Penché sur sa machine centenaire, Anis Bouchnak transforme méthodiquement la bruyère tapissant le nord de la Tunisie en pipes façonnées main, un savoir-faire unique ramené d’Europe il y a un demi-siècle par son grand-père et qu’il entend « perpétuer » à son tour.
L’atelier familial est installé depuis une cinquantaine d’années dans une ruelle de Tabarka, agréable bourg touristique à quelques kilomètres de l’Algérie, accroché à des coteaux verdoyants plongeant dans la Méditerranée.
Forêts de chênes lièges et de bois de bruyère
La région agricole de la Kroumirie est connue de longue date pour ses chênes lièges mais aussi pour son bois de bruyère, qui a longtemps fourni les fabriques françaises de pipe.
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— Tendances (@_Tendances) August 8, 2014
En 1968, Chedly Bouchnak, le grand-père d’Anis, a ramené de Suisse où il voyageait pour affaires, une râpe, une perceuse et d’autres machines à bois permettant de transformer la bruyère.
Les pipiers français ont refusé de lui transmettre leur savoir-faire.
Atelier de Saint-Claude, du Jura
C’est donc en espionnant par la fenêtre d’un atelier de Saint-Claude, ville française du Jura considérée comme la capitale de la pipe en bruyère, que Chedly a appris les secrets de fabrication.
Les pipes Bouchnak ont acquis une certaine notoriété mais Anis, qui vivait en France depuis ses dix ans et travaillait dans la restauration, n’avait jamais imaginé prendre la relève.
En 2011, après la mort de son grand-père et de son père, il revient en Tunisie et décide de relancer l’atelier.
Un collectionneur tunisien « m’a transmis la passion de ce travail et montré les perspectives d’avenir de ce métier », explique-t-il à l’AFP.
Toutes les ficelles du métier
Un maître pipier, employé de son grand-père, lui en a montré toutes les ficelles avant son décès en 2020.
Anis, 37 ans, crée désormais lui-même des modèles originaux mais toujours fonctionnels.
Il est le seul en Tunisie, et l’un des rares dans la région, à continuer à fabriquer des pipes à la main.
Aux clients des débuts, fumeurs intellectuels, avocats, médecins ou du monde politique a succédé une clientèle de collectionneurs et de diplomates « qui cherchent à offrir quelque chose d’original ».
La bruyère est appréciée par les connaisseurs pour sa résistance à la chaleur et pour son goût neutre qui permet de bien savourer les arômes du tabac.
Anis Bouchnak | Pipe Bouchnak – Tabarka
غليون بوشناق : الماركة الطبرقية المسجلة عالميا. https://t.co/gi7zSwNS1M
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« Responsabilité de perpétuer ce métier »
« Je suis fier d’être le seul pipier en Tunisie mais, franchement, j’aurais aimé avoir de la concurrence parce que cela m’aurait motivé pour progresser », dit l’artisan aux mains épaissies par le travail.
« C’est tout un marché qui est à moi mais c’est un poids d’être le seul pipier, parce que j’ai la responsabilité de perpétuer ce métier et de passer le flambeau à quelqu’un d’autre », confie-t-il.
Anis a déjà deux apprentis et du travail en quantité.
« Tout ce que je fais part directement », dit-il.
C’est dans l’atelier au toit de tôle, installé dans une cour de la maison familiale, qu’il trouve son inspiration.
« Avec toutes ces vieilles machines, j’ai l’impression de faire un retour en arrière et … de conserver la façon de fabriquer les pipes à l’ancienne, comme mon père et mon grand-père autrefois », confie-t-il. « Pour moi, c’est un atelier-musée qui a une âme ».
A tel point qu’il fait le ménage au minimum, laissant les araignées s’installer sur les machines.
« Faire quelque chose qui sort de l’esprit et de la main »
Son travail commence par choisir un morceau de bois, appelé ébauchon, dans sa « caverne d’Ali Baba », une pièce dont le sol est couvert par le trésor familial: de petits blocs de bruyère séchant depuis parfois vingt ans.
« J’ai une quantité qui me suffirait pour dix ans encore » en fabriquant deux pipes par jour, souligne Anis.
Le broussin, souche de la bruyère arborescente, doit d’abord être découpé, puis bouilli pendant douze heures et séché de quatre à vingt ans: la qualité s’améliore avec l’âge.
L’artisan perce le bois, le façonne à la râpe puis à la machine à bande abrasive.
« Je pourrais travailler avec une nouvelle machinerie, cela me faciliterait le travail mais je préfère continuer à travailler manuellement parce qu’il y une satisfaction à faire quelque chose qui sort de l’esprit et de la main », explique-t-il.
L’artisanat tunisien a profondément souffert de l’effondrement du tourisme en raison de la pandémie de Covid-19. Mais Anis accumule les commandes en proposant « autre chose que le dromadaire, le palmier et le tapis ».
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