La dépendance aux opiacés devient un handicap pour l’économie américaine

3 décembre 2017 12:03 Mis à jour: 30 avril 2021 15:14

Décrétée urgence nationale par Donald Trump, la crise des opiacés, ces antidouleurs puissants qui tuent chaque jour 90 Américains, est aussi devenue un fléau pour l’économie des États-Unis, en rendant improductives des millions de personnes, alertent les experts.

Quelque 2,4 millions d’Américains, sur environ 320 millions, sont désormais dépendants aux opiacés, une catégorie de stupéfiants englobant à la fois des médicaments analgésiques – tels que la morphine – délivrés sur ordonnance et de l’héroïne, souvent mélangée avec des substances de synthèse.

 

« Plus de 50.000 Américains sont morts d’une overdose de drogue en 2015 dont 63% (33.091) en raison des opiacés. Le problème s’aggrave à un rythme alarmant avec un doublement des décès par opiacés en 10 ans et un quadruplement en 16 ans », déplorent les membres du conseil économique de la Maison Blanche (CEA) dans un rapport publié le 20 novembre.

Ils affirment qu’en 2015 la crise des opiacés a coûté 504 milliards à l’économie américaine ou 2,8% du Produit intérieur brut.

Des prescriptions en hausse de 300%

« La crise des opiacés affecte l’économie américaine en rendant invalides des travailleurs adultes dans les années où ils sont censés être les plus productifs », explique Thomas Bollyky, expert au Council on Foreign Relations, un influent think-tank.

 

La présidente de la Banque centrale, Janet Yellen, s’alarme également de l’impact de cette crise sur l’économie. Elle relève que de nombreux hommes dans la force de l’âge (25-54 ans), totalement dépendants de ces substances, ne sont plus en mesure de chercher du travail. Quand ils travaillent, ils sont loin d’être productifs.

Jerome Powell, qui va lui succéder en février, a été interpellé le 28 novembre sur ce même sujet par deux sénateurs.

« L’accroissement des prescriptions d’opiacés entre 1999 et 2015 pourrait compter à hauteur de 20% du déclin de la participation des hommes au marché de l’emploi lors de cette période et de 25% pour les femmes », chiffre Alan Krueger, économiste de l’université de Princeton. Et c’est dans les régions où les opiacés sont les plus prescrits que le déclin est le plus marqué.

La participation au marché de l’emploi s’élevait à 67,3% au début des années 2000 pour tomber à son plus bas niveau en 40 ans en 2015, à 62,4%, l’un des taux les plus bas de l’OCDE qui regroupe les pays industrialisés.

 

Au-delà de l’impact sur le marché de l’emploi et sur les entreprises privées, c’est l’économie toute entière qui pâtit de cette crise. Sans emplois, ces personnes ne disposent pas de revenus et ne peuvent donc pas consommer dans un pays où les dépenses des ménages sont le principal vecteur de la croissance.

« La crise des opiacés trouve ses origines dans une mauvaise pratique médicale, en particulier une sur-prescription pour des personnes qui ont des problèmes chroniques sans surveillance adéquate du risque d’addiction », explique Thomas Bollyky.

En une vingtaine d’années, leurs prescriptions ont ainsi bondi de 300%, dit-il. « En 2015, la quantité d’opiacés prescrits était telle que chaque Américain aurait pu être soigné 24 heures sur 24 pendant environ trois semaines ».

Un meilleur remboursement des opiacés que des alternatives médicales moins addictives

Les médecins ont prescrit ces opiacés « avec de bonnes intentions, celle de soulager la douleur des patients », commente Alan Krueger, une préoccupation constante de la communauté médicale internationale ces dernières décennies.

 

Et aux États-Unis, faute d’assurance prenant en charge les frais médicaux astronomiques, beaucoup se sont tournés vers ces substances aux prix abordables, que ce soit pour un mal de dos chronique, l’extraction de dents de sagesse ou des maladies dont le traitement adéquat coûterait des milliers de dollars non remboursés.

« Les politiques de remboursement sont plus généreuses pour les opiacés que pour les alternatives médicales moins addictives », explique aussi Thomas Bollyky.

L’accroissement gigantesque de leur consommation n’est pas sans conséquence sur l’augmentation des frais de santé.

Dans ce contexte, le marketing agressif des groupes pharmaceutiques qui ont parfois envoyé des « messages discutables et trompeurs » sur ces antidouleurs a joué un rôle déterminant, note-t-il.

A titre d’exemple, les laboratoires ont livré 780 millions de comprimés en six ans en Virginie occidentale, un État de 1,8 million d’habitants dont le taux de décès par overdoses d’opiacés a bondi de 17% en 2015.

I.M. avec AFP

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