Même si le numérique révolutionne nos vies, certains économistes observent un étonnant paradoxe : l’économie numérique, bien que se comptant en milliards d’euros n’apporte pour l’instant aucune solution en terme de croissance stable et pérenne.
La menace qu’inspirait Uber aux compagnies de taxis a désormais son nom : l’uberisation. Un néologisme qui fait trembler les secteurs d’activités traditionnels en présentant une concurrence difficile à supporter. À l’exemple d’Airbnb, qui révolutionne le secteur hôtelier au point de se mesurer, outre-Atlantique, aux plus grands noms du secteur.
Une concurrence d’un genre nouveau : précarité pour les uns, tournant inévitable lié à l’économie numérique pour les autres. La réalité que couvre le terme est complexe et étendue, et renvoie à l’espoir que suscite le numérique, censé révolutionner nos modes de vie.
Pour autant, plusieurs économistes s’inquiètent d’une situation « extrêmement paradoxale ». Daniel Cohen, économiste français, observe par exemple que « depuis les 30 dernières années, la croissance n’a pas cessé de diminuer » malgré une « révolution numérique sans précédent ». D’après leurs travaux, si la révolution technologique transforme notre rapport aux services, par exemple avec la suppression des filières et des intermédiaires, le gain économique est pourtant loin d’être évident. Car ce qui améliore les conditions de vie et d’utilisation des biens n’est pourtant pas en soi un moteur de croissance. Explications.
Le collaboratif, une économie difficile à mesurer
Dans une interview accordée au Monde, Joseph Stiglitz, prix Nobel d’Économie 2015, s’interroge sur les « innovations de ces dernières années ». « Pour l’instant, Facebook, AirBnb, l’économie collaborative, ne génèrent pas de gains de productivité aussi puissants que ceux de la révolution industrielle, et nous ne savons pas mesurer ce qu’elles apportent dans le produit intérieur brut », analyse-t-il.
Malgré le développement numérique, il demeure aujourd’hui difficile de quantifier la part de l’économie collaborative, qui se veut un secteur à part entière. Certaines estimations portent à 3,5 milliards d’euros le poids total de ce secteur dans le monde. Mais les États n’ont pas aujourd’hui les moyens nécessaires pour mesurer le poids de l’économie collaborative dans l’économie réelle.
Cela est en partie dû à la nature de cette économie, qui rentabilise des ressources déjà existantes. « C’est du capitalisme sans capital. Par exemple, le covoiturage fait de l’argent avec la voiture de son adhérent, et Airbnb n’a pas – ou très peu – d’immobilisation en capital, mais peut prétendre à une capacité d’accueil supérieure à certains groupes hôteliers », soulève Philippe Moati, professeur agrégé d’économie à l’université Paris-Diderot.
L’économie collaborative ne crée pas de biens à proprement parler
Dans une économie mondiale tournant au ralenti, la perspective de la mise à disposition des biens et services est réellement un confort et un gain pour l’utilisateur. « L’économie collaborative n’affaiblit pas l’économie, mais émerge car l’économie elle-même s’est affaiblie », explique Anne-Sophie Novel, journaliste et auteur d’ouvrages sur la question.
Du point de vue de la croissance, le secteur collaboratif n’aurait rien de comparable aux gains de productivité observés au cours de la révolution industrielle, tel que l’évoque Joseph Stiglitz. Et c’est là l’un des problèmes de l’économie collaborative. Au cours des dernières décennies, les périodes de croissance étaient en partie dues aux capacités d’innovation et d’accès aux biens (comme la démocratisation des biens de consommation courants au cours des Trente Glorieuses, ou encore la ruée vers l’équipement informatique des années 90). Or, il est difficile de croire que le secteur collaboratif puisse soutenir une telle croissance.
Car l’économie collaborative ne crée pas de biens à proprement parler – si on exclut la technologie mobile, en grande partie concernée par l’innovation technologique. « Là est la différence avec les précédentes révolutions industrielles qui ont fait naître de nombreux biens. Les produire et les consommer en masse ont dopé la croissance », remarque Daniel Cohen. « Aujourd’hui, tout va plus vite. On peut réserver des vacances à l’autre bout du monde grâce à son logiciel, mais le bien final reste le même », conclut-il.
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