Le Apple Daily, un tabloïd indépendant pro-démocratie de Hong Kong, connu pour sa position critique à l’égard du Parti communiste chinois, a résisté aux descentes de police et à l’emprisonnement de son fondateur. Mais son 26e anniversaire pourrait être le dernier.
Le gouvernement de Hong Kong, soutenu par Pékin, s’en est pris au journal. La semaine dernière, 500 policiers ont fait irruption dans la salle de rédaction, saisissant ordinateurs et dossiers, et arrêtant cinq dirigeants de la publication. Deux directeurs sont maintenant accusés de collusion avec les forces étrangères, une infraction ambiguë en vertu de la loi draconienne sur la Sécurité nationale imposée par Pékin l’année dernière.
Pour ajouter l’insulte à l’injure, les autorités ont gelé les actifs du journal dans le cadre de l’enquête. Avec 18 millions de dollars de Hong Kong (1,94 millions d’euros) d’avoirs bloqués dans des banques locales, le journal est désormais dans l’incapacité de payer ses plus de 800 employés et pourrait être à quelques jours de fermer ses portes, selon la publication.
La fermeture imminente de l’entreprise « marque la fin d’une époque », a déclaré Mary à Epoch Times, une employée senior d’Apple Daily qui utilise un pseudonyme. « Ce qui est déplorable, c’est que nous ne sommes pas fermés parce que les lecteurs ne nous aiment pas ou parce que l’entreprise est mal gérée. Nous avons beaucoup de supporters et nous aurions pu continuer. »
« C’est triste. On se demande pourquoi Hong Kong est devenu comme ça. »
Le 20 juin, l’entreprise a célébré son 26e anniversaire. Le lendemain, un présentateur a fait ses adieux devant les 36 000 spectateurs qui regardaient le dernier épisode de son émission du soir en direct. La société a cessé de mettre à jour la version anglaise de son site web et la section financière de son site en chinois.
Apple Daily a annoncé qu’il imprimerait sa dernière édition le 24 juin. Le 25 juin sera le dernier jour de travail du journal si le gouvernement rejette l’appel de la publication à débloquer certains de ses fonds. Le journal a donné à son personnel la possibilité de démissionner immédiatement, sans le préavis habituel d’un mois. Beaucoup sont partis, mais certains veulent rester, selon les reportages locaux.
Les lecteurs ont apporté leur soutien au journal en envoyant de la nourriture, des boissons et des cartes de remerciement, ou en achetant leurs exemplaires imprimés, a déclaré Mary. Leurs encouragements sont la force motrice qui l’incite à continuer.
« J’ai le sentiment de devoir être responsable vis-à-vis de ces lecteurs. S’il y a des gens qui lisent encore votre journal, vous devez continuer à écrire », a-t-elle déclaré.
Apple Daily a été fondé à Hong Kong en 1995 par le dissident chinois et magnat du textile Jimmy Lai, une des principales voix de l’opposition au Parti communiste chinois (PCC), actuellement emprisonné pour avoir participé à une assemblée pro-démocratie en 2019. Le 21 juin, le Comité pour la protection des journalistes (Committee to Protect Journalists, CPJ) a honoré Jimmy Lai du prix Gwen Ifill pour la liberté de la presse, déclarant qu’il est « non seulement un champion de la liberté de la presse, mais un guerrier de la liberté de la presse ».
« Il se bat pour le droit de son organisation Apple News à publier librement, même si la Chine et ses partisans à Hong Kong utilisent tous les moyens pour les étouffer », a déclaré Kathleen Caroll, présidente du conseil d’administration du comité.
Ce qui est arrivé à Apple Daily est une manifestation du tort que la loi sur la Sécurité nationale cause à la presse de Hong Kong, a déclaré Mary. Depuis son entrée en vigueur en juillet dernier, cette loi a été utilisée pour arrêter et inculper une série de personnes critiques à l’égard du PCC dans la ville, paralysant ainsi le mouvement pro-démocratie de Hong Kong.
« Elle risque de refroidir l’industrie de l’information », a-t-elle déclaré. « Comme la police et le gouvernement n’ont pas précisé quels reportages ou articles éditoriaux sont considérés comme une violation de la loi sur la Sécurité nationale, tout le monde va maintenant faire très attention à ce qu’il écrit et rapporte. »
À l’appui des accusations de collusion, la police a déclaré avoir identifié plus de 30 articles de l’Apple Daily, en chinois et en anglais, depuis 2019, qui appelaient les pays étrangers à imposer des sanctions à la Chine ou à Hong Kong, mais n’a pas voulu révéler les détails pour raison de procédures judiciaires en cours. Il s’agit de la première fois que des articles de presse sont désignés comme pouvant violer la loi.
Cela dessine un avenir sombre pour les médias de Hong Kong, a déclaré Mary.
« De nombreux journalistes vont avoir peur, car ils ne savent pas ce qui est illégal. »
Ces dernières années, la liberté de la presse a été mis à mal à Hong Kong, notamment après l’entrée en vigueur de la loi sur la Sécurité nationale en juillet 2020. Selon l’indice de la liberté de la presse de l’Association des journalistes de Hong Kong, l’indice pour les journalistes a chuté à un niveau record de 32,1 l’année dernière (contre 40,9 en 2018).
Le 22 juin, la dirigeante pro-Pékin de Hong Kong, Carrie Lam, a défendu le raid de la police, qualifiant les critiques occidentales de tentative d’« embellir » des actions qui mettent en danger la sécurité nationale. Elle a ignoré un journaliste d’Apple Daily qui a crié alors qu’elle s’en allait : « Vous avez dit que la loi sur la Sécurité nationale ne concernait qu’un petit nombre de personnes. Mais plus de 800 employés de notre entreprise sont maintenant forcées de quitter leur emploi. Pouvez-vous répondre à cela ? »
Le journaliste faisait référence aux déclarations des autorités de Hong Kong et de Pékin qui, avant l’introduction de la loi, ont affirmé qu’elle ne viserait qu’un « petit nombre de criminels ».
Il y a quelques mois, Chung Kim-wah, directeur exécutif adjoint de l’Institut de recherche sur l’opinion publique de Hong Kong (Hong Kong Public Opinion Research Institute), avait prédit le sort du journal.
Chroniqueur hebdomadaire de l’Apple Daily, Chung a rédigé en avril un article intitulé « Que se passera-t-il s’ils font tomber Apple Daily ? », dans lequel il relevait l’hostilité des autorités à l’égard du journal.
Dès le mois de mars, le Bureau des affaires de Hong Kong et de Macao, une agence qui dépend directement du Conseil d’État du régime, avait désigné Jimmy Lai de « forces anti-Hong Kong » devant être « sévèrement punies ».
« La position du gouvernement ne pourrait être plus claire. Dans mon esprit, je savais, il y a deux mois, que nous perdrions Apple avant le 1er juillet », a-t-il déclaré, en référence à la date du 100e anniversaire de la fondation du PCC. « Il est assuré qu’il vous feront tomber avant le centenaire du Parti […] la question est de savoir comment ils s’y prendront. »
« Le Parti communiste chinois force absolument Apple Daily à fermer, cela est clair depuis longtemps », a déclaré Chen Yonglin, un ancien diplomate chinois qui a fait défection en Australie il y a plus de dix ans.
Chen a relevé la série d’arrestations d’organisateurs de manifestations au cours de la dernière année comme preuve que le PCC exerce son influence sur Hong Kong.
« Hong Kong est tombé depuis longtemps », a-t-il déclaré à Epoch Times. « Finalement, Hong Kong deviendra une ville chinoise, et le mot ‘région administrative spéciale’ [ne sera] plus – on dira simplement la ville de Hong Kong [de la Chine]. »
Malgré tout, Chung estime qu’il y a de l’espoir.
Chung a mentionné l’exemple de la commémoration annuelle de Hong Kong du massacre de la place Tiananmen, qui attirait souvent des dizaines de milliers de citoyens locaux tenant des bougies au parc Victoria.
Alors que, pour la deuxième année consécutive, les autorités ont interdit la veillée et ont déployé plus de 7 000 policiers pour barrer l’accès au parc, de nombreux Hongkongais ont eu recours à des moyens créatifs pour souligner l’occasion, par exemple en allumant des lampes de poche de téléphone et en tenant des bougies près du parc, a déclaré Chung, qui s’est également rendu sur le site.
« Que ce soit le gouvernement de Hong Kong ou Pékin, je ne pense pas qu’ils soient capables d’étouffer complètement tous les espaces [de liberté d’expression] », a-t-il déclaré. « Le monde entier a les yeux rivés sur Hong Kong. »
Aux collègues professionnels des médias à Hong Kong, Mary a dit qu’elle espère qu’ils pourront s’en tenir à ce en quoi ils croient.
« La nuit hivernale sera froide, mais tout le monde doit tenir bon. »
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