Le débat sur les fermes sud-africaines aux mains des Blancs est obscurci par des mythes, selon des experts

Par Darren Taylor
22 février 2025 06:08 Mis à jour: 22 février 2025 12:50

JOHANNESBURG — Lorsque le président américain Donald Trump a signé un décret dénonçant le projet apparent du gouvernement sud-africain de saisir des exploitations agricoles appartenant à des Blancs, il a ravivé le débat sur la réforme foncière dans la première économie du continent.

Les analyses et reportages abordent souvent la question en présentant les propriétaires terriens blancs comme les héritiers d’un système inégalitaire, cultivant des terres qu’ils détiennent grâce à l’apartheid et à la colonisation, tandis que leurs ouvriers et les populations noires locales, considérées comme les véritables propriétaires de ces terres, vivent dans la pauvreté.

Au cœur de ces débats figurent des statistiques omniprésentes, censées démontrer un déséquilibre extrême dans la répartition des terres agricoles : 36.000 exploitants blancs posséderaient plus de 80 % des terres arables, tandis que les Noirs ne détiendraient que 4 % des terrains privés, alors qu’ils représentent près de 80 % des 63 millions d’habitants du pays, contre seulement 8 % pour les Blancs.

Pourtant, selon deux des principaux experts sud-africains en matière de réforme foncière, ces chiffres reposent sur des analyses biaisées.

A shepherd wears a motorcycle helmet as he tries to control a sheep at a farm in Victoria West, South Africa, on May 23, 2024. (Marco Longari/AFP via Getty Images)
Un berger porte un casque de moto alors qu’il tente de contrôler un mouton dans une ferme de Victoria West, en Afrique du Sud, le 23 mai 2024. Marco Longari/AFP via Getty Images

Sous l’apartheid, les Noirs étaient largement privés de droits fonciers et confinés dans des bidonvilles ou de petites exploitations situées dans des « homelands » séparant les différentes ethnies.

Les Blancs, eux, vivaient en banlieue ou sur de vastes domaines agricoles. Ils jouissaient alors de privilèges indéniables, et les statistiques actuelles sur la pauvreté et le chômage indiquent qu’ils restent aujourd’hui encore la population la plus favorisée du pays.

Un rapport de la Commission sud-africaine des droits de l’homme, financée par l’État et publié en 2018, révélait ainsi que seulement 1 % des 7,5 millions de citoyens blancs vivaient dans la pauvreté. Certains groupes de défense des droits civiques contestent toutefois ce chiffre, estimant qu’en réalité, jusqu’à 12 % des Blancs seraient pauvres.

Selon cette même étude, 63 % des 49 millions de citoyens noirs du pays vivent sous le seuil de pauvreté.

Dans ce contexte, l’offre d’asile formulée par Donald Trump à l’égard des Afrikaners blancs, supposément persécutés par le Congrès national africain (ANC), le parti majoritaire au sein du gouvernement sud-africain, a suscité de vives réactions dans la presse internationale.

De nombreux commentateurs ont tourné cette initiative en dérision, arguant qu’après plus de trente ans de démocratie postapartheid, la minorité blanche reste, malgré les politiques de discrimination positive et d’émancipation économique des Noirs mises en place par l’ANC, le groupe le plus privilégié du pays. Des mesures que Donald Trump et son conseiller d’origine sud-africaine, Elon Musk, ont qualifiées de « racistes ».

Le déclencheur du décret présidentiel de Donald Trump, qui a également entraîné la suppression de 440 millions de dollars d’aide annuelle à l’Afrique du Sud, est la loi sur l’expropriation promulguée par le président Cyril Ramaphosa le 23 janvier dernier.

Cyril Ramaphosa a présenté cette loi comme un outil essentiel pour honorer la promesse faite par l’ANC en 1994 de redistribuer la majeure partie des terres agricoles aux citoyens noirs.

Des experts juridiques interrogés par Epoch Times expliquent que cette législation permet en théorie aux autorités de confisquer des biens privés si cela est jugé conforme à « l’intérêt public ».

C’est pour cette raison que certains partenaires de coalition de l’ANC considèrent cette loi comme inconstitutionnelle et espèrent en obtenir l’annulation par voie judiciaire.

Ces experts soulignent également que de nombreuses idées reçues circulent sur la réforme foncière et que les chiffres fréquemment avancés reposent sur des erreurs d’analyse. En réalité, la part des terres détenues par des Noirs serait probablement trois fois plus élevée que ce qui est communément admis.

Johann Kirsten et Wandile Sihlobo, économistes spécialisés dans l’agriculture à l’université de Stellenbosch, expliquent que de nombreuses exploitations auparavant aux mains de propriétaires blancs sont déjà passées sous contrôle noir.

« L’idée que la réforme agraire aurait échoué en Afrique du Sud est un mythe », affirme Wandile Sihlobo. « Une analyse approfondie des données montre que les progrès sont bien plus importants que ce que laissent entendre les journalistes, les politiciens et les militants. »

Johann Kirsten et Wandile Sihlobo, qui remettent en question le récit dominant sur la question, s’appuient sur un vaste ensemble de documents officiels, comprenant des registres fonciers, des actes de propriété et des statistiques de recensement.

Si de nombreux médias affirment que seulement 8 à 10 % des terres agricoles ont été restituées aux Noirs depuis la fin de l’apartheid, l’analyse de Johann Kirsten et Wandile Sihlobo évalue ce chiffre à environ 30 %.

« Il reste encore beaucoup à faire pour parvenir à une véritable réforme foncière en Afrique du Sud », concède Johann Kirsten. « Mais ignorer les avancées réalisées empêche d’élaborer des politiques basées sur les progrès déjà accomplis. »

Les chercheurs rappellent qu’en 1994, les exploitants blancs possédaient près de 80 millions d’hectares de terres agricoles en pleine propriété. Ce chiffre est aujourd’hui tombé à un peu plus de 60 millions d’hectares.

« Cela résulte des programmes de redistribution et de restitution mis en place par l’État, ainsi que d’autres transactions foncières. Ces terres représentent encore 78 % des terrains agricoles privés, mais couvrent seulement 50 % du territoire sud-africain », précise Johann Kirsten.

Wandile Sihlobo ajoute : « Du point de vue de l’ANC, cela reste insuffisant pour atteindre une redistribution foncière à grande échelle. Mais la situation n’est pas aussi dramatique qu’on le prétend : les Noirs possèdent déjà une part significative des terres du pays. »

Selon lui, il est également faux d’affirmer que les exploitants blancs monopolisent les terres et refusent de les vendre.

Les registres fonciers sud-africains montrent qu’en 2021, 2585 fermes — principalement de petites exploitations commerciales, souvent détenues par des Blancs — ont été vendues, et ce phénomène s’observe depuis plusieurs années.

Johann Kirsten souligne que depuis 1994, les Sud-Africains noirs ont acquis en toute indépendance près de 2 millions d’hectares de terres agricoles via des transactions privées, tandis que les programmes gouvernementaux de redistribution ont permis de transférer 7,2 millions d’hectares supplémentaires.

Dès lors, affirme-t-il, il est erroné de dire que seulement 8 % des terres ont été redistribuées aux Noirs depuis 1994.

Wandile Sihlobo estime que ces discours « ignorent la dynamique réelle du marché foncier et le fait que de nombreux Sud-Africains noirs achètent eux-mêmes des terres, sans attendre l’aide de l’État ».

Johann Kirsten ajoute que l’Afrique du Sud aurait sans doute dépassé le seuil des 30 % de terres redistribuées si les gouvernements successifs de l’ANC n’avaient pas freiné le processus par leur « bureaucratie inefficace, leurs réseaux de favoritisme et leur corruption ».

Il met également en garde contre les discours radicaux de certains partis comme les Combattants pour la liberté économique (EFF), qui instrumentalisent ces statistiques erronées pour justifier les invasions de fermes appartenant à des Blancs et tiennent des propos « flirtant avec la haine » à leur égard.

Quant au ministre de la Réforme foncière et du Développement rural, Mzwanele Nyhontso, il assure que la confiscation massive de terres privées n’aura jamais lieu sous un gouvernement ANC :

« L’État de droit est primordial en Afrique du Sud », a affirmé Mzwanele Nyhontso. « Une saisie massive des terres par l’État serait absurde, pour deux raisons. Premièrement, même si nous exproprions toutes les terres détenues par des agriculteurs blancs, cela ne suffira pas à accomplir une véritable réforme foncière. Nous avons toujours dit que nous comptions recourir à l’expropriation de manière très limitée et que nous indemniserions équitablement les propriétaires. La loi sur l’expropriation n’est qu’un outil parmi tant d’autres. »

« Deuxièmement, il suffit de regarder de l’autre côté de notre frontière pour voir les conséquences de la saisie des terres agricoles privées par un gouvernement. C’est un suicide économique. »

Au début des années 2000, sous la présidence de Robert Mugabe et son gouvernement du ZANU-PF, le Zimbabwe, pays voisin au nord de l’Afrique du Sud, avait procédé à la confiscation des exploitations agricoles détenues par des Blancs. Cette politique, conjuguée à d’autres mesures, est largement reconnue comme ayant précipité l’effondrement économique du pays.

Johann Kirsten et Wandile Sihlobo avertissent que si l’État venait à rendre la propriété privée sans valeur en procédant à des confiscations sans compensation, les propriétaires fonciers ne seraient plus en mesure de rembourser leurs dettes.

« Cela provoquerait une crise financière sans précédent en Afrique du Sud », prévient Wandile Sihlobo. « C’est exactement ce qui s’est produit au Zimbabwe : les terres ont été saisies, et les nouveaux propriétaires, illégitimes au regard du droit, ne possédaient pas les compétences nécessaires pour assurer une production agricole suffisante. Cela a engendré une crise alimentaire dont le Zimbabwe subit encore aujourd’hui les conséquences. »

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