Enfin une étude scientifique permettant de quantifier solidement l’impact environnemental et économique d’une mesure anti-automobile dans Paris. Considérée comme l’un des piliers de la politique du verdissement de Paris menée par Anne Hidalgo, cette mesure s’avère non seulement contre-productive face à la pollution atmosphérique, mais aussi coûteuse et une source potentielle d’injustice sociale.
Après des années de travaux de recherche autour des politiques d’apaisement de la circulation urbaine et leur impact économique et environnemental, Léa Bou Sleiman, chercheuse doctorante à l’École polytechnique de Paris, a bouclé ses études sur l’efficacité des mesures de piétonnisation de rues dans le centre d’une grande métropole comme celle de Paris. Cela lui a permis de décrocher le prix RIEF 2023 pour les meilleurs travaux de recherche en sciences économiques réalisés par de jeunes économistes européens.
Cette version, publiée en avril 2023 sur le site du CEPREMAP (Centre pour la recherche économique et ses applications), est la toute première étude d’impact solide des données du trafic routier et de la pollution atmosphérique, suite à la décision de la maire de Paris Anne Hidalgo et ses équipes municipales de fermer les « voies sur berges ».
Une décision politique prise sans aucune étude d’impact préalable
Pour une mise en contexte, depuis septembre 2016, la voie Georges-Pompidou est fermée à la circulation sur 3,3 km de l’entrée du tunnel sous les Tuileries à la sortie du tunnel Henri IV, avec comme motivation la lutte contre la pollution atmosphérique.
Cette décision a suscité de vives critiques, notamment de la part de l’autorité environnementale qui a pointé du doigt les inexactitudes et les insuffisances de l’étude d’impact concernant ce projet d’interdiction automobile. C’était l’argument principal pour lequel le tribunal administratif de Paris a ordonné en février 2018 l’annulation d’un arrêté municipal visant à créer une promenade sur le même segment de la voie Georges-Pompidou.
En effet, « les évaluations existantes, et notamment le rapport d’AirParif (2017), se basent sur une comparaison, avant et après la fermeture, de la situation d’un certain nombre de grands axes ou de quartiers. Même si elles sont utiles, ces évaluations ne permettent pas d’établir de façon causale l’impact de la politique, faute de groupe témoin établi de façon suffisamment précise », d’après Léa Bou Sleiman dans une version antérieure de son étude, cosignée en 2021 par ses deux directeurs de thèse, Benoit Schmutz et Patricia Crifo.
« Un second arrêté est alors pris par la Ville de Paris le 6 mars 2018 pour maintenir la piétonnisation, cette fois-ci à des fins esthétiques et touristiques », expliquent les économistes de l’École polytechnique, avant d’ajouter dans La Tribune : « Après plusieurs recours, ce second arrêté est finalement validé par le tribunal administratif le 25 octobre 2018 et confirmé en cour administrative d’appel le 21 juin 2019 ».
Plus de congestion routière à cause de la fermeture des voies sur berges
En 2021, les trois économistes ont déjà démontré que la fermeture de la voie Georges-Pompidou – auparavant empruntée par environ 40.000 véhicules par jour pour des trajets intra-muros ou des déplacements de banlieue à banlieue comme un substitut aux périphériques – avait réduit la vitesse moyenne de plus de 15%.
Par rapport à la version précédente, l’étude publiée en avril 2023 de Léa Bou Sleiman fournit de nouvelles analyses et des résultats plus fouillés. Ceux-ci montrent que la fermeture aux véhicules automobiles de la voie Georges-Pompidou n’a fait qu’amplifier le risque de congestion et la problématique de pollution sur deux ensembles de routes de substitution déjà encombrées, à savoir les rues centrales voisines et les périphériques Ouest-Est.
Plus précisément, les périphériques Ouest-Est deviennent plus encombrés avec une augmentation de la probabilité de congestion de 21%. Les rues centrales voisines sont quant à elles exposées à une augmentation de 50% de risque de congestion.
Ces résultats sont cohérents avec les observations que Léa Bou Sleiman obtient après avoir traité des données sur la vitesse moyenne, à savoir une diminution de la vitesse de 16,5% sur les périphériques et de 17,5% sur les rues centrales.
Elle constate également que les taux d’occupation ont augmenté de 11,2% sur les périphériques et de 34% sur les routes locales, et que ces taux atteignent leur pic en soirée. Il s’agit là d’un fort signal de robustesse de l’étude : avant sa fermeture, la voie à sens unique Georges-Pompidou était principalement utilisée pendant les heures de pointe du soir, puisque l’Ouest de Paris est un pôle d’emploi tandis que l’Est de Paris est une zone résidentielle très peuplée.
Plus de pollution atmosphérique
Pour pallier les limites des travaux menés dans le passé sur le même sujet, notamment le manque de données liées à la pollution atmosphérique, Léa Bou Sleiman a utilisé cette fois-ci deux capteurs pour surveiller en permanence des indices de qualité de l’air, lesquels sont installés au bord de la périphérie et près des « quai hauts ».
En utilisant ces nouvelles données sur la qualité de l’air, l’auteur a réussi à mettre en évidence que les concentrations de dioxyde d’azote (NO2) ont augmenté de 6% près du périphérique et de 1,5% près des rues centrales de substitution.
Ainsi, la politique de l’interdiction automobile dans le centre de Paris pratiquée par la majorité municipale d’Anne Hidalgo s’avère totalement contre-productive : en raison de la baisse de la vitesse de circulation causée par la fermeture des voies sur berge et d’une augmentation de congestion des solutions routières de substitution, la qualité de l’air ambiant se dégrade considérablement.
« 90% du coût de la pollution a été supporté par les résidents à faible revenu »
Cependant, les émissions de NO2 ne sont pas la seule conséquence de l’augmentation de congestion du trafic, car celle-ci peut également être la cause de trajets plus longs donc plus coûteux, ou bien d’une hausse de pollution sonore ou d’émissions d’autres particules nuisibles pour la santé.
Concernant la différence de coût liée à une traversée complète de Paris d’Ouest en Est entre l’avant et l’après fermeture des voies sur berges, Léa Bou Sleiman estime qu’il y a environ 6500 traversées par jour qui empruntent le périphérique comme chemin de substitution. Chacune de ces traversées s’allonge de 4 minutes à cause de la fermeture, ce qui représente une valeur de 1,5 million d’euros environ. Les traversées utilisant les rues voisines du centre-ville pour contourner le segment fermé sont de l’ordre de 20.700 trajets journaliers, avec une perte de 13 minutes chacun, correspondant à un coût de 15,4 millions d’euros.
Par ailleurs, l’augmentation de pollution sonore et la dégradation de qualité de l’air provoquées par la fermeture de la voie Georges-Pompidou pourrait contribuer à la baisse des prix des logements autour du périphérique. Selon l’étude de Léa Bou Sleiman, cette baisse est de l’ordre de 5 % pour les logements situés à 700 mètres du périphérique, soit dans une zone à faible revenu et très peuplée. Donc, une réelle source d’injustice sociale.
« Dans l’ensemble, j’estime que jusqu’à 90 % du coût de la pollution a été supporté par les résidents à faible revenu localisés autour du périphérique, qui vivent en outre loin des nouvelles aménités créées par la fermeture de la voie express et, pour la plupart, en dehors de la juridiction responsable de la décision de fermeture », conclut Léa Bou Sleiman dans son étude.
« La ZTL se fera bien début 2024 »
Malgré ces évidences sur la contre-productivité des mesures visant la fermeture de rues dans l’hypercentre d’une grande métropole comme celle de Paris, la volonté politique d’Anne Hidalgo concernant la restriction drastique de circulation automobile dans le centre de la capitale tricolore reste intacte, notamment à l’heure où les Jeux olympiques 2024 approchent. En effet, la maire de Paris a laissé entendre dans son entretien accordé à l’AFP fin mars que « la ZTL [zone à trafic limité] se fera bien début 2024 ».
Pourtant, l’élue socialiste parisienne avait décidé, début 2022, de repousser ce projet phare de sa deuxième mandature. La majorité municipale parisienne avait justifié ce report par la nécessité de « prendre le temps » d’une étude d’impact et d’une enquête publique, laquelle doit associer les habitants, les autorités de transports, les commerçants et les grands magasins.
« On tient les délais », réaffirme Anne Hidalgo avant de continuer : « Nous transmettrons notre dossier à l’Autorité environnementale dans les semaines à venir pour une enquête publique à la fin de l’été. »
La future ZTL viserait l’interdiction de circulation dans l’hypercentre parisien des véhicules « de transit ». En d’autres termes, l’interdiction de tout véhicule dans le centre de Paris sauf ceux des riverains, commerçants, personnes à mobilité réduite, employés ou personnes «se rendant au théâtre ou chez des amis », ou encore, les véhicules de secours, de transport public, taxis et VTC.
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