« Sanctions infernales », « anéantissement » économique: en lançant une offensive militaire contre des forces kurdes en Syrie, la Turquie s’expose à des mesures punitives américaines qui risquent de plonger les deux pays alliés dans une crise sans précédent.
Le Congrès américain va faire « payer très cher » à la Turquie son offensive, ont prévenu mercredi des sénateurs républicains comme démocrates, affirmant être en train de « finaliser » un texte pour imposer des sanctions.
Sur le plan militaire, Donald Trump a laissé le champ libre à l’opération turque en annonçant dimanche le retrait de ses forces déployées dans le nord-est de la Syrie près de la frontière avec la Turquie.
Le timing est édifiant: mercredi matin, le président des Etats-Unis annonce sur Twitter que les « 50 soldats » concernés ont bien « quitté » la zone. Moins de deux heures plus tard, son homologue turc Recep Tayyip Erdogan confirme avoir lancé son offensive.
Le spectre des sanctions
Mais face aux critiques unanimes, dont les plus virulentes viennent, une fois n’est pas coutume, de ses propres rangs républicains, l’ex-homme d’affaires installé à la Maison Blanche a durci le ton et menacé Ankara de sanctions économiques. « Si la Turquie fait quoi que ce soit dont j’estime, dans ma grande et inégalable sagesse, que cela dépasse les bornes, je détruirai et anéantirai complètement l’économie de la Turquie« , a-t-il prévenu lundi.
De fait, le spectre des sanctions n’a pas empêché l’armée turque d’aller de l’avant.
Donald Trump est resté étonnamment mesuré dans sa première réaction, se bornant à juger que cette opération était « une mauvaise idée », sans même réitérer sa menace économique. Aux messages contradictoires émis par le président américain ces derniers jours s’ajoute son ambivalence ancienne à l’égard de la Turquie et de son dirigeant, qu’il vient d’inviter à Washington pour le 13 novembre et avec lequel il espérait conclure un accord commercial.
Donald Trump s’est montré réticent à punir Ankara pour l’acquisition des missiles antiaériens russes S-400, alors même que le Congrès estime que ces sanctions devraient être automatiques. Mais le même Trump a aussi renforcé les taxes douanières sur des produits turcs à l’été 2018 pour obtenir — avec succès — la libération du pasteur américain Andrew Brunson longtemps détenu en Turquie.
Or en 2018, les précédents mesures, pourtant relativement symboliques, avaient eu des conséquences désastreuses pour l’économie déjà fragile de la Turquie, faisant plonger la livre.
Recep Tayyip Erdogan, « plus vulnérable que jamais » après des défaites électorales, « sait que les Etats-Unis peuvent faire beaucoup de mal à l’économie turque », explique Gönül Tol, directrice du Centre d’études turques au cercle de réflexion Middle East Institute. « Mais il a tellement investi dans sa relation avec le président Trump qu’il veut croire en la force de leur alchimie. »
Le Congrès prépare ses propres sanctions
La vraie menace, pour Ankara, pourrait toutefois venir des parlementaires américains.
D’une part, car l’imprévisible président, lui-même sur la défensive à un an de briguer un second mandat à la Maison Blanche, pourrait être sensible aux remontrances du camp républicain. D’autre part, car le Congrès prépare ses propres sanctions qui, fortes d’un soutien des élus des deux partis, ont de bonnes chances d’être adoptées.
L’influent sénateur républicain Lindsey Graham, qui soutient d’ordinaire Donald Trump mais l’accuse d’avoir « honteusement abandonné » les Kurdes, a promis des « sanctions infernales », « de grande ampleur, draconiennes et dévastatrices », contre l’économie et l’armée turques. Il a aussi annoncé qu’il demanderait la suspension de la Turquie de l’Otan.
Pour Gönül Tol, « le Congrès va sans aucun doute pousser pour des sanctions, et si elles se concrétisent, les relations américano-turques vont tomber au plus bas ».
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