L’acier bon marché chinois coûte cher à l’Afrique du Sud

Les experts du secteur affirment que les droits de douane en vigueur ne sont pas suffisamment élevés pour protéger l'acier local, si bien que les produits chinois à bas prix inondent les marchés

Par Darren Taylor
31 janvier 2025 19:20 Mis à jour: 31 janvier 2025 19:21

JOHANNESBURG – L’un des plus grands fabricants d’acier au monde, ArcelorMittal, a annoncé au début du mois qu’il cesserait bientôt ses activités en Afrique du Sud, alors que les ondes de choc de l’afflux d’importations chinoises bon marché ressenties dans d’autres parties du monde atteignent désormais l’Afrique.

Selon le site d’information sud-africain Daily Investor, les analystes du secteur de l’acier estiment que la plus grande économie d’Afrique pourrait ainsi perdre 100.000 emplois. Cette réduction potentielle d’emplois viendrait s’ajouter à un taux de chômage de 32 %, l’un des plus élevés au monde.

Irvin Jim, dirigeant de l’Union nationale des métallurgistes d’Afrique du Sud, a déclaré à Epoch Times : « Ce à quoi nous avons affaire ici, c’est une Chine qui continue à produire de l’acier dont elle n’a pas besoin et qui s’en débarrasse ensuite dans le reste du monde. »

« L’afflux constant d’acier chinois bon marché fait perdre des parts de marché aux fabricants locaux. Il en résulte des fermetures d’usines et des pertes d’emplois. C’est ce qui s’est passé en Europe et en Amérique latine, et c’est maintenant ce qui se passe ici. »

Le PDG d’ArcelorMittal South Africa, Kobus Verster, a déclaré à Epoch Times qu’il n’était plus rentable pour l’entreprise de produire de l’acier en Afrique du Sud.

« Nous ne sommes pas les seuls à connaître cette situation », a déclaré M. Verster. « Du fait de plusieurs facteurs, dont l’un est l’action de la Chine, la plupart des producteurs d’acier du monde sont aujourd’hui des entreprises déficitaires. »

En février 2024, la Commission d’administration du commerce international de l’Afrique du Sud, qui surveille le secteur du commerce extérieur du pays, a conclu que l’acier fabriqué en Chine était vendu au rabais dans le pays.

Son enquête a déterminé que les secteurs sidérurgiques de toute l’Afrique australe subissaient de ce fait un « préjudice important » et a recommandé l’imposition de « droits antidumping définitifs » à l’encontre des importations d’acier chinois.

Le gouvernement sud-africain n’a pas tenu compte de cette recommandation.

Les exportations annuelles d’acier chinoises continuent d’atteindre des niveaux record, ce qui fait que le prix mondial moyen de l’acier en 2024 était de 660 dollars par tonne, bien en deçà de ce qu’il aurait dû être, a souligné M. Verster.

La Chine est le premier producteur mondial d’acier, avec plus d’un milliard de tonnes par an.

Selon les observateurs internationaux du secteur de l’acier, le ralentissement spectaculaire des secteurs de l’immobilier et de la construction en Chine au cours des dernières années a laissé de nombreuses tonnes d’acier invendues.

Justin Corbett, producteur d’acier sud-africain de longue date et membre de l’Institut de l’acier et du fer du pays, a expliqué à Epoch Times que le ralentissement économique que connaît la Chine aurait dû entraîner une baisse correspondante de la production d’acier.

« Au contraire, le gouvernement chinois a continué à subventionner ses sidérurgistes pour qu’ils produisent encore plus d’acier et leur offre encore plus d’incitations à la production, et c’est cet excès d’acier que nous voyons aujourd’hui avoir un impact aussi dévastateur sur les industries sidérurgiques locales à travers le monde », a-t-il poursuivi.

« Il est tout à fait injuste et égoïste que la Chine se comporte de la sorte. »

Le président du Congrès national africain (ANC) et président sud-africain, Cyril Ramaphosa, s’exprime lors de la cérémonie officielle d’annonce des résultats des élections à Johannesburg, en Afrique du Sud, le 2 juin 2024. (Chris McGrath/Getty Images)

Pékin a affirmé que les accusations de dumping de l’acier étaient infondées et qu’elles résultaient du protectionnisme occidental. Le régime a également souligné que son succès économique était dû à des prix compétitifs résultant d’une production de masse et dictés par les forces du marché.

Selon une analyse de S&P Global, la Chine a exporté 100 millions de tonnes d’acier excédentaire entre janvier et novembre 2024.

Le groupe industriel UK Steel a déclaré dans un rapport publié en octobre de l’année dernière que les exportations d’acier chinois avaient augmenté de 38 % en 2023 et de 20 % supplémentaires en 2024.

L’offre étant tellement supérieure à la demande, ces exportations d’acier se font à des prix inférieurs au coût de la production locale dans le monde entier, ce qui entraîne des pertes d’emplois, des réductions de production et des inquiétudes quant à la viabilité à long terme de l’industrie.

Afin de protéger l’acier américain, le président Donald Trump prévoit d’augmenter les droits de douane sur les importations américaines d’acier chinois de 25 %, actuellement appliqués par l’administration précédente, à 60 %.

En Afrique du Sud, ArcelorMittal a également été « durement touché » par la lenteur de la croissance économique, qui a entraîné un ralentissement de la demande en acier, et par les pertes causées par les pannes d’électricité prolongées qui ont frappé le pays ces dernières années.

Si le gouvernement du président Cyril Ramaphosa a agi pour atténuer ces crises, a souligné M. Jim, il n’a pas fait assez pour protéger les fabricants locaux contre les importations chinoises d’acier à bas prix.

Lucio Trentini, PDG de la Fédération des industries de l’acier et de l’ingénierie d’Afrique australe, a déclaré à Epoch Times que l’Afrique n’a pas rattrapé les autres régions dans ses stratégies de lutte contre la surproduction chinoise.

« Des pays comme les États-Unis et le Canada, l’Europe et l’Asie-Pacifique, ont introduit des mesures antidumping assez importantes contre les importations d’acier chinois », a ajouté M. Trentini.

« Les gouvernements africains ont tenté de faire de même, mais leurs droits de douane n’ont généralement pas été suffisamment élevés pour atténuer les dommages, ou bien ils ont ciblé des catégories très limitées d’acier chinois, et nous constatons des dégâts en Afrique du Sud et dans les autres grandes nations productrices d’acier du continent, l’Égypte, le Nigeria et l’Algérie. »

L’Égypte applique ce qu’elle décrit comme un « droit d’importation temporaire » de 17 % sur l’acier chinois.

Selon l’Association nationale des employeurs d’Afrique du Sud, le gouvernement sud-africain impose des droits de douane de plus de 35 % sur les produits sidérurgiques. M. Jim a précisé que ces droits s’appliquaient à une « très petite partie » de l’acier chinois.

« Il y a aussi des considérations politiques, ici », a souligné le dirigeant du syndicat des travailleurs de la métallurgie. « Les gouvernements africains hésitent beaucoup à imposer des droits de douane très élevés sur les importations chinoises dans la mesure où la Chine est le plus grand acteur économique du continent et qu’ils ne veulent pas offenser le plus grand partenaire commercial et créancier de l’Afrique. »

Une porte-parole du ministère sud-africain du Commerce et de l’Industrie, Yamkela Fanisi, a déclaré que Pretoria n’avait « pas peur de la Chine » et s’engageait à protéger l’industrie sidérurgique du pays.

« Cette industrie est l’épine dorsale de notre industrialisation et de notre réindustrialisation », a-t-elle assuré à Epoch Times. « Nous avons tenu des réunions régulières avec toutes les parties prenantes et nous leur avons dit que si elles avaient des préoccupations, elles devaient en faire part. »

M. Verster a répondu : « Le gouvernement est doué pour écouter nos plaintes mais n’est apparemment pas capable de prendre des décisions. »

L’une de ces décisions, a souligné M. Jim, devrait consister à imposer des droits de douane d’au moins 50 % sur toutes les importations d’acier en provenance de Chine et à mettre en place des mesures antidumping strictement appliquées.

« Nous comprenons que de nombreux membres de notre gouvernement sont amis avec des membres du gouvernement chinois, mais leur première priorité devrait être d’être amis avec leur propre peuple », a-t-il insisté.

Le Congrès national africain (ANC : African National Congress) du président Cyril Ramaphosa, le plus grand parti d’un gouvernement de coalition, est étroitement allié au Parti communiste chinois, et la Chine est le premier partenaire commercial bilatéral du pays.

Selon M. Trentini, les importations d’acier moins chères profitent aux secteurs qui utilisent l’acier comme intrant, mais leur impact négatif sur la production locale d’acier nuit à l’ensemble du secteur manufacturier, de l’exploitation minière au transport.

« Les chemins de fer, les exploitations minières et les constructeurs automobiles ont besoin de beaucoup d’acier spécialisé pour fonctionner », a-t-il ajouté. « ArcelorMittal produisait cet acier spécialisé, mais il va bientôt disparaître, laissant un vide énorme. Cet acier spécialisé devra désormais être importé, ce qui entraînera des hausses de prix considérables dans tous les secteurs. »

M. Jim a reconnu que la fermeture d’ArcelorMittal aurait des répercussions négatives sur la quasi-totalité de l’industrie manufacturière de la Communauté de développement de l’Afrique australe.

« Les pays voisins comptaient sur Arcelor pour leur fournir de l’acier spécialement transformé, notamment pour la construction », a-t-il poursuivi. « Le secteur automobile sud-africain sera très affecté, car il s’approvisionne en acier spécialisé auprès d’ArcelorMittal. »

Pour M. Corbett, le retrait d’ArcelorMittal entraînera une rupture des chaînes d’approvisionnement.

« Nous avons des produits uniques que personne n’est actuellement en mesure de fabriquer et nous allons donc devoir les développer à l’étranger ou les importer », a-t-il déploré. « Les grands constructeurs automobiles sont dans la même situation. »

La plupart des grands constructeurs automobiles mondiaux sont présents en Afrique du Sud, notamment Volkswagen, Toyota et Mercedes Benz.

« Tous dépendent dans une certaine mesure des approvisionnements d’ArcelorMittal », a indiqué M. Corbett. « Ils subissent une pression extraordinaire pour maintenir la production locale. »

« Chaque fois qu’un nouveau modèle arrive, la situation marginale est [la question de choisir] de continuer à fabriquer en Afrique du Sud ou de le faire ailleurs. »

« Si nous perdons cette capacité critique de production d’acier, je crains que nous ne perdions également les grandes usines de fabrication à forte intensité de main-d’œuvre lorsque ces grands constructeurs automobiles se délocaliseront vers d’autres territoires. »

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