La « Rhapsodie sur un thème de Paganini » de Rachmaninov

Cette pièce est l'une des œuvres les plus durables du compositeur

Par Andrew Benson Brown
26 août 2024 22:20 Mis à jour: 27 août 2024 19:44

Peu de compositeurs classiques du XXe siècle ont infiltré la culture populaire comme Rachmaninov. Sa musique est apparue dans de nombreux films, pour de bonnes raisons. L’histoire d’amour dans Brève rencontre (1945) de David Lean aurait-elle été aussi puissante sur le plan émotionnel sans les mélodies luxuriantes du Concerto pour piano n° 2 qui tourbillonnent en arrière-plan ?

Dans la comédie classique Groundhog Day (Le jour de la marmotte ou Un jour sans fin), Phil Connors (Bill Murray) répète inlassablement les mêmes 24 heures. Lorsqu’il se rend compte de ses erreurs et décide de changer ses comportements égoïstes, il se met au piano. Dans une scène clé, il surprend son amoureuse en jouant la variation 18 de la Rhapsodie sur un thème de Paganini. Rachmaninov a aidé Phil à devenir une meilleure personne.

Rachmaninov n’était pas le premier compositeur à écrire des variations sur Caprice n° 24 en la mineur de Paganini. Paganini lui-même l’avait fait au violon, et Liszt et Brahms en avaient fait des arrangements pour le piano. Ce sont toutefois les variations de Rachmaninov qui sont les plus connues aujourd’hui. Cette pièce est l’une de ses œuvres les plus durables.

Sergei Rachmaninoff est l’un des compositeurs les plus influents du XXe siècle. (Domaine public)

La lutte pour le respect

Rachmaninov est né en 1873 dans une famille aristocratique russe, sous le nom de Sergueï Vassilievitch Rachmaninov. Il a fui son pays après la révolution russe de 1918.

Pendant des années, sa musique a été interdite en Russie. En tant qu’exilé, il était considéré avec suspicion. En outre, le style romantique de Rachmaninov n’était pas en accord avec les idées de l’art soviétique, qui défendait la conscience sociale et les valeurs (supposées) de la classe ouvrière.

De nombreuses élites musicales professionnelles occidentales n’appréciaient pas non plus Rachmaninov. Le modernisme s’infiltre dans la musique classique, comme dans d’autres formes d’art, et les innovations radicales telles que la gamme de 12 tons de Schoenberg sont en vogue. Les modernistes considéraient les mélodies fluides de Rachmaninov comme démodées et conservatrices.

Interprétation de la Rhapsodie

Rachmaninov finit par s’installer avec sa famille après avoir construit une maison au bord du lac des Quatre-Cantons, en Suisse. C’est là qu’il décide d’écrire la Rhapsodie au cours de l’été 1934. Dès le début du mois de juillet, il se lève le matin pour composer et ne pose son stylo que le soir. Pendant près de deux mois, il continue ainsi, achevant son œuvre à la fin du mois d’août.

Quelques semaines plus tard, il écrit à un ami moscovite, Vladimir Vilshau, qu’il a achevé « une très longue pièce, d’environ vingt à vingt-cinq minutes […] de la taille d’un concerto pour piano. Je vais l’essayer à New York et à Londres ».

La Rhapsodie impose de nombreuses exigences techniques à l’interprète soliste, requérant toutes les possibilités du piano. Rachmaninov se demande s’il est à la hauteur de la tâche. « Souvent, il m’est trop difficile de jouer. Je suis devenu vieux », dit-il à Vilshau. Malgré la complexité de l’œuvre, il la joue de nombreuses fois.

À partir de la fin de la cinquantaine, Rachmaninov compose très peu. Il gagne sa vie en tant qu’interprète, et son emploi du temps sollicite ses « vieux » doigts. La saison de concerts au cours de laquelle la Rhapsodie devait être jouée pour la première fois fut la plus chargée de sa vie. Il écrit à Vilshau qu’il donne habituellement une quarantaine de concerts par an ; au cours de l’année suivante, il en donnera près de 70. Il s’interroge : « Vais-je survivre ? »

La première de la Rhapsodie a lieu à Baltimore en novembre 1934, interprétée par l’orchestre de Philadelphie. C’est un succès, et tout au long de sa longue tournée de concerts à travers l’Amérique et l’Europe, il continue à peaufiner la composition lors des représentations.

Structure de la Rhapsodie

La Rhapsodie est l’une des meilleures œuvres de Rachmaninov. Éblouissante par sa virtuosité technique, elle a finalement satisfait les grands pontes occidentaux qui le considéraient comme un réactionnaire n’écrivant que de « jolies » mélodies. La raison pour laquelle l’œuvre est toujours populaire, bien sûr, est la mélodie charmante qui s’insinue dans chaque morceau.

Dans l’ensemble, la composition présente une structure classique. Les 24 variations sont divisées en trois groupes de huit. Chaque variation, bien que liée au thème, est une pièce à part entière. La plus durable de ces pièces est la 18e, qui est souvent extraite séparément dans les concerts d’aujourd’hui.

Rachmaninov a repris une partie du thème développé dans les variations précédentes et l’a retourné. Les intervalles descendants deviennent des intervalles ascendants. Le piano échange avec l’orchestre, se tissant dans une riche harmonie.

Des accents plus sombres

Le compositeur fait également quelque chose d’autre dans cette œuvre : un thème de Dies Irae est incorporé tout au long de l’œuvre. Il s’agit d’un chant médiéval de la messe de requiem en latin, associé au Jugement dernier. Dans la variation 18, cet air prémonitoire est subtilement intégré à l’inversion mélodique, ce qui lui confère un caractère sombre.

Pourquoi Rachmaninov a-t-il incorporé ce thème ? Une vieille légende sur la vie de Niccolò Paganini veut que le célèbre violoniste ait vendu son âme au diable pour atteindre la grandeur artistique et gagner l’amour d’une femme. Ce mythe a une forte influence faustienne qui a persisté dans l’image populaire de Paganini, c’est pourquoi Rachmaninov l’a inclus dans ses variations.

Ce portrait de Niccolò Paganini met en valeur sa passion pour le violon. (Domaine public)

Trois ans après avoir composé la Rhapsodie, Rachmaninov a écrit à Mikhail Fokine, un chorégraphe de ballet russe, pour lui faire part de son intérêt à l’utiliser dans une œuvre théâtrale sur Paganini. Rachmaninov y explique ses idées dramatiques. Selon lui, le thème du Dies Irae représenterait un « esprit maléfique », introduit dans la variation n° 7 et développé dans les trois variations suivantes. Les variations 11 à 19 représenteraient l’histoire d’amour entre Paganini et la femme dont il gagne le cœur. Dans les dernières variations, des « personnages représentant l’esprit maléfique » reviendraient « sous forme de caricatures ressemblant à Paganini », jouant du violon dans la lutte pour son âme. Après avoir exposé sa proposition, Rachmaninov demanda à Fokine : « Vous n’allez pas vous moquer de moi, n’est-ce pas ? ».

L’idée du ballet plut à Fokine et la première eut lieu à Londres deux ans plus tard. Comme l’histoire de Faust, dont l’intrigue du ballet s’est inspirée, l’histoire se termine bien pour Paganini. Le mal perd à la fin et le violoniste est conduit à l’immortalité.

La nostalgie du pays

En 1934, l’année où Rachmaninov écrit la Rhapsodie, les élites soviétiques lèvent l’interdiction qui pèse sur sa musique. Si plusieurs de ses autres œuvres ont été jouées avec succès de son vivant, la Rhapsodie n’en faisait pas partie. Ce n’est que des années après sa mort que la première représentation a eu lieu.

Lors de ses concerts, Rachmaninov se montrait souvent morose, un état émotionnel attribué à sa nostalgie du pays. Deux spectateurs russes, Ilya Ilif et Eugene Petrov, l’ont un jour décrit sur la scène du Carnegie Hall de New York : « Grand, courbé et maigre, avec un long visage triste ». Selon eux, son expression semblait dire : « Oui, je suis un malheureux exilé et je suis obligé de jouer devant vous ».

Sergei Rachmaninoff en 1935. (Hulton Archive/Stringer)

Rachmaninov n’a jamais revu sa patrie après sa fuite – une situation malheureuse à laquelle sont confrontés de nombreux exilés politiques, à l’époque comme aujourd’hui. Il a cependant trouvé un nouveau foyer et une certaine paix sur les rives du lac des Quatre-Cantons, offrant au monde une musique qui sera toujours admirée.

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