A-t-il réellement songé à renoncer ? Michel Barnier, le montagnard qui aime avancer « pas à pas », aura mis deux douloureuses semaines pour bâtir son équipe pris en étau entre les surenchères de la droite, les dissensions macronistes, et la fin de non recevoir de la gauche.
Seize jours. Jamais un gouvernement n’a mis autant de temps à être nommé sous la Ve République.
À sa nomination par défaut, le 5 septembre, par Emmanuel Macron, qui a renoncé à Xavier Bertrand et à Bernard Cazeneuve, la passation de pouvoir est fraîche.
Michel Barnier, ex-ministre de droite, trouve « un peu vide » le bureau de son prédécesseur Gabriel Attal. Celui-ci lui détaille ses « projets de loi en suspens »? L’impétrant préfère apporter sa « propre valeur ajoutée ».
Pour former son équipe, l’ancien négociateur du Brexit va jouer la montre, avant d’accélérer dans la dernière ligne droite pour lever les résistances et tenir aussi un calendrier budgétaire très serré.
Michel Barnier se donne la liberté d’agir, en se démarquant de ses prédécesseurs et d’Emmanuel Macron. Il ne veut pas « faire de l’esbrouffe » ou seulement « lire des notes ».
Que le président « préside » et que le gouvernement « gouverne »
Il souhaite que le président « préside » et le gouvernement « gouverne », parlant même de « domaines partagés » entre l’Élysée et Matignon plutôt que « réservés » au président. Six ministres sont d’ailleurs rattachés directement à lui, dont ceux des Outre-mer, du Budget et de l’Europe.
La mission est lourde : sa fragile coalition du centre et de la droite est censée séduire une Assemblée fracturée en trois blocs à l’issue de législatives qui ont placé la gauche en tête, mais loin de la majorité absolue.
Réputé « méthodique », il reçoit les partis susceptibles de travailler avec lui et entreprend en parallèle une tournée des journées parlementaires.
À gauche, le Premier ministre enchaîne les refus des personnalités approchées. Seul subsistera dans son casting l’ex-député socialiste Didier Migaud, qui retrouve à la Justice la politique quittée en 2010.
L’ex-ministre de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy, incarnation de « l’ancien monde » que la macronie avait voulu enterrer, n’est pas toujours au fait des nouveaux acteurs. Pour négocier avec le Parti radical de gauche, il contacte Jean-Michel Baylet qui n’en est plus le patron, ou confond pendant les dernières tractations Maud (MoDem) et Françoise (UDI) Gatel.
Auprès d’Horizons à Reims l’ambiance est guillerette : le patron du parti Édouard Philippe, qui prônait depuis 2022 une coalition avec la droite, a promis de « l’aider ». Assuré de ce soutien, Michel Barnier ne leur laisse que des strapontins.
En revanche, il nomme plusieurs figures de l’aile gauche de la macronie, comme Agnès Pannier-Runacher, à l’Écologie et à l’Énergie. Car il s’agit de calmer les velléités de censure proférées par certaines.
Aucun poids lourd ni présidentiable
Il fait aussi comprendre aux macronistes réunis à Rosny-sur-Seine (Yvelines) qu’il gardera peu de sortants – sept au final. Et ne fait entrer aucun poids lourd ni présidentiable.
L’ambitieux Gérald Darmanin, pourtant poussé par Emmanuel Macron, n’obtient pas le Quai d’Orsay que le chef de l’Etat avait libéré en envoyant Stéphane Séjourné à la Commission européenne.
Le ministre sortant de l’Intérieur, « fou de rage », raconte alors que Michel Barnier entend augmenter les impôts, suscitant la colère des macronistes. Allié pour l’occasion à Gabriel Attal, il tente de venir rue de Varenne obtenir des « clarifications » sur ce point.
Mais visiblement agacé, Michel Barnier rétorque avoir « découvert » une situation budgétaire « très grave », qui mérite mieux que des « petites phrases » et annule le rendez-vous.
« Plus de sécurité » et « moins d’immigration »
Idem avec Les Républicains. Car la droite qui ne dispose que de 47 députés fait aussi monter les enchères. Au sortir de sa visite à Annecy (Haute-Savoie), Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau réclament « plus de sécurité » et « moins d’immigration ».
À ces dissensions s’ajoutent des tensions avec le président lors d’un déjeuner en début de semaine. Emmanuel Macron n’aurait pas souhaité que la droite s’empare à la fois de Bercy et de Beauvau, au grand dam de son interlocuteur.
En fait, Laurent Wauquiez, chef des députés LR qui vise aussi l’Élysée, a été « tellement dur dans la négociation que c’est Michel Barnier qui l’a bloqué », croit savoir un cadre de la droite.
Face aux vétos croisés, Michel Barnier « convoque » finalement jeudi ses futurs partenaires. Une façon de les mettre au pied du mur et d’avancer sur un gouvernement promis « avant dimanche ».
Il va jusqu’à mettre sa démission dans la balance. « J’ai les mains libres », mais « je ne me cramponne pas », dit-il à ses alliés, selon le président de l’UDI Hervé Marseille.
Laurent Wauquiez annonce alors renoncer à participer au gouvernement, tandis que le sénateur Bruno Retailleau est proposé à l’Intérieur.
Vendredi, c’est au tour des députés MoDem, qui jugent l’équipe trop à droite, de menacer de ne pas participer, alors qu’ils ont obtenu le Quai et la Santé.
Les noms bougent encore. La députée macroniste Violette Spillebout apprend de Michel Barnier qu’elle ne sera finalement pas nommée à l’Education et pointe auprès de l’AFP une « intervention de très haut niveau » et des « barons noirs du Nord ». Certains y voient la main de Gérald Darmanin, d’autres celle de Xavier Bertrand.
Emmanuel Macron appelle ses alliés à « aider » Michel Barnier, qui lui soumet une troisième liste « finalisée » de 38 noms dans la soirée.
Au final ils seront 39, avec très peu de personnalités marquantes. Car « les ‘forts’ sont en dehors. Et tous n’ont pas envie que ça marche », relève une ministre sortante.
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