La Syrie post-Assad en proie à des violences sectaires et à des attaques d’insurgés

Ces dernières semaines, des rapports épars de violence contre la minorité alaouite de Syrie ont été signalés, ainsi que des attaques par des auteurs inconnus contre le personnel de sécurité dirigé par le HTS

Par Adam Morrow
5 février 2025 20:15 Mis à jour: 5 février 2025 21:51

Depuis la chute du régime du président syrien Bachar el-Assad en décembre 2024, des rapports font état d’une montée des violences sectaires, en particulier contre la communauté alaouite de Syrie, dont est issue la famille du président déchu.

« Depuis le début de l’année 2025, la Syrie connaît une escalade spectaculaire des assassinats et des actions de représailles menées par des groupes d’hommes armés dans différentes provinces syriennes », a signalé l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), basé au Royaume-Uni, dans un rapport daté du 26 janvier.

« Certains de ces groupes affirment être affiliés à l’Administration [syrienne] des opérations militaires. »

L’organisation a attribué les attaques signalées à des « motivations politiques et sectaires ».

Selon l’OSDH, qui suit depuis longtemps les violations des droits commises par de multiples acteurs en Syrie, les exécutions extrajudiciaires « basées sur des affiliations sectaires » sont principalement signalées dans les provinces de Homs, Hama et Lattaquié.

« Ces développements ne sont pas une surprise », a déclaré à Epoch Times Aydin Sezer, un éminent analyste politique turc. « Ce qui me surprend, c’est le faible nombre de meurtres [rapportés]. »

« Je crois qu’il y a beaucoup plus d’assassinats qui n’apparaissent pas dans le discours public, ni dans les rapports des organisations internationales. »

Au début du mois de décembre 2024, le régime de Bachar al-Assad s’est brusquement effondré et son armée nationale a semblé se désintégrer face à une offensive des rebelles soutenue par la Turquie.

L’offensive, au cours de laquelle Bachar el-Assad lui-même s’est enfui à Moscou, a été menée par le groupe terroriste Hay’at Tahrir al-Sham (HTS), un groupe désigné par les États-Unis comme terroriste et ayant des liens antérieurs avec le groupe terroriste Al-Qaïda.

Depuis l’éviction de Bachar al-Assad, le chef du HTS, Ahmad al-Sharaa (anciennement connu sous le nom d’Abu Mohammed al-Golani), est devenu le dirigeant de facto de la Syrie.

Le 29 janvier, M. al-Sharaa a été proclamé président de transition de la Syrie. Le lendemain, dans son premier discours à la nation, M. al-Sharaa a souligné la nécessité de « parvenir à la paix civile » dans une Syrie déchirée par le conflit, grâce à une « véritable justice transitionnelle ».

Le chef de la nouvelle administration syrienne, Ahmed al-Sharaa, le 30 décembre 2024 à Damas, en Syrie. (Ali Haj Suleiman/Getty Images)

Depuis sa prise de pouvoir, le HTC, anciennement connu sous le nom de Front Al-Nusra, a cherché à se distancier de ses liens antérieurs avec Al-Qaïda, s’engageant à sauvegarder les droits des minorités ethniques et religieuses disparates de la Syrie.

Néanmoins, des rapports sont apparus ces dernières semaines révélant de violentes représailles contre la communauté alaouite de Syrie – dont le président Assad et son cercle dirigeant étaient membres – par les nouveaux dirigeants du pays, dirigés par le HTC.

Jusqu’à présent, de tels rapports – et des séquences vidéo non authentifiées – ont été largement confinés aux médias sociaux, rendant leur confirmation difficile.

Le 24 janvier, l’OSDH a rapporté que des « hommes armés non identifiés portant des uniformes militaires » ont sommairement exécuté 13 personnes à Fahel, un village alaouite dans la campagne de Homs.

Omer Onhon, qui a été ambassadeur de Turquie à Damas de 2009 à 2012, a déclaré que les informations sur les attaques, si elles sont vraies, sont « très inquiétantes pour l’avenir de la Syrie ».

« Apparemment, il y a eu des incidents, des attaques », a indiqué M. Onhon à Epoch Times. « Mais qui les commet ? Et pourquoi ? Il est important de le savoir. »

Il a exprimé l’espoir que de telles attaques soient des « événements isolés » perpétrés par des « éléments voyous » plutôt qu’une politique de représailles « sanctionnée par le [nouveau] gouvernement syrien ».

« C’est ce que j’espère, car ces [attaques] sont des activités criminelles », a déclaré M. Onhon.

Kevork Almassian, analyste politique né en Syrie et installé à Berlin, a également qualifié ces rapports de « profondément troublants », mais « pas entièrement surprenants compte tenu des racines idéologiques du HTC ».

« Le HTC, issu de factions liées à Al-Qaïda, a toujours épousé une idéologie salafiste-djihadiste qui considère les communautés musulmanes non sunnites, notamment les Alaouites, comme hérétiques ou apostates », a souligné M. Almassian dans un entretien accordé à Epoch Times.

« Ce cadre idéologique a souvent été utilisé pour justifier la violence contre les minorités religieuses, en particulier les Alaouites, qui étaient présentés comme la base populaire du gouvernement Assad. »

Les Alaouites, qui représenteraient environ 10 % de la population syrienne, adhèrent à une forme hétérodoxe de l’islam chiite. Historiquement, ils étaient largement concentrés dans les provinces côtières de Lattaquié et de Tartous.

Selon M. Almassian, qui a fondé et dirige le site web Syriana Analysis, les dirigeants du HTC ont « occasionnellement cherché à se présenter comme des acteurs pragmatiques privilégiant la gouvernance [civile] ».

« Mais ses actions sur le terrain trahissent souvent un agenda sectaire persistant », a-t-il noté.

Pour M. Sezer, la violence à l’encontre des minorités religieuses est « ce à quoi on s’attend » venant de groupes, dont le HTC, qui descendent idéologiquement d’Al-Qaïda.

« Outre leurs obsessions idéologiques et religieuses, ces groupes sont animés par la volonté de faire porter à la communauté alaouite la responsabilité de l’ensemble du régime Assad », a-t-il ajouté.

Le 30 janvier, Tulsi Gabbard, la candidate du président américain Donald Trump au poste de directeur national du renseignement, a formulé des critiques similaires à l’encontre du HTC, soulignant les liens passés du groupe avec l’extrémisme violent.

« Je n’ai pas versé de larmes pour la chute du régime d’Assad », a déclaré Mme Gabbard devant la Commission du renseignement du Sénat américain, lors d’une audition de confirmation controversée le 30 janvier.

« Mais aujourd’hui, nous avons un extrémiste islamiste qui est désormais à la tête de la Syrie […] qui a déjà commencé à persécuter, tuer et arrêter des minorités religieuses, comme les chrétiens », a-t-elle souligné, en faisant référence au chef du HTC, M. al-Sharaa.

Toutefois, Mme Gabbard n’a fourni aucune preuve pour étayer ses affirmations.

Tulsi Gabbard, candidate au poste de directeur du renseignement national, témoigne devant la Commission sénatoriale du renseignement à Washington le 30 janvier 2025. (Madalina Vasiliu/Epoch Times)

Pour M. Sezer, ce sont les Alaouites de Syrie, et non les chrétiens, qui seront probablement les premières cibles de la violence sectaire en raison de leur affiliation à la dynastie Assad, qui est restée au pouvoir pendant de longues années.

Le nouveau régime syrien dirigé par le HTC, a-t-il déclaré, « sera particulièrement prudent avec les chrétiens, pour ne pas affecter ses relations avec l’Occident ».

M. Almassian craint que d’autres groupes minoritaires de Syrie ne fassent l’objet de sévices, compte tenu des associations passées du HTC.

« Si les Alaouites ont été les premières victimes, d’autres minorités religieuses et ethniques, comme les chrétiens, les Druzes et les Ismaéliens, pourraient également être menacées », a-t-il souligné.

Le HTC sous le feu des critiques ?

Les allégations de violence sectaire ont été accompagnées de rapports épars faisant état d’attaques perpétrées par des inconnus contre le personnel de sécurité dirigé par le HTC.

Fin décembre 2024, 14 d’entre eux ont été tués près de la ville de Tartous dans une « embuscade » tendue par des forces encore fidèles à Assad, selon l’administration transitoire syrienne.

À cette occasion, le ministère de l’Intérieur syrien, dirigé par le HTC, a déclaré que dix autres agents de sécurité ont été blessés par ce qu’il a décrit comme des « reliquats » du régime d’Assad.

Le ministère a promis une réponse sévère contre « quiconque ose porter atteinte à la sécurité de la Syrie ou mettre en danger la vie de ses citoyens », rapporte l’agence Reuters.

Le 26 janvier, The National, un journal d’Abu Dhabi (Émirats arabes unis), a rapporté que des membres du HTC ont affirmé que des « centaines » de combattants du HTC étaient entrés dans les zones côtières de la Syrie, dans un contexte de résurgence de la violence sectaire.

Selon le journal, l’opération est intervenue après que des informations ont été rapportées, signalant l’exécution de 13 Alaouites à Homs – probablement ceux qui auraient été tués à Fahel – le 24 janvier.

Le journal a ensuite rapporté, en citant des sources du HTC, que 10 membres du personnel de sécurité affilié au HTC ont été tués par des « tireurs alaouites » près de la ville côtière de Jableh.

Epoch Times n’a pu vérifier de manière indépendante aucune de ces affirmations.

Une première promotion de 800 diplômés des forces de sécurité générale syriennes sous le nouveau régime s’entraîne lors d’une cérémonie de remise des diplômes au siège de l’académie de police à Damas, en Syrie, le 14 janvier 2025. (Bakr Alkasem/AFP via Getty Images)

Le 28 janvier, le portail d’information jordanien Albawaba a rapporté que deux voitures piégées avaient explosé près d’un poste de police et d’un poste de contrôle militaire dans la campagne de Homs.

Le lendemain, l’agence de presse officielle syrienne Syrian Arab News Agency a semblé confirmer les deux explosions, qui n’auraient causé que des dégâts matériels. Elle n’a pas nommé les auteurs de l’attentat.

M. Onhon était au courant de ces rapports, sans pouvoir cependant confirmer leur exactitude.

« Nous ne savons pas exactement ce qui se passe, mais apparemment il y a quelque chose de vrai [dans les rapports] », a-t-il ajouté, décrivant la situation actuelle sur le terrain en Syrie comme « assez compliquée ».

« Ils affirment que les attaques ont été menées par des éléments de l’ancien régime ou par des villageois qui se sentaient menacés. »

Selon M. Onhon, après la chute du régime d’Assad et la dispersion de son armée, de nombreux soldats syriens sont tout simplement « retournés dans leurs villes et leurs villages ».

« Parmi eux, de nombreux Alaouites sont retournés dans la région de Lattaquié et de Tartous. Il reste donc de nombreux éléments de l’ancienne armée. »

Pour M. Sezer, davantage d’attaques contre le personnel de sécurité dirigé par le HTC sont à craindre à l’avenir, « en particulier sur la côte méditerranéenne », où le sentiment pro-Assad est connu pour être le plus fort.

« Selon le succès ou l’échec de la direction du HTS, ces attaques et cette résistance armée pourraient se poursuivre, voire s’intensifier », a-t-il ajouté.

« Du fait de la guerre civile, tous les groupes ethniques syriens disposent d’armes et de munitions. »

M. Almassian a qualifié ces rapports de « crédibles », tout en précisant que les attaques contre le personnel du HTC « restent éparses et d’une portée limitée ».

« Ces attaques sont davantage considérées comme des actes de résistance individuelle ou de petits groupes que comme faisant partie d’un mouvement plus large et organisé contre le régime du HTC », a-t-il estimé.

« Rien n’indique que ces actions s’inscrivent dans le cadre d’une campagne coordonnée ou qu’elles bénéficient du soutien de pouvoirs locaux ou régionaux. »

Selon lui, si ces attaques « peuvent temporairement perturber les opérations du HTC ou faire des victimes, leur capacité à constituer une menace sérieuse et à long terme pour le contrôle du groupe est discutable ».

« Des incidents sporadiques vont probablement persister, en particulier dans les régions où le ressentiment à l’égard du régime du HTC reste élevé », a indiqué M. Almassian.

« Toutefois, en l’absence d’une structure de commandement unifiée, d’un soutien extérieur ou d’une stratégie claire, il est peu probable que ces actions se transforment en un mouvement de résistance durable. »

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