Après l’intense bras de fer entre l’exécutif et les syndicats, la contestée réforme des retraites qui relève l’âge légal de départ à 64 ans entre officiellement en vigueur vendredi, sans droit à l’erreur pour les administrations chargées de sa mise en œuvre.
Entre la promulgation de la loi mi-avril et le 1er septembre, administrations et caisses de retraite ont dû mettre les bouchées doubles pour rédiger, intégrer ou transcrire les nouvelles règles du jeu en matière de retraite. Et si l’ouverture des droits à la retraite représente une étape importante dans la vie de chaque travailleur, la mobilisation sociale inédite de l’hiver et du printemps n’autorisera aucun couac.
« Nous sommes prêts », a assuré le ministre du Travail Olivier Dussopt. « Nous avons publié l’intégralité des décrets nécessaires », et les quelques textes manquants ne doivent s’appliquer qu’en « 2024, 2025 », a-t-il affirmé. Directeur général de la Caisse nationale d’Assurance vieillesse (Cnav), Renaud Villard se dit aussi « serein ». Si les décrets sont parus au compte-gouttes jusqu’à fin août, « on a eu très tôt le cœur du réacteur », et la grande majorité des dossiers urgents sont « bouclés, notifiés ». « Il n’y a pas de retard à craindre » sur les versements, a-t-il promis.
Près de trois mois après la 14ème et ultime journée de mobilisation, en demi-teinte, les syndicats, qui projetaient en juin « d’attaquer » les décrets, semblent avoir renoncé. « Difficile de trouver la faille juridique », glisse un responsable. « Il faut organiser un référendum » car « cette réforme ne passe toujours pas », a plaidé mardi la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet sur France Inter. Mais tout en critiquant « l’application à marche forcée » d’une réforme « injuste », l’intersyndicale se tourne désormais vers un autre combat : les salaires.
Les nouvelles dispositions
Dès vendredi, l’âge légal de départ passe donc à 62 ans et trois mois pour les personnes nées à partir du 1er septembre 1961 ; puis sera progressivement décalé de trois mois chaque année, pour atteindre 64 ans en 2030. La réforme comprend aussi l’allongement à 43 ans dès 2027 de la durée de cotisation pour accéder au taux plein, l’extinction de la plupart des régimes spéciaux, et crée de nouveaux droits, concernant notamment le cumul emploi-retraite ou les carrières longues.
Certaines petites pensions sont revalorisées, de 100 euros par mois maximum, pour les nouveaux retraités et 1,7 million de retraités actuels. « Un demi-million », aux carrières linéaires, le verront sur leur pension d’octobre, mais beaucoup d’autres, aux parcours fragmentés, attendront quelques mois voire jusqu’à l’été 2024, avec « effet rétroactif », selon Renaud Villard.
« Nul ne peut dire si ça va bien ou très mal se passer »
Engagée pour « ramener le système à l’équilibre » d’ici 2030, cette réforme emblématique du second quinquennat d’Emmanuel Macron s’est heurtée à l’un des plus longs mouvements sociaux des dernières décennies. Manifestations record, grèves, blocages, « casserolades » et cortèges « sauvages » ont rythmé l’hiver. Entre 1,28 et 3,5 millions de personnes ont défilé le 7 mars, au plus fort du mouvement.
L’adoption de la réforme au parlement, via une procédure 49.3, n’a pas amélioré l’adhésion des Français majoritairement opposés au projet gouvernemental. « Nul ne peut dire si ça va bien ou très mal se passer », juge Florence Puget, représentante de la CFDT Protection sociale. « Très politique », l’échéance du 1er septembre est « mal choisie » pour les caisses de retraite qui, en sous-effectif pendant les vacances, ont dû absorber « une masse d’informations et de travail énorme ».
Handicapées par les dysfonctionnements d’un nouveau système informatique, elles avaient déjà « accumulé du stock » de dossiers en retard l’an dernier, et les salariés « sont sous pression ». La Cnav a recruté des renforts mais « la formation dure 13 mois », poursuit-elle. Alors certaines caisses « appellent déjà à des heures supplémentaires ».
Le logiciel n’étant « pas fiable » notamment pour certaines carrières complexes, les agents « travaillent un jour par semaine sur l’ancien », avec un « risque d’erreur accru », témoigne François Belloir, délégué CFDT à la Carsat (Caisse d’Assurance Retraite et de la Santé au Travail) de Bretagne. « On n’est évidemment pas prêts, ici 40% des dossiers restent à traiter », tranche-t-il. Perdus face aux nouvelles règles, « certains assurés sont désemparés ». Et des agents épuisés « craquent », pointe-t-il, observant « une hausse des arrêts maladie ».
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