La stratégie d’apaisement de l’Europe sur l’agriculture ne convainc pas

Par Germain de Lupiac
24 février 2025 06:21 Mis à jour: 24 février 2025 06:21

Alors que commence le 61eme salon de l’Agriculture 2025 à Paris, Bruxelles fait le bilan des dernières manifestations des agriculteurs qui se sont tenues massivement en décembre 2024 de Paris à Varsovie et jusque sous ses propres fenêtres.

Dans sa nouvelle « vision » du monde agricole, l’UE propose des assouplissements comme la réciprocité des normes mais « en même temps » continue sa promotion des accords internationaux comme le Mercosur et le CETA.

Les agriculteurs européens étranglés par un coût de l’énergie, des normes sociales, écologiques et administratives plus élevés que d’autres pays se trouvant à plusieurs milliers de km, n’y croient pas.

Cette stratégie d’apaisement semble répondre à leurs principales revendications, mais rien n’indique véritablement comment elles vont être mises en œuvre, alors que l’arrivée sur le marché européen des nouveaux produits agricoles venant de l’autre bout du monde s’accélère.

La nouvelle vision de l’UE pour le monde agricole

L’Union européenne a dévoilé le 19 février sa « vision » pour le monde agricole, s’engageant à limiter l’importation de produits qui ne respectent pas les mêmes normes environnementales que les siennes.

La Commission propose des mesures pour soulager le secteur, une feuille de route qu’elle veut être « une réponse forte à l’appel à l’aide » exprimé par le monde agricole, a salué le commissaire européen Raffaele Fitto.

Mais dans ce document d’une vingtaine de pages figurent peu de propositions précises ou chiffrées. « La première mission de cette vision est de faire baisser les tensions et d’apaiser les acteurs », explique Luc Vernet, du cercle de réflexion Farm Europe, décrivant un contexte « ultra sensible », où « tout le monde est à fleur de peau ».

« C’est donc un texte extrêmement prudent. Dans le contexte géopolitique actuel et un an après les manifestations, la Commission ne veut pas se lier les mains et veut avancer à tâtons », note-t-il.

Une grande communication pour de rares mesures

Parmi les rares mesures détaillées dans ce texte, le commissaire européen à l’Agriculture, Christophe Hansen, propose d’explorer à nouveau la question de la réciprocité des normes. Il s’agit de s’assurer que les produits agricoles importés respectent les mêmes exigences environnementales que ceux produits en son sein, comme c’est le cas pour les produits venant du Brésil, d’Ukraine, du Canada, du Chili, de Nouvelle-Zélande, etc.

Il cite notamment le cas des pesticides, promettant de veiller à ce que les produits les plus dangereux, interdits sur le continent pour des raisons sanitaires et environnementales, « ne soient pas réintroduits par le biais de produits importés ».

« Évidemment, on peut dire que c’est une barrière au commerce, c’est comme certains pays tiers vont l’interpréter », a affirmé le commissaire. « Mais d’un autre côté, ce sont des produits qui sont hautement toxiques pour nos abeilles, pour nos pollinisateurs », a-t-il défendu.

Cette mesure était particulièrement chère à la France, qui porte ce combat depuis plus de trois ans.

Lutter contre la « concurrence déloyale de pays tiers »

L’exécutif européen entend également développer une panoplie d’outils pour lutter contre la « concurrence déloyale de pays tiers », dossier particulièrement brûlant deux mois après la conclusion de l’accord de libre-échange avec les pays latino-américains du Mercosur auquel les agriculteurs européens sont vivement opposés.

Cette déclaration intervient dans un contexte aux menaces répétées de taxes douanières américaines et chinoises et le début d’une guerre commerciale sur les échanges internationaux.

Reprenant le mot d’ordre de la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, qui veut réviser plusieurs textes européens jugés trop contraignants, le document appelle aussi à libérer les agriculteurs d' »exigences réglementaires complexes ».

Le projet prévoit également une réforme de la politique agricole commune (PAC) qui répartirait mieux les aides pour les agriculteurs « qui en ont le plus besoin ».

Une « réserve » d’un milliard d’euros en cas d’impact négatif du Mercosur

En janvier, la Commission européenne a confirmé préparer une « réserve d’au moins un milliard d’euros » de subventions publiques pour soutenir les agriculteurs en cas d’impact négatif de l’accord de libre-échange avec les pays latino-américains du Mercosur.

L’accord du Mercosur a été scellé par Ursula von der Leyen en décembre en Uruguay, mais qui doit encore être approuvé par les États membres au sein du Conseil, puis ratifié au Parlement européen. La France s’oppose à cet accord.

« L’objectif est de constituer une sorte d’assurance pour nos agriculteurs et nos zones rurales. Nous ne pensons pas qu’elle sera nécessaire en raison des protections que nous avons intégrées » dans l’accord noué avec les pays du Mercosur, a-t-il affirmé le porte-parole de la Commission européenne, Olof Gill. Selon ce porte-parole, cette réserve serait intégrée au prochain cadre financier pluriannuel 2028-2034 de l’UE.

L’accord avec l’Argentine, le Brésil, l’Uruguay et le Paraguay, devrait notamment permettre à l’Union européenne d’exporter plus facilement ses voitures, machines, produits pharmaceutiques ou du vin. De l’autre côté, il faciliterait les exportations sud-américaines de viande, sucre, riz, miel ou soja.

La Commission européenne parle de « petits volumes » : les produits du Mercosur dont les droits de douane seront réduits voire éliminés seront de 99.000 tonnes maximum pour la viande bovine, soit 1,6 % de la production de l’UE, sur un marché créant déjà des tensions majeures chez les agriculteurs européens. Pour les volailles 180.000 tonnes (1,4 %), le sucre 190.000 tonnes (1,2 %).

Les agriculteurs toujours vent debout contre le Mercosur 

« Un accord obsolète, anachronique et inacceptable » : des agriculteurs réunis sous les bannières de la FNSEA et des Jeunes agriculteurs (JA) avaient encore manifesté le 22 janvier devant le Parlement européen pour demander l’abandon de l’accord commercial signé par l’Union européenne avec le Mercosur.

« Au moment où Donald Trump met des droits de douane pour protéger son économie et où tous les blocs cherchent à préserver leur souveraineté, nous, Européens, avons encore une Commission qui s’entête dans ce qui est un désastre », a déclaré Patrick Benezit, éleveur bovin et vice-président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA).

« Nous comptons sur un sursaut des responsables politiques et des États. On ne peut plus laisser faire ces gens-là, ils mettent à mal notre souveraineté alimentaire. C’est une faute politique et une erreur pour l’avenir de l’Europe », a-t-il ajouté.

Si la France et la Pologne ont déjà exprimé leur opposition, il faudra au moins quatre États réunissant 35% de la population européenne pour bloquer le texte. Autriche, Pays-Bas, Irlande ou Italie ont exprimé des réticences. L’Allemagne, l’Espagne, le Portugal au contraire sont favorables au traité, surtout parce que cela va développer leurs propres exportations.

« Nous sommes pour la souveraineté de nos nations, pour la souveraineté alimentaire. Nous n’allons rien céder, pas un millimètre », a déclaré Roberto Vannacci, eurodéputé italien du groupe des Patriotes pour l’Europe.

Un accueil timide

Cette « vision » de la Commission européenne a pour l’heure reçu un accueil timide des milieux écologistes et agricoles. Derrière ces mesures semblant répondre aux demandes des agriculteurs, rien n’explique véritablement comment elles vont être mises en œuvre et selon quelles contraintes.

« Dans le monde agricole, ça sera : ‘Ok très bien il y a des déclarations d’intention, mais maintenant on attend du concret’ « , prédit Luc Vernet, de Farm Europe. Cette stratégie « d’apaisement ne suffira pas parce qu’on est dans un secteur qui est en perte de vitesse rapide », insiste-t-il.

Pour l’ONG Greenpeace, ce plan « ne fait presque rien pour réduire les menaces environnementales, climatiques et socio-économiques qui pèsent sur la plupart des agriculteurs ».

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