La Cour suprême envisage l’interdiction de TikTok : ce qu’il faut savoir

Le 10 janvier, le tribunal a examiné la demande d'urgence de TikTok visant à suspendre une loi l'obligeant à rompre ses liens avec la Chine sous peine d'être interdit des États-Unis

Par Matthew Vadum
11 janvier 2025 19:42 Mis à jour: 11 janvier 2025 19:42

Les experts juridiques divergent sur la décision que prendra la Cour suprême sur la loi fédérale obligeant l’entreprise technologique chinoise ByteDance à vendre TikTok d’ici le 19 janvier ou à fermer ses portes aux États-Unis.

Le 10 janvier, la Cour a entendu les plaidoiries dans l’affaire TikTok contre Garland et son affaire connexe, Firebaugh contre Garland, dans une confrontation juridique dramatique, neuf jours avant l’entrée en vigueur de la loi « dessaisissement ou interdiction ».

Pour compliquer les choses, le président élu Donald Trump, un passionné des médias sociaux, exhorte les juges à suspendre l’application de la loi afin qu’il puisse tenter de trouver une solution politique lors de son retour à la Maison-Blanche dans les prochains jours.

Selon la demande d’urgence déposée par la plateforme, en 2023, TikTok comptait environ 170 millions d’utilisateurs américains mensuels qui ont téléchargé plus de 5,5 milliards de vidéos totalisant plus de 13.000 milliards de vues, dont la moitié en dehors des États-Unis.

La même année, les utilisateurs ont visionné plus de 2700 milliards de fois des contenus provenant de l’étranger.

L’audition du 10 janvier, dont les enjeux sont considérables, découle de la loi sur la protection des Américains contre les applications contrôlées par des adversaires étrangers (Protecting Americans from Foreign Adversary Controlled Applications Act), qui a été promulguée par le président Joe Biden le 24 avril 2024.

Le projet de loi a été approuvé par le Sénat par 79 voix contre 18 la veille, comme partie d’un package plus large d’aide étrangère et militaire, après que la Chambre l’ait adopté par 360 voix contre 58 le 20 avril 2024.

TikTok est exploité aux États-Unis par TikTok Inc, une société américaine que ByteDance, basée aux îles Caïmans, possède indirectement.

Selon la demande, ByteDance possède des filiales en Chine et dans d’autres pays.

Faisant écho aux critiques formulées à l’encontre de TikTok par des législateurs des deux bords, la loi souligne les préoccupations liées à la sécurité nationale, selon lesquelles le régime chinois pourrait accéder aux données personnelles des utilisateurs américains de TikTok.

Les investisseurs institutionnels mondiaux détiennent environ 58 % de la société, tandis que 21 % sont détenus par ses employés. Zhang Yiming, un citoyen chinois résidant à Singapour, détient 21 % du capital de l’entreprise. M. Zhang a démissionné de son poste de PDG de ByteDance en 2021.

TikTok nie toute influence chinoise dans ses activités.

« Aucun organe du gouvernement chinois ne détient de participation directe ou indirecte dans TikTok Inc. ou ByteDance Ltd », peut-on lire dans la demande.

Zhang Yiming, PDG de Bytedance, la société mère de TikTok, s’exprime lors d’un événement à Fuzhou, dans la province de Fujian, en Chine, le 23 avril 2018. M. Zhang a annoncé le 20 mai 2021 qu’il quitterait ses fonctions. (STR/AFP via Getty Images)

Les législateurs, y compris le député Mike Gallagher (Parti républicain du Wisconsin), l’un des premiers à avoir soutenu la loi, ont rejeté les allégations relatives à l’absence d’implication du Parti communiste chinois dans la plateforme.

« Nous ne pouvons pas prendre le risque d’avoir une plateforme d’information dominante en Amérique contrôlée ou détenue par une société redevable au Parti communiste chinois, notre principal adversaire », a précédemment déclaré M. Gallagher.

Faisant écho aux critiques formulées à l’encontre de TikTok par des législateurs des deux bords, la loi souligne les préoccupations liées à la sécurité nationale, selon lesquelles le régime chinois pourrait accéder aux données personnelles des utilisateurs américains de TikTok et en abuser, en les exploitant pour obtenir un avantage stratégique sur les États-Unis et faire de la propagande.

La loi exige que TikTok Inc. se sépare de ByteDance avant le 19 janvier – la veille de l’investiture de Donald Trump – ou qu’elle cesse ses activités aux États-Unis.

La loi contient également une disposition qui confère à la seule cour d’appel du district de Columbia le pouvoir de statuer sur les contestations juridiques qu’elle suscite.

Le 13 décembre 2024, la Cour d’appel du district de Columbia a confirmé la loi, la jugeant constitutionnelle, et a rejeté la demande de TikTok d’empêcher l’entrée en vigueur de la loi.

L’entreprise a demandé à la Cour suprême d’intervenir et, le 18 décembre 2024, les juges ont accepté d’accélérer le traitement de l’affaire.

Le gouvernement défend la loi

La solliciteuse générale des États-Unis, Elizabeth Prelogar, a déclaré dans un mémoire daté du 27 décembre 2024 que la loi est constitutionnelle, écrivant qu’elle « est entièrement conforme au premier amendement ».

La loi porte sur « les graves menaces pour la sécurité nationale que représente le contrôle de TikTok par le gouvernement chinois, une plateforme qui recueille des données sensibles sur des dizaines de millions d’Américains et constituerait un outil puissant pour des opérations d’influence secrètes menées par un adversaire étranger ».

Les créatrices de contenu, Callie Goodwin de Columbia (à g.) et Sarah Baus de Charleston (à dr.), s’adressent à un public en direct devant le bâtiment de la Cour suprême des États-Unis après que la Cour a entendu les arguments oraux sur l’annulation ou le report d’une loi qui pourrait conduire à l’interdiction de TikTok aux États-Unis, le 10 janvier 2025 à Washington, DC. (Andrew Harnik/Getty Images)

Le remède proposé par la loi n’est pas d’imposer des restrictions à la liberté d’expression, mais d’interdire à « un adversaire étranger de contrôler la plateforme ».

Cette « exigence de cession neutre sur le plan du contenu » ne va pas à l’encontre du premier amendement, a-t-elle déclaré.

Dans sa demande déposée le 16 décembre 2024, TikTok a qualifié la loi de « restriction massive et sans précédent de la liberté d’expression », affirmant qu’elle interdit à l’entreprise « d’exploiter TikTok au niveau national ».

La Cour d’appel du district de Columbia a estimé que la loi « est l’une de ces rares lois qui peuvent survivre à un examen minutieux », fondant sa conclusion sur les préoccupations du Congrès « concernant les ‘risques’ potentiels que la Chine puisse exercer une influence néfaste sur la plateforme américaine par l’intermédiaire des filiales étrangères des requérants », a déclaré la société.

Les tribunaux ont recours au test de contrôle strict lorsqu’ils examinent des textes législatifs ou exécutifs censés porter atteinte à des droits constitutionnels.

Un intérêt gouvernemental est considéré comme impérieux, et donc satisfaisant au test, lorsqu’il est essentiel ou nécessaire, par opposition à une question de préférence, de choix ou de discrétion.

Trump donne son avis

Donald Trump a pris part au litige par l’intermédiaire de son avocat, John Sauer, qui a déposé un mémoire d’amicus curiae (ami de la cour) le 27 décembre 2024. M. Trump a nommé M. Sauer au poste de solliciteur général, qui remplacera M. Prelogar comme principal avocat du gouvernement auprès de la Cour suprême, dans le cadre de sa nouvelle administration.

Le mémoire affirme que, dans la mesure où M. Trump deviendra bientôt le chef de l’exécutif de la nation, il devrait avoir son mot à dire quant au dénouement de cette affaire.

« [M. Trump] est l’acteur constitutionnel approprié pour résoudre le différend par des moyens politiques », peut-on lire.

D. John Sauer, assistant spécial du procureur général de Louisiane, salue une journaliste lors d’une audition devant la sous-commission judiciaire de la Chambre des représentants sur la militarisation du gouvernement fédéral, au Capitole, le 20 juillet 2023. L’audition a porté sur des cas de censure présumée du gouvernement américain à l’encontre de citoyens, de personnalités politiques et de journalistes. (Anna Moneymaker/Getty Images)

Donald Trump, qui « est l’un des utilisateurs de médias sociaux les plus puissants, les plus prolifiques et les plus influents de l’histoire », a fondé TruthSocial, une plateforme de médias sociaux, et compte 14,7 millions de followers sur TikTok, selon le dossier.

Le président élu s’inquiète du fait que le gouvernement fédéral ferme une « plateforme privilégiée par des dizaines de millions d’Américains, en grande partie à cause d’inquiétudes relatives à des contenus désagréables sur cette plateforme ».

Donald Trump s’oppose à l’entrée en vigueur de la loi le 19 janvier parce qu’il veut avoir le temps d’élaborer une solution politique au problème à son retour à la Maison-Blanche.

Il s’agit d’un mauvais précédent, selon le document, qui rappelle que le Brésil a interdit la plateforme X pendant plusieurs semaines en 2024 parce qu’il n’approuvait pas les contenus qui y étaient diffusés.

M. Trump s’oppose à l’entrée en vigueur de la loi le 19 janvier parce qu’il veut avoir le temps d’élaborer une solution politique au problème à son retour à la Maison-Blanche.

« Le président Trump est le seul à posséder l’expertise nécessaire en matière de négociation, le mandat électoral et la volonté politique de parvenir à une résolution pour sauver la plateforme tout en répondant aux préoccupations de sécurité nationale exprimées par le gouvernement, préoccupations que le président Trump lui-même a reconnues », peut-on lire dans le document.

Wilson Freeman, avocat à la Pacific Legal Foundation, a déclaré qu’il était difficile de savoir comment la Cour suprême traiterait la demande de M. Trump dans cette affaire.

M. Trump est « certainement un « amicus » inhabituel et il y a de bonnes raisons pour que la Cour l’écoute, mais il est toujours difficile de prédire ce que la Cour suprême fera », a-t-il souligné à Epoch Times.

« Je pense qu’ils vont essayer de trancher l’affaire avant le 19 janvier » en s’appuyant sur le bien-fondé des arguments qui leur ont été présentés et non en s’en remettant à M. Trump et en permettant à la nouvelle administration de tenter de résoudre le problème, a-t-il poursuivi.

Le mémoire de Donald Trump n’était pas « incroyablement convaincant » et n’a pas réussi à « expliquer exactement ce qui obligeait la Cour à faire une pause », a estimé M. Freeman.

« Si vous voulez que la Cour vous accorde une sorte de réparation spéciale, vous devez expliquer pourquoi vous avez besoin de cette réparation [au lieu de faire] de vagues références à des accords », a affirmé l’avocat.

« Je n’ai pas vu dans son mémoire une bonne raison d’espérer un sursis. »

Le président élu Donald Trump quitte le Trump International Golf Club dans un convoi de véhicules à Palm Beach, Floride, le 28 décembre 2024. Donald Trump a demandé à la Cour suprême de retarder l’interdiction potentielle de TikTok, qui devrait entrer en vigueur le 19 janvier 2025, cherchant ainsi à obtenir une solution politique au milieu des débats sur la sécurité nationale. (Eva Marie Uzcategui/Getty Images)

Arguments de part et d’autre

L’avocat Mike O’Neill, de la Landmark Legal Foundation, a déclaré que la Cour suprême appliquerait probablement la norme d’examen strict dans cette affaire, ce qui signifie que le gouvernement fédéral doit assumer « un fardeau très lourd ».

M. O’Neill a indiqué à Epoch Times que le gouvernement doit donc démontrer que la loi sur la protection des Américains contre les applications contrôlées par des adversaires étrangers est « étroitement adaptée » pour traiter le problème qu’elle identifie.

Le gouvernement prétend que la Chine stocke les données des utilisateurs américains et manipule secrètement les contenus pour influencer le public américain.

La Cour examinera si cet intérêt est suffisamment impérieux pour justifier « l’atteinte aux droits du premier amendement » en vertu de la norme d’examen strict.

Se décrivant comme un « puriste du premier amendement », M. O’Neill a déclaré qu’il était enclin à croire que « l’Amérique est mieux servie par un échange robuste d’idées », ce qui justifie un examen minutieux de cette affaire.

La raison d’être de ce projet de loi reposait sur la crainte que les Chinois n’utilisent la modération du contenu pour influencer la politique américaine, ce qui va à l’encontre du premier amendement.

Il a toutefois reconnu que le Congrès avait formulé des conclusions en matière de sécurité nationale qui sont « sous scellés […]» et qui n’ont pas été rendues publiques pour des raisons de sécurité nationale.

Si la Cour reconnaît qu’il existe des préoccupations légitimes en matière de sécurité nationale concernant la collecte et l’utilisation par la Chine de données TikTok sur des Américains – ce qui constitue un intérêt impérieux – les juges confirmeront probablement la loi, a déclaré M. O’Neill.

L’avocat Curt Levey, président du Comité pour la Justice, a déclaré qu’il aurait été plus logique que la Cour suprême interdise temporairement l’application de la loi pendant quelques mois et prenne le temps d’examiner attentivement l’affaire au lieu de se précipiter.

L’affaire est « difficile et il y a des arguments de part et d’autre », a-t-il souligné à Epoch Times.

« La raison d’être de ce projet de loi reposait sur la crainte que les Chinois n’utilisent la modération du contenu pour influencer la politique américaine, ce qui va à l’encontre du premier amendement », a déclaré M. Levey.

La Cour suprême des États-Unis à Washington le 14 août 2024. (Madalina Vasiliu/The Epoch Times)

La question de savoir si la loi est inconstitutionnelle est « très délicate », mais même si les Chinois veulent influencer l’opinion publique américaine, il a fait valoir qu’il n’acceptait pas « qu’il y ait une exception au premier amendement pour cela ».

Selon M. Levey, d’autres pays tentent d’influencer l’opinion publique américaine et « nous faisons tout notre possible pour influencer l’opinion publique à l’étranger ; c’est tout l’intérêt d’organismes telles que Radio Free Europe ».

Le gouvernement rétorque que la Chine se livre à une manipulation « secrète » des contenus, mais « qui sait dans quelle mesure » les États-Unis divulguent leurs propres tentatives pour influencer les opinions étrangères, a-t-il ajouté.

« Mais dans tous les cas, la modération de contenu reste, par nature, secrète. Les plateformes de médias sociaux ne vous donnent pas de longues explications sur les raisons qui les ont amenées à supprimer votre publication », a souligné M. Levey.

Selon lui, il n’y a pas assez de débat aux États-Unis sur la menace que représente l’influence étrangère pour le pays.

Il suffit de dire que la Russie ou la Chine tentent d’influencer l’opinion publique américaine pour que les gens se disent : « Oh mon Dieu, c’est une menace », a poursuivi M. Levey.

« Devrions-nous nous sentir menacés ? Et si oui, cette menace constitue-t-elle un intérêt impérieux susceptible de surmonter l’examen strict, qui est la forme la plus élevée d’examen appliqué à une loi ? »

Lors de l’élection de 2016, lorsque la Russie a été accusée d’essayer d’influencer les élections américaines, quasiment personne n’a dit que « les Russes ont le droit d’influencer notre opinion publique, tout comme les Américains ont le droit d’influencer l’opinion publique russe », a indiqué M. Levey.

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