Elle a retrouvé sa place au château de Versailles, près de Paris, après 230 ans d’éloignement: une spectaculaire commode du XVIIIe siècle a été rachetée par le musée français à un collectionneur américain pour un peu plus de 4 millions d’euros.
Avant de se décider, le château, qui a pu s’offrir ce meuble exceptionnel grâce à un leg, l’a fait expertiser et analyser de façon poussée pour s’assurer de son authenticité. Depuis vendredi, la grande commode en laque noire du Japon, oeuvre d’un célèbre ébéniste, Bernard II Van Riesen Burgh dit BVRB, trône à nouveau dans la chambre de la Dauphine.
« Elle est d’une qualité incroyable », déclare à l’AFP Laurent Salomé, directeur du musée national du château de Versailles. « C’est très émouvant car on a l’impression de voir resurgir le château tel qu’il était avant la Révolution ». La commode de style rocaille (ou rococo) avait été livrée en 1745 pour la chambre de la Dauphine Marie-Thérèse Raphaëlle d’Espagne, l’épouse du Dauphin de France, fils de Louis XV.
Après le décès de la jeune femme un an plus tard, le meuble était resté dans sa chambre, devenue par la suite celle de la nouvelle Dauphine Marie-Josèphe de Saxe. La commode avait ensuite disparu dans le tumulte de la Révolution de 1789. A la fin du XIXè siècle, elle réapparaît sur le marché de l’art mais sa provenance royale a été oubliée.
En 1973, la maison d’enchères Tajan la vend pour 1 million de francs. Puis en 1981, la commode part aux Etats-Unis chez un marchand new-yorkais. Elle resurgit aux enchères en 1998, lors de la dispersion à New York de la collection de ce marchand. En préparant la vente, un expert de la maison Christie’s repère le numéro « 1343 », inscrit à l’encre au dos du meuble.
Il s’aperçoit qu’il correspond au numéro d’inventaire de la commode de la chambre de la Dauphine mentionné dans le journal du Garde-meuble de la Couronne. Le lien avec la royauté est rétabli. Le château de Versailles songe à se porter acquéreur mais renonce devant l’envol des estimations avancées.
En fin de compte, la commode ne part pas aux enchères. Mais Christie’s la vend peu après à un grand collectionneur américain qui la conserve pendant vingt ans. C’est lui qui vient de la vendre à Versailles par l’intermédiaire de Christie’s. « Petit à petit on remeuble Versailles. C’est très difficile car tous les meubles ont été dispersés à la Révolution. Certains resurgissent mais ils coûtent très cher », souligne Laurent Salomé.
C’est grâce à un leg très important de Jeanne Heymann, une résidente monégasque, qui a souhaité spécifiquement contribuer au retour à Versailles d’objets d’art d’origine, que le château a pu financer cet achat. Désormais, pour ses acquisitions, Versailles « redouble de prudence », assure Laurent Salomé.
L’établissement public a été victime d’un trafic de faux meubles XVIIIè qui a éclaté en 2016. Il a acheté entre 2008 et 2012 auprès d’antiquaires parisiens principalement huit meubles (chaises, bergère, sièges ployants) qui se sont avérés être des faux. L’instruction est en cours. « Echaudé », le château a fait analyser la commode rocaille « sous toutes ses coutures » pendant plusieurs mois, souligne Laurent Salomé.
Le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) a étudié son bois, ses bronzes, ses panneaux de laques. Conclusion: « la commode paraît homogène et cohérente, les bois ont été abattus à la fin du XVIIe ou au début du XVIIIe siècles, les bronzes sont du XVIIIè », indique à l’AFP Mireille Klein, responsable de la filière arts décoratifs au C2RMF.
« Les laques sont bien asiatiques et elles ont été complétées par des laques européennes du XVIIIè », ajoute-t-elle. « Tout cadre ».
La composition de l’encre du fameux numéro 1343 a été analysée par un laboratoire du Muséum national d’histoire naturelle: « il n’a rien trouvé d’anachronique » par rapport aux inscriptions d’autres meubles de Versailles de la même période, souligne Mireille Klein.
« Tous les verrous ont été débloqués. C’est un meuble qui présente tous les atouts », selon elle.
E.T avec AFP
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