Le groupe terroriste ISIS jette une ombre sur la Syrie post-Assad

Selon les spécialistes, les perspectives d'avenir d'ISIS en Syrie dépendront en grande partie des nouveaux dirigeants islamistes du pays

Par Adam Morrow
13 janvier 2025 20:16 Mis à jour: 13 janvier 2025 23:50

L’effondrement du gouvernement syrien le mois dernier a fait craindre un retour du groupe terroriste ISIS, qui avait pris le contrôle d’une grande partie du pays il y a dix ans.

« L’histoire montre à quel point les moments d’espoir peuvent rapidement se transformer en conflit et en violence », a déclaré le secrétaire d’État américain Antony Blinken au lendemain de l’effondrement du régime et de l’armée du président syrien Bachar Al-Assad le mois dernier.

« ISIS tentera de profiter de cette période pour rétablir ses capacités », a-t-il ajouté.

Selon l’ambassadeur Matthew Bryza, ancien fonctionnaire de la Maison-Blanche et du département d’État, la capacité du groupe à revenir sur le devant de la scène « dépendra de la manière dont le nouveau gouvernement syrien pourra consolider son autorité et mettre sur pied une nouvelle force militaire nationale capable d’assurer la sécurité ».

Idéologiquement issu d’Al-Qaïda, ISIS (« État Islamique ») a envahi de vastes pans de la Syrie – ainsi qu’une grande partie de l’Irak voisin – entre 2014 et 2017.

En 2019, la présence du groupe en Syrie avait été largement éradiquée par une coalition dirigée par les États-Unis travaillant aux côtés des Kurdes locaux, alliés de Washington.

Cette année-là, les forces américaines ont tué le chef d’ISIS, Abu Bakr al-Baghdadi, dans le nord-ouest de la Syrie, sur ordre du président de l’époque, aujourd’hui président élu Donald Trump.

Reflétant la dynamique complexe du conflit, les adversaires de Washington en Syrie – notamment la Russie, l’Iran et le régime Assad – ont également joué un rôle important dans l’écrasement du groupe terroriste.

Présence américaine en Syrie

Le 8 décembre, le régime syrien s’est effondré face à une offensive rebelle soutenue par la Turquie et menée par Hayat Tahrir al-Sham (HTS), une organisation désignée terroriste par les États-Unis.

Le même jour, l’armée américaine a mené des dizaines de frappes aériennes contre ce qu’elle a décrit comme « des chefs, des agents et des camps d’ISIS » dans le centre de la Syrie.

Le Commandement central américain (U.S. Central Command, CENTCOM) a déclaré que ces frappes visaient à s’assurer que le groupe terroriste « ne cherche pas à profiter de la situation actuelle pour se reconstituer dans le centre de la Syrie ».

Une semaine plus tard, l’armée américaine a mené une nouvelle série de frappes, qui ont tué une douzaine de membres d’ISIS, selon le CENTCOM.

Au cours de la dernière décennie, les États-Unis ont maintenu une présence militaire importante dans l’est et le nord-est de la Syrie, estimée actuellement à quelque 2000 soldats.

Le déploiement fait partie d’une coalition dirigée par les États-Unis chargée de vaincre ISIS.

Des combattants de la faction de l’Armée nationale syrienne soutenue par la Turquie observent depuis une fenêtre dans une maison située près du barrage de Tishrin dans les environs de Manbij, dans l’est de la province d’Alep (nord de la Syrie), le 10 janvier 2025.  (Aaref Watad / AFP via Getty Images)

En 2019, au cours de son premier mandat présidentiel, Donald Trump s’est engagé à retirer les forces américaines de Syrie, une promesse qui ne s’est finalement pas concrétisée.

À l’époque, la promesse du président Trump avait suscité de vives critiques de la part de ses opposants politiques nationaux, qui l’accusaient d’abandonner les alliés kurdes de Washington.

Cette semaine, le secrétaire américain à la défense, Lloyd Austin, a déclaré que les troupes américaines allaient demeurer en Syrie afin d’empêcher une résurgence du groupe terroriste.

« Nous avons encore du travail à faire pour garder le pied sur la gorge d’ISIS », a-t-il déclaré à l’Associated Press le 9 janvier.

Selon Lloyd Austin, les forces américaines sont également nécessaires pour sécuriser une série de camps de détention dans le nord-est de la Syrie, dans lesquels des milliers d’anciens combattants d’ISIS et leurs familles sont détenus.

Sebastian Gorka, choisi par le président élu Donald Trump pour être assistant adjoint du président et directeur principal de la lutte contre le terrorisme, parle lors d’une interview avec Epoch Times le 17 décembre 2024. (Madalina Vasiliu/Epoch Times)

Un problème international

Des dizaines de milliers de personnes sont détenues dans ces camps, qui sont actuellement gérés par les Forces démocratiques syriennes (FDS), un groupe dirigé par les Kurdes et soutenu par Washington.

M. Austin a déclaré que les membres des FDS pourraient éventuellement être « absorbés » par l’armée syrienne sous la nouvelle direction du pays.

« La Syrie posséderait alors tous les camps [de détention] et, avec un peu de chance, en garderait le contrôle », a-t-il déclaré.

Selon un rapport d’Amnesty International datant d’avril 2024, on estime à 56.000 le nombre d’hommes, de femmes et d’enfants détenus dans les camps, la plupart d’entre eux ayant été « détenus arbitrairement et pour une durée indéterminée ».

« Les personnes détenues à la suite de la défaite territoriale d'[ISIS] […] sont confrontées à des violations systématiques [des droits humains] et meurent en grand nombre en raison de conditions inhumaines », indique le rapport.

Les camps de détention et leurs détenus, dont la plupart sont des ressortissants étrangers, ont provoqué des frictions entre les États-Unis et leurs alliés.

Depuis l’extirpation d’ISIS en 2019, Washington a exhorté ses partenaires à rapatrier leurs citoyens encore détenus dans les camps de détention.

S’adressant au Times of London, Sebastian Gorka – choisi par Donald Trump pour le poste de responsable de la lutte contre le terrorisme -, a déclaré que le Royaume-Uni devrait rapatrier une trentaine de ressortissants britanniques qui sont actuellement enterrés dans les camps.

« Tout pays qui souhaite être considéré comme un allié et un ami sérieux de la nation la plus puissante du monde devrait agir d’une manière qui reflète cet engagement sérieux », a déclaré M. Gorka au journal le 8 janvier.

Un porte-parole du gouvernement britannique a répondu que la priorité de Londres était « d’assurer la sécurité du Royaume-Uni ».

Selon Matthew Bryza, il n’y a que deux façons de résoudre ce qu’il décrit comme une « situation terriblement complexe ».

« La première est qu’ils [les détenus] restent dans ces camps pour toujours », a déclaré M. Bryza à Epoch Times. « La seconde est qu’ils soient rapatriés. »

« La demande de M. Gorka que le Royaume-Uni reprenne ses ressortissants, ainsi que d’autres pays dont les citoyens sont détenus dans les camps, est logique », a-t-il ajouté.

« Car la seule autre alternative est de les laisser là-bas pour toujours », a-t-il ajouté.

Ayhan Doganer, un ancien diplomate turc qui a servi en Syrie et au Liban, a décrit la question comme un « problème international » dont la résolution « ne sera pas facile ».

L’utilisation d’une autre force pour garder les camps – au lieu des FDS (« Forces démocratiques syriennes ») soutenues par les Etats-Unis – « ne résoudrait le problème que temporairement », a déclaré Ayhan Doganer à Epoch Times.

Des membres de l’alliance syrienne Hayat Tahrir al-Sham (HTS), dirigée par l’ancienne filiale d’Al-Qaïda en Syrie, défilent avec leurs drapeaux et ceux de l’« Émirat islamique d’Afghanistan » des talibans dans la ville d’Idlib tenue par les rebelles, le 20 août 2021. (Omar Haj Kadour /AFP via Getty Images)

Des idéologies partagées

Pour compliquer encore la situation, Hayat Tahrir al-Sham (HTS), le groupe rebelle islamiste dirigeant actuellement de facto la Syrie, est idéologiquement issu d’ISIS.

La manière dont cela affectera les efforts occidentaux pour combattre ISIS en Syrie demeure une question entière, selon les spécialistes.

« Le fait que le chef du HTS, Ahmed al-Sharaa, était auparavant membre d’Al-Qaïda et du Front Nusra, qui a travaillé avec ISIS, a certainement entravé la confiance de l’Occident dans le groupe [HTS] », a déclaré Ayhan Bryza.

« Mais je crois aussi qu'[Ahmed] al-Sharaa a rompu avec son passé », a-t-il ajouté, soulignant que HTS « a ensuite combattu Al-Qaïda et ISIS ».

« Personne ne sait à quel point ils sont sincères », a poursuivi M. Bryza. « Mais ils ont payé de leur sang, et dans certains cas de leur vie, en combattant Al-Qaïda et ISIS en Syrie. »

En fin de compte, a-t-il poursuivi, l’engagement de HTS pour une Syrie démocratique « sera jugé par ses actions ».

Selon Ayhan Doganer, HTS, ISIS et Al-Qaïda sont tous issus de la même « idéologie salafiste et takfiri ».

« Bien qu’Ahmed al-Sharaa soit un révisionniste, la situation pourrait être différente pour les composantes de HTS », a-t-il déclaré.

« L’évolution d’Ahmed al-Sharaa vers la modération risque d’aliéner les factions les plus dures du HTS, ce qui pourrait provoquer des dissensions internes », a-t-il expliqué.

« Il faudra beaucoup de temps à HTS pour gagner la confiance de l’Occident », a ajouté M. Doganer, qui travaille actuellement comme analyste principal au Center for Economics and Foreign Policy Studies, basé à Istanbul.

Avec Reuters et Associated Press (AP)

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