La Chine renforce sa présence militaire dans la région du Sahel en Afrique

Pékin prévoit d'envoyer davantage de troupes et d'armes dans des régions privilégiées d'Afrique afin de protéger ses actifs et de se préparer au combat

Par Darren Taylor
27 janvier 2025 12:13 Mis à jour: 27 janvier 2025 22:21

JOHANNESBURG – Le Sahel s’étend sur près de 6440 kilomètres et traverse dix pays, depuis l’océan Atlantique, qui touche le Sénégal en Afrique de l’Ouest, jusqu’à Port-Soudan, sur la mer Rouge orientale.

Ses 400 millions d’habitants sont parmi les plus pauvres du monde, souvent victimes de la sécheresse, des inondations, de la famine et de l’instabilité politique, avec des gouvernements renversés et des extrémistes violents qui en font la région à plus haute concentration de terroristes au monde.

Les groupes criminels organisés spécialisés dans la traite des êtres humains et la contrebande d’armes prospèrent dans ce chaos.

Pourtant, plusieurs grandes puissances mondiales aimeraient s’emparer d’une part du Sahel.

Ses pays, parmi lesquels le Cameroun, le Mali et le Nigeria, possèdent d’immenses richesses en ressources naturelles, notamment du pétrole, du gaz, de l’or et des diamants.

Le Sahel est l’une des régions les plus riches en minéraux de la planète, où les éléments nécessaires à la révolution mondiale des énergies renouvelables sont extraits en abondance.

L’Union européenne veut être présente au Sahel pour tenter d’arrêter le flot de migrants qui empruntent les routes du Sahara pour atteindre les côtes algériennes et marocaines, où ils embarquent à destination de l’Espagne et de l’Italie.

Les forces russes sont déjà présentes au Sahel, sous le couvert de l’Africa Corps du Kremlin, et engrangent des dizaines de millions de dollars tous les mois en soutenant des régimes illégitimes et en contrôlant des mines.

Les États-Unis veulent envoyer des troupes sur place pour contrer les nombreuses organisations extrémistes de la région affiliées à Al-Qaïda et à ISIS (État islamiste), les plus grands réseaux terroristes antiaméricains au monde.

Aujourd’hui, un nouvel acteur émerge dans la région, et il semble avoir plus de raisons que quiconque de vouloir y être présent : la République populaire de Chine (RPC).

« Les rapports de renseignement que j’ai vus émaner de diverses agences africaines et étrangères vont tous dans le même sens : la Chine veut utiliser la diversité du terrain du Sahel pour entraîner ses forces à des tactiques applicables aux jungles, aux déserts, aux chaînes de montagnes et aux vastes étendues océaniques », a expliqué Helmoed Heitman, analyste de la défense sud-africaine, stratège militaire et ancien officier de la force de défense nationale de ce pays.

Guy Martin, analyste à DefenceWeb, un site web consacré aux questions de défense en Afrique, a souligné que l’objectif premier de la Chine en établissant une présence militaire plus importante sur le continent est de protéger ses actifs économiques, notamment les mines qui extraient des minerais essentiels, dont certains sont indispensables à la fabrication d’armes telles que des systèmes de missiles, des avions de chasse et des chars d’assaut.

« N’oublions pas que le Sahel contient également certains des plus grands gisements d’uranium au monde », a-t-il précisé à Epoch Times.

L’uranium peut être utilisé pour fabriquer des bombes nucléaires.

Le dirigeant chinois Xi Jinping inspecte une garde d’honneur militaire lors de sa visite d’État officielle à l’Union Building à Pretoria, en Afrique du Sud, le 24 juillet 2018. (Phill Magakoe/AFP/Getty Images)

M. Martin a fait remarquer que Pékin devait également assurer la sécurité de milliers de travailleurs et d’entreprises chinoises en Afrique.

Selon M. Heitman, la Chine veut utiliser le Sahel comme base pour vendre des armes et des munitions à l’ensemble du continent.

La Chine a supplanté la Russie en tant que premier exportateur d’armes vers l’Afrique en 2023, selon les statistiques obtenues par l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI : Stockholm International Peace Research Institute).

Des recherches menées par l’Institut italien d’études politiques internationales (ISPI) montrent qu’en 2022, la Russie a fourni plus de 40 % des armes de l’Afrique, et la RPC moins de 20 %.

Cependant, les ventes d’armes russes à l’Afrique se sont effondrées, passant de 315 millions de dollars en 2022 à 102 millions de dollars en 2023, indique l’étude.

Au cours de la même période, les ventes d’armes de la Chine au continent ont augmenté d’un montant presque équivalent, passant de 103 millions de dollars à 306 millions de dollars.

Paul Nantulya, analyste principal au Centre d’études stratégiques pour l’Afrique à Washington, a souligné que des armes fabriquées en Chine, notamment des avions, des systèmes de guerre électronique, des fusils automatiques, des drones, des missiles et des véhicules blindés, affluaient dans les zones de conflit en République démocratique du Congo, en Éthiopie, au Sud-Soudan, au Soudan et dans bien d’autres régions encore.

Selon le rapport du SIPRI, 21 pays d’Afrique subsaharienne au moins ont reçu d’importantes livraisons d’armes chinoises entre 2019 et 2023.

M. Nantulya a expliqué à Epoch Times que la Chine utilise sa domination économique en Afrique – dont elle est le principal partenaire commercial et où elle a financé une grande partie des infrastructures du continent au cours de la dernière décennie -, pour « militariser et sécuriser » sa politique africaine.

Selon lui, tout cela correspond à l’engagement pris par le dirigeant Xi Jinping en 2017 de transformer l’APL en une « force de classe mondiale » d’ici 2030 en la dotant des capacités de combat et de projection de puissance nécessaires pour défendre les intérêts mondiaux croissants de la Chine et gagner les guerres à venir.

Pour M. Heitman, le Sahel « est devenu la porte d’entrée de l’Afrique » selon la vision de M. Xi.

« Pendant des décennies, les seules troupes chinoises présentes en Afrique ont été les forces de maintien de la paix de l’ONU, mais nous assistons aujourd’hui à un afflux de bataillons de combattants endurcis qui utilisent le Sahel et d’autres parties du continent pour se préparer ouvertement à la guerre », a-t-il souligné.

« Le Sahel sert également de terrain d’essai pour de nouvelles armes, car il est très isolé et loin des regards indiscrets, surtout depuis que l’Amérique a été contrainte d’abandonner sa base d’espionnage au Niger. »

En mai 2024, à la suite d’un coup d’État survenu au mois de juillet précédent, les dirigeants militaires du Niger ont demandé aux 1000 soldats américains de quitter le pays, et les États-Unis ont achevé le retrait en août.

Selon M. Heitman : « Le Niger était la principale base américaine chargée de surveiller l’activité terroriste à travers le Sahel, l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique du Nord. Les forces spéciales ont utilisé des drones dans des missions très réussies contre des groupes ayant prêté allégeance à Al-Qaïda et à ISIS. De nombreuses cellules terroristes ont été détruites. »

L’Indice mondial du terrorisme 2024 décrit le Sahel comme l’« épicentre » de l’extrémisme violent, affirmant qu’il a été à l’origine de près de la moitié des 8352 décès imputables au terrorisme en 2023.

Géraud Byamungu, analyste en charge du projet China-Global South mené à Johannesburg et à Washington, a fait valoir à Epoch Times que le départ des soldats américains du Niger était le « dernier clou dans le cercueil » qui a ouvert le Sahel à la Chine et à la Russie car, pour la première fois depuis des décennies, aucune présence militaire ou de sécurité occidentale officielle ne subsiste aujourd’hui dans la région.

De 2020 à 2023, une série de coups d’État a balayé le Sahel, plaçant des juntes militaires à la tête de pays tels que le Burkina Faso, le Mali et le Niger. Elles ont ordonné le départ de milliers de soldats français qui luttaient contre les terroristes et les ont remplacés par des forces russes.

Le Tchad, la Côte d’Ivoire et le Sénégal ont également demandé à Paris de retirer ses soldats et son matériel militaire de leurs territoires.

Le Centre d’analyse navale (CNA : Center for Naval Analyses), un organisme de recherche militaire situé à Arlington, en Virginie, a indiqué que le retrait des troupes américaines et françaises du Sahel offrait à la Chine une occasion unique d’étendre son influence militaire dans la région.

Le CNA a publié en octobre 2024 un rapport détaillant les dimensions militaires et sécuritaires de la présence chinoise en Afrique.

L’organisation, qui a accès à des sources de renseignement américaines, a révélé que l’APL maintient une présence opérationnelle permanente déployée d’environ 4100 militaires en Afrique et dans les eaux environnantes, dont 2000 sont stationnés sur sa base de Djibouti.

Les États-Unis disposent d’une force d’environ 4000 militaires et civils sur la base de Camp Lemmonier à Djibouti.

Le CNA a conclu qu’il est fort probable que la Chine augmente bientôt ses effectifs de manière significative en Afrique.

« L’Afrique sert de terrain d’essai pour l’engagement militaire et sécuritaire de la RPC en dehors des frontières chinoises », ont écrit les auteurs du rapport.

« Depuis sa création en 2017, la base de l’APL à Djibouti est passée d’une ‘installation logistique’ conçue pour assurer des déploiements par rotation à une base logistique majeure dotée d’un quai naval dédié capable d’accueillir les plus grands navires de guerre chinois et une unité de forces d’opérations spéciales du corps des Marines de la PLAN déployée, capable de soutenir des missions de combat », ont-ils souligné.

D’après le CNA, la Chine construira probablement davantage de bases militaires et d’infrastructures sur le continent africain, notamment dans le golfe de Guinée, sur la côte ouest africaine, qui constitue une porte d’entrée vers le Sahel.

« Le Politburo du Parti communiste chinois (PCC) considère clairement l’Afrique comme un enjeu vital pour la victoire en cas de guerre mondiale », a ajouté M. Heitman.

« Le continent, avec ses longues côtes et ses ports qui lui donnent un accès facile à l’Europe, au Moyen-Orient et aux chaînes d’approvisionnement asiatiques, ainsi que ses énormes gisements de pétrole, de gaz et de minéraux essentiels à la fabrication d’armes, ‘offre à peu près tout ce dont vous avez besoin pour faire la guerre’, dont une force de frappe potentielle composée de millions de jeunes hommes et de jeunes femmes. »

D’ici à 2050, la population des jeunes en Afrique, qui est déjà la plus importante et la plus jeune du monde, devrait doubler pour atteindre plus de 830 millions de personnes, selon les Nations unies (U.N.).

La plupart d’entre eux, selon l’ONU, sont au chômage dans des pays sous-développés et frappés par la pauvreté.

« Ces gens mécontents n’ont pas besoin de beaucoup de motivation pour rejoindre une armée ; c’est pourquoi tous les mouvements rebelles et les groupes terroristes n’ont jamais de problème de recrutement », a expliqué M. Martin.

Selon M. Nantulya, la portée et l’intensité des exercices d’entraînement militaire organisés par la Chine avec les forces africaines ont connu une « augmentation spectaculaire » au cours des dernières années.

« La Chine utilise ces formations pour se préparer à des expéditions militaires et pour poursuivre ses ambitions géostratégiques », a-t-il poursuivi.

M. Heitman est du même avis : « Il y a quelques années, ces exercices étaient légers et la Chine n’envoyait pas de troupes particulières pour y participer, il s’agissait essentiellement de relations publiques et de diplomatie militaire. Aujourd’hui, la Chine envoie ses meilleurs éléments et des armes de pointe. »

Selon M. Martin, les récents exercices de la marine chinoise en Afrique se sont concentrés sur de véritables opérations de combat.

« En Afrique du Sud, par exemple, la Chine a déployé un destroyer à missiles guidés et un navire de ravitaillement sophistiqué. »

Les exercices militaires chinois de deux semaines avec la Tanzanie et le Mozambique en juillet et août 2024 constituent « une expansion significative » de l’engagement de l’APL en Afrique, a souligné M. Nantulya.

« Les Chinois ont déployé au moins un millier de soldats et ont mené des entraînements terrestres et maritimes impliquant des patrouilles maritimes, des opérations de recherche et de sauvetage et des exercices de tirs réels », a-t-il expliqué.

Dans un rapport pour le Centre d’études sur la puissance terrestre chinoise du Collège de guerre de l’armée américaine, l’analyste militaire Jake Vartanian estime que les forces chinoises ont utilisé 24 types d’armes et équipements différents lors de l’opération tanzanienne, notamment de l’artillerie lourde, des microdrones et divers véhicules de reconnaissance et d’infanterie.

Les exercices au Mozambique et en Tanzanie ont constitué une première dans les relations militaires et sécuritaires de la RPC avec l’Afrique, a relevé M. Heitman.

« Lors des entraînements précédents, les forces stationnées sur la base de Djibouti y participaient. Cette fois-ci, les troupes ont été transportées depuis la Chine continentale, à une distance de 9500 kilomètres », a-t-il précisé.

« Les Chinois ont utilisé des navires de guerre, des avions et des quais de débarquement amphibies pour amener les troupes sur les côtes africaines, ce qui a représenté un coût financier élevé. »

Selon M. Martin, les manœuvres menées par la Chine en Afrique – et en particulier au Sahel – offrent des indices précieux sur l’évolution de la stratégie militaire de la RPC et sur la forme que pourrait prendre la présence de l’APL dans le monde à l’avenir.

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