La plupart d’entre nous ne se souviennent pas du moment où ils l’ont entendue pour la première fois. Une phrase mélodique simple se déplace pas à pas entre les notes adjacentes de la gamme, sans dissonance ni tension inattendue.
Le rythme doux du 6/8 imite le bercement d’un berceau, créant un sentiment de chaleur et de sécurité. Un changement subtil dans l’harmonie lente et équilibrée évite l’ennui. Néanmoins, dès la deuxième répétition, on commence à s’assoupir. À la fin, le sommeil vous envahit.
Il s’agit du Wiegenlied, ou Chant du berceau. Également connue sous le nom de Berceuse de Brahms (op. 49, n° 4), c’est l’une des mélodies les plus universellement reconnues au monde. L’histoire de l’écriture de cette œuvre par Johannes Brahms est aussi intéressante que l’œuvre elle-même.
Un génie solitaire
Le génie de Brahms se manifeste par la variété de ses compositions. Le plus souvent, les structures complexes et les émotions profondes sont la norme. Ses œuvres orchestrales, ses concertos, son Requiem allemand et d’autres pièces de grande envergure comme celle-ci sont encore fréquemment joués aujourd’hui. Mais Brahms avait aussi la capacité de se ramener à un niveau auquel les gens ordinaires pouvaient s’identifier.
Le travail du compositeur sur sa vaste œuvre ne lui laissait que peu de temps pour établir une vie de famille. Le créateur de l’une des chansons pour enfants les plus populaires au monde ne s’est jamais marié et n’a pas eu d’enfant. Il a pourtant été amoureux à plusieurs reprises, souvent de femmes déjà conquises. Le cas le plus célèbre est celui de son affection non partagée pour la compositrice Clara Schumann, épouse de son ami Robert Schumann. Au lieu de l’amour, Brahms a vécu pour la musique.
Courtiser Bertha Faber
L’une des plus importantes histoires d’amour ratées de Brahms a inspiré le Chant du berceau. La longue genèse de cette œuvre a commencé alors que Brahms était encore un beau jeune homme d’une vingtaine d’années, vivant à Hambourg, en Allemagne. Alors qu’il dirigeait le chœur de femmes de Hambourg (Hamburger Frauenchor), il rencontra Bertha Porubsky.
Tous deux commencent à s’écrire et leur correspondance permet de retracer l’évolution de leur relation. Dans la première lettre qu’il lui adresse, datée du 9 octobre 1859, Brahms parle de Bertha comme d’une « amie vénérée et chère ». Il écrit : « J’aurais aimé que tu voies mon visage ravi lorsque j’ai trouvé tes lettres et que je les ai lues. La première belle écriture m’était déjà familière, je l’avais en effet contemplée ce dernier soir à Hambourg, et combien de fois depuis lors ».
L’amour commun de la musique et les expériences partagées entre Brahms et Bertha ont, comme on pouvait s’y attendre, conduit à une romance florissante. Ses adresses passent rapidement de « chère amie » à « dame vénérée », puis à « très vénérée ». Dans une lettre datée du 20 novembre 1859, il fait face aux « ragots » croissants qui entourent leur « correspondance clandestine », en déclarant : « Les bonnes filles semblent avoir les yeux fixés si inébranlablement sur leur carrière qu’elles flairent trop rapidement l’odeur de quelqu’un qui souhaite donner un coup de main à l’une d’entre elles ».
Au cours de leur relation, Bertha lui chanta une chanson d’amour autrichienne populaire, S’is Anderscht, que Brahms n’a jamais oubliée.
Après quelques années, leur relation s’est refroidie. La faute en incombe entièrement à Brahms, qui cesse soudainement de lui écrire, une habitude qui lui est propre. Bertha réagit en retournant à Vienne et en épousant le riche industriel Arthur Faber en 1863. Malgré leur passé, Brahms resta ami avec Bertha et Arthur jusqu’à la fin de sa vie, passant de nombreux réveillons de Noël avec eux.
L’inspiration de la ‘berceuse’
À la naissance du deuxième enfant de Bertha, Brahms écrivit sa désormais célèbre berceuse pour commémorer l’événement. Pendant qu’il l’écrivait, il s’est tourné vers la vieille chanson d’amour que Bertha lui avait chantée un jour et l’a utilisée comme contre-mélodie dans l’accompagnement au piano. Dans une lettre datée d’août 1868, Brahms écrit au couple :
« Frau Bertha verra tout de suite que j’ai composé hier le chant du berceau spécialement pour votre petit ; elle trouvera aussi tout à fait approprié, comme moi, que pendant qu’elle endort Hans, son mari lui chante et lui murmure une chanson d’amour. »
Brahms demanda également à Bertha de lui envoyer la musique et les paroles de la chanson, admettant que depuis les années où il l’avait entendue chanter, « elle ne bourdonne dans [s]on oreille que de façon approximative ».
La Chanson du berceau a connu un succès immédiat auprès du public. Au cours des années qui ont suivi sa composition, elle a été arrangée sous différentes formes pour presque tous les instruments imaginables, du piano à l’orchestre de concert.
Non seulement sa popularité est indéniable, mais les avantages qu’elle procure à l’enfant qui l’écoute le sont tout autant. Il a été scientifiquement prouvé qu’exposer les enfants à des berceuses améliore le développement cognitif, la créativité et l’expression émotionnelle du jeune cerveau en développement.
En outre, chanter ou jouer des berceuses à vos enfants ne doit pas nécessairement commencer à la crèche. Les bébés dans le ventre de leur mère sont capables d’entendre des sons dès la 16e semaine de grossesse. À la 24e semaine, ils sont capables de reconnaître la voix et le langage de leur mère. Les avantages cognitifs s’appliquent aussi bien aux enfants in utero qu’aux tout-petits. De nombreux enregistrements de la berceuse de Brahms peuvent être écoutés gratuitement sur internet.
Quiconque a déjà sacrifié une histoire d’amour pour poursuivre une carrière sait que, même dans les cas les plus réussis, la décision n’est jamais tout à fait agréable. À la fin de sa vie, Brahms regrettait de ne pas s’être marié et de ne pas avoir eu d’enfants. Dans sa Berceuse, on entend non seulement la douceur de la musique, mais aussi la nostalgie de ce qu’il n’a jamais eu. Même s’il est resté discrètement insatisfait dans sa vie personnelle, sa perspicacité émotionnelle se répercute dans chaque note.
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