en dernier lieu Les habits neufs du terrorisme intellectuel (Perrin, 2025) décrypte pour Epoch Times la présence du politiquement correct dans le milieu intellectuel et culturel. Il analyse également la réélection de Donald Trump.
Epoch Times : Jean Sévillia, vous venez de publier aux éditions Perrin Les habits neufs du terrorisme intellectuel, version augmentée et actualisée de votre ouvrage Le terrorisme intellectuel paru en 2000. Pourquoi ?
Jean Sévillia : Ce livre, en son temps, a été un classique de la littérature de droite conservatrice et un succès en librairie. Mais par définition, il avait vieilli puisqu’il s’arrêtait en 1999, un an avant sa parution. Vous imaginez bien qu’en 24 ans, il s’est passé beaucoup de choses en termes de terrorisme intellectuel.
Ainsi, j’ai voulu revenir sur certains événements de ces vingt dernières années et expliquer quelques nouveautés dans le paysage intellectuel actuel et en quoi ces dernières ont modifié ou non la donne du terrorisme intellectuel.
Vous estimez que le politiquement correct et la pensée unique sont toujours aussi présents 25 ans après la sortie de votre livre ?
Le monde culturel et intellectuel reste dominé par l’idée selon laquelle la gauche est le camp du bien et la droite le camp du mal. Ce schéma reste majoritaire chez les intellectuels de basses couches, mais également chez les journalistes qui sont, à leur manière, des intellectuels. Soixante-dix pour cent des journalistes sont de gauche, par exemple.
Par ailleurs, ce schéma est aussi dominant dans l’Éducation nationale, à l’université, dans le monde de la recherche scientifique ainsi que celui des grandes associations culturelles. Dans le fond de la société française, tout ce qui contribue au débat d’idées, à former les mentalités, les représentations mentales des citoyens reste dominé par la gauche.
En même temps, il y a eu une nouveauté à partir des années 2000. En 2002, l’historien de gauche Daniel Lindenberg publie Le Rappel à l’ordre, un ouvrage dans lequel il dénonce un mouvement « néo-réactionnaire » d’intellectuels venus de la gauche mais qui ont rompu avec celle-ci, tels qu’Alain Finkielkraut ou Philippe Muray.
Puis, dès les années 2010, il y a eu ce qu’on a appelé en France un « moment conservateur » : de plus en plus de médias ont ouvert leur porte à des intellectuels de droite conservatrice. L’exemple d’Éric Zemmour est particulièrement marquant.
Ensuite, des jeunes journalistes de droite ont fait leur apparition, la plateforme FigaroVox est lancée en 2014, de nouveaux titres de presse conservateurs voient le jour à l’instar de Causeur, de L’Incorrect, etc. Et Vincent Bolloré a racheté iTélé qui deviendra CNews. Une chaîne de télévision ouverte à la pensée de droite.
Il y a eu un tel changement de paysage, que même la gauche, à un moment donné, a cru qu’elle avait perdu le combat des idées, ce qui relève du fantasme. La droite a certes gagné en visibilité, mais comme je le disais à l’instant, chez les intellectuels et dans les milieux culturels, la dominante reste à gauche. Le terrorisme intellectuel fonctionne toujours.
Par ailleurs, il y a une nouveauté technologique : les chaînes d’information en continu, bien entendu les réseaux sociaux, mais surtout le smartphone qui est à la fois un téléphone, une télévision, une radio et un ordinateur relié à Internet. Nous vivons donc à l’ère de la surmultiplication des moyens de communication et de diffusion de l’information. Ces canaux sont un atout pour la pensée libre, mais aussi malheureusement pour le terrorisme intellectuel. Ce dernier se sentant menacé par l’avancée de la pensée de droite, il s’est raidi et aggravé.
J’ai observé, ces dernières années, une progression de la judiciarisation des débats. Pour un mot qui déplaît, on peut risquer un procès. Ce phénomène est notamment lié à une certaine interprétation de la législation française puisqu’on a étendu la notion de racisme aux mœurs ou à la religion, alors que cela n’a strictement rien à voir avec le racisme.
Si vous prononcez un mot qui n’est pas dans l’ère du temps, vous risquez de vous retrouver au tribunal.
N’avez-vous pas le sentiment que la situation a également changé sur le plan politique ? Des évènements auxquels nous avons assisté, comme l’alliance entre Éric Ciotti et le RN en juin dernier, n’ont-ils pas fragilisé le politiquement correct ?
C’est évident ! La France est électoralement plus à droite qu’elle ne l’était il y a 25 ans et même avant. Dans les années 1980, François Mitterrand, candidat socialiste, avait été élu triomphalement à deux reprises, ce qui serait impossible pour un candidat de gauche de nos jours.
Le paysage politique s’est effectivement modifié voire effrité : LR et le PS, autrefois partis de gouvernement, ont connu des séries de défaites, au profit de mouvements populistes comme le Rassemblement national ou La France insoumise. Aujourd’hui, ils ne sont plus que des petits partis.
« Il y a une sorte de décalage entre les élites intellectuelles et la réalité de la population », avez-vous déclaré sur Sud Radio le 12 janvier. Pourriez-vous revenir en détails sur ce propos ?
Les prétendues élites, communiant toujours dans le politiquement correct, continuent à dire, par exemple, que l’immigration est une chance pour la France ou que l’insécurité n’est qu’un sentiment. Or, les Français, dans leur grande majorité, savent très bien que la situation migratoire est hors de contrôle et que l’immigration n’est pas sans poser un certain nombre de problèmes.
Ce n’est d’ailleurs pas une position de droite puisque les sondages montrent que 52 % des électeurs socialistes et 44 % de ceux de LFI pensent qu’il y a trop d’immigrés en France ! Il y a donc un décalage entre le discours officiel de ces partis et leurs électeurs.
Il en est de même sur la question de l’insécurité. Il y a quelques années, Éric Dupond-Moretti, alors garde des Sceaux, parlait de « sentiment d’insécurité ». Pourtant, toute femme qui se promène dans la rue le soir sait très bien que ce phénomène est réel.
Encore une fois, il y a un vrai décalage entre le discours officiel et le réel. La réalité est menaçante et les Français le ressentent bien.
Qu’est-ce qui, selon vous, permettrait de contrer cette censure et ce politiquement correct imposés par un certain milieu ?
Je pense qu’il y a un combat d’idées à mener. Nous devons informer les gens. Il faut que les citoyens soient conscients du fait qu’il y a un système qui manipule les esprits. C’est le rôle des médias et des penseurs libres.
À ce propos, l’irruption de Vincent Bolloré dans le paysage médiatique a été très bénéfique avec l’arrivée de CNews, et du rachat du Journal du Dimanche. Il a constitué tout un pôle de médias conservateurs qui n’existait plus.
Il y a, par ailleurs, toujours des médias plus anciens comme Le Figaro ou Valeurs Actuelles, mais aussi tous les médias alternatifs dont je cite une partie dans mon ouvrage. La pensée conservatrice a des moyens d’expression qui en volume, sont peut-être plus limités. Mais quand on additionne tous ces petits médias, on arrive à des chiffres d’audience importants.
Donald Trump a été investi la semaine dernière 47e président des États-Unis. Comment interprétez-vous son retour à la Maison-Blanche, mais aussi la nomination d’Elon Musk à un poste politique ? Est-ce une réponse au « terrorisme intellectuel » que vous dénoncez ?
Le cadre américain a ses spécificités, mais il est évident que Trump a remporté la victoire en opposant l’Amérique profonde à celle des intellectuels des côtes est et ouest.
Il a bâti son succès sur le fait qu’une certaine Amérique en avait assez d’entendre les délires du wokisme à l’instar de la transidentité.
Comme en France, le politiquement correct aux États-Unis reste confiné à un petit milieu : celui des universitaires de New York ou de Californie.
Cette deuxième élection de Donald Trump peut-elle avoir un impact en Europe et en France en matière de lutte contre la censure ?
Cela changera peut-être le paysage international. Pour ma part, je ne céderai pas au fantasme de la gauche. Donald Trump est un président constitutionnel, ce n’est pas un dictateur. Tous les changements effectués dans l’administration américaine sont faits de manière parfaitement légale et constitutionnelle. Et cette même constitution va le limiter : certaines personnalités qui lui déplaisent conserveront leur fonction.
Cependant, Donald Trump est un patriote américain. Il ne va pas faire particulièrement de cadeaux aux Européens.
Peut-être que nous allons bénéficier d’une sorte de nouvelle orientation du discours sur les valeurs au niveau de l’État américain par rapport à celle des années Obama.
Maintenant, est-ce que la réélection de Donald Trump à la Maison-Blanche sera totalement favorable aux intérêts de l’Europe ou de la France ? Je ne le crois pas.
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