Des perquisitions ont eu lieu mardi au siège parisien de Lafarge, ainsi que chez GBL à Bruxelles, un des actionnaires de ce cimentier franco-suisse, dans le cadre de l’enquête sur des soupçons de financement indirect de groupes jihadistes en Syrie.
« Les enquêteurs français sont toujours en train de perquisitionner dans nos locaux », a dit à l’AFP en fin d’après-midi une porte-parole de la société française Lafarge, qui a fusionné en 2015 avec le Suisse Holcim.
Parallèlement, une perquisition s’est déroulée au siège de GBL (Groupe Bruxelles Lambert), la holding du milliardaire belge Albert Frère qui détient 9,4% du capital de LafargeHolcim. GBL, qui a confirmé dans un communiqué avoir fait l’objet d’investigations, a dit « coopérer pleinement » avec la justice dans cette affaire.
« Les enquêteurs cherchent à savoir si Groupe Bruxelles Lambert aurait pu être au courant des agissements du cimentier en Syrie », d’après une source proche de l’enquête.
Malmené à la Bourse de Paris à la suite de ces informations, le titre LafargeHolcim a terminé la séance en baisse de 1,95%.
Les investigations, menées en France depuis juin par trois juges d’instruction, s’attachent à déterminer si Lafarge a transmis de l’argent à certains groupes, notamment à l’EI, pour continuer à faire fonctionner en 2013 et 2014, malgré le conflit, la cimenterie de Jalabiya, dans le nord de la Syrie.
Les enquêteurs cherchent aussi à savoir si des responsables de cette entreprise en France avaient eu connaissance de tels accords et du danger qu’ils ont pu faire courir aux employés syriens sur place.
« LafargeHolcim rappelle qu’il a condamné avec la plus grande fermeté les erreurs commises en Syrie et qu’il met tout en place pour qu’une telle situation ne puisse plus se reproduire. Le dossier a été traité avec le plus grand sérieux au sein de la société qui a chargé dès 2016 un cabinet d’avocats de procéder à une enquête indépendante », a réagi Lafarge dans une déclaration transmise mardi soir à l’AFP.
Le scandale avait été révélé en juin 2016 par Le Monde : dans son enquête, ce quotidien français avait mis en lumière de « troubles arrangements » entre Lafarge Cement Syrie (LCS), la branche syrienne du groupe, et l’organisation État islamique qui gagnait alors du terrain et devenait incontournable dans la région.
Deux mois plus tard, le ministère français de l’Économie avait porté plainte, déclenchant l’ouverture d’une enquête préliminaire par le parquet de Paris, confiée au Service national de douane judiciaire (SNDJ).
Dans son rapport, dont l’AFP a eu connaissance, le SNDJ conclut que LCS a « effectué des paiements aux groupes jihadistes » pour que la cimenterie continue à fonctionner.
Cela représentait pour l’EI « de l’ordre de 20.000 dollars » par mois, a raconté Bruno Pescheux, directeur de la cimenterie de 2008 à 2014, devant les enquêteurs, d’après une source proche du dossier.
Selon le SNDJ, la direction française du groupe « a validé ces remises de fonds en produisant de fausses pièces comptables ».
Les enquêteurs soupçonnent aussi LCS de s’être, sous couvert de faux contrats de consultants, approvisionné en pétrole auprès de l’EI qui avait pris, à partir de juin 2013, le contrôle de la majeure partie des réserves stratégiques d’or noir en Syrie.
« Pour moi, les choses étaient sous contrôle. Si rien ne me remontait, c’est que rien de matériel ne se produisait », a assuré l’ex-PDG de Lafarge, Bruno Lafont, devant le SNDJ.
D’anciens responsables du cimentier ont affirmé que cette volonté de rester coûte que coûte en Syrie malgré la guerre avait reçu l’aval des autorités françaises et l’association anticorruption Sherpa, qui a également porté plainte au nom de onze ex-salariés syriens, a demandé que l’ancien ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius soit entendu.
À ce jour, les magistrats instructeurs ont interrogé plusieurs ex-employés syriens de l’usine.
R.B avec AFP
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