Le jardin d’Éden et notre régression psychologique

La chute de l'homme révèle trois pathologies psychologiques qui minent la santé de notre société

Par James Sale
27 septembre 2024 15:59 Mis à jour: 20 octobre 2024 22:00

L’une des raisons pour lesquelles j’étudie si ardemment les mythologies mondiales est qu’elles révèlent tant de choses sur notre psychologie d’aujourd’hui. Pourquoi ? Parce que la nature humaine n’a pas changé depuis le début des temps. En d’autres termes, nous n’avons pas progressé.

Comme l’a déclaré le Dr Aseem Malhotra, cardiologue de renom connu pour ses publications, lors d’une interview accordée à l’émission « American Thought Leaders » aux États-Unis : « Bien que nous ayons progressé sur le plan technologique au cours des 2500 dernières années, […] nous n’avons pas progressé sur le plan psychologique et, je pense, ces dernières années, je dirais [… que] nous sommes en train de régresser sur le plan psychologique ».

Les progrès technologiques et les réalisations exponentielles sont indéniables, mais la question est de savoir à quoi ils servent si, psychologiquement, nous ne nous améliorons pas en tant qu’êtres humains, et si, effectivement, nous sommes en train de régresser ?

En fin de compte, parler de cette régression irait au-delà de la psychologie et inclurait une dimension morale : il y a eu une augmentation du mal dans notre monde moderne.

Aujourd’hui, nous n’aimons pas utiliser ce genre de vocabulaire, comme « le mal », parce qu’il semble absolutiste et porteur de jugement. Nous disons plutôt : « C’est inacceptable ». La régression de l’humanité au fil du temps est cependant un sujet dont les mythes du monde entier parlent beaucoup : une descente de l’âge d’or de l’humanité à l’âge d’argent, à l’âge de bronze et, enfin, à l’âge de fer, où le mal est omniprésent.

Détail de L’Âge d’or de Pietro da Cortona. Palais Pitti, Florence, Italie. (Domaine public)

Ce concept ou ses variantes sont communs aux mythologies grecque, romaine, hindoue, nordique (le cycle du Ragnarök), zoroastrienne, bouddhiste (cycles de déclin) et aztèque.

Mythologies traitant du déclin de l’humanité

Dans leur livre Doubt and Certainty (Doute et certitude), le cosmologiste Tony Rothman et le physicien George Sudarshan se penchent sur la version hindoue de ce mythe :

« Chaque cycle se compose de quatre âges, chacun dégradé par rapport au précédent. Le quatrième âge, qui vient en premier dans les calculs indiens, est l’« âge d’or », une époque béatifique de prospérité et de justice dans laquelle le dharma – ou devoir, loi – est respecté. Au cours du troisième âge, seuls les trois quarts du dharma sont respectés ; les humains connaissent désormais la souffrance et la mort. Vient ensuite le deuxième âge, au cours duquel seule la moitié du dharma existe sur terre, le mal et la souffrance augmentent ; la durée de vie humaine se raccourcit. Nous vivons bien sûr dans le dernier âge du mal (le Kali Yuga), où la richesse devient le seul critère de vertu, où le sexe remplace l’amour et où les calculatrices remplacent l’esprit. À la fin des quatre âges, qui durent au total 12.000 années divines ou 4.320.000 années humaines, il y a une dissolution, une purification générale. »

Kismet, une tête de robot créée dans les années 1990, peut reconnaître et simuler des émotions. Avec la technologie moderne, sommes-nous en train de perdre notre humanité ? (Rama / CC BY-SA 3.0)

Ce modèle de détérioration morale est courant. La quintessence et, sans doute, le mythe le plus ancien est la chute d’Adam et Ève du jardin d’Éden (Genèse 3). Les choses étaient autrefois parfaites – dorées – et maintenant, elles ne le sont plus.

Pour être clair, ces mythes racontent des vérités profondes. Certains, comme Austin Farrer, un ecclésiastique de haut rang de l’Église d’Angleterre au milieu du XXe siècle, font la distinction entre le littéral et le mythologique. Il a écrit : « Dans l’ancienne histoire, Adam rencontre Dieu en train de marcher dans le jardin. […] Mais c’est de la poésie, et il serait très bête de notre part de la prendre au pied de la lettre ».

Bien que je sois tout à fait prêt à accepter que les événements de l’histoire d’Adam et Ève se soient littéralement produits, le fait qu’elle soit littéralement vraie ou non n’est pas pertinent, car l’histoire est vraie au sens le plus profond du terme. Elle répond à une question sur la nature réelle de l’existence humaine. Nous pouvons croire l’un ou l’autre, ou les deux ; insister sur la facticité n’est pas vraiment pertinent ; les faits et/ou les fictions nous enseignent des leçons importantes.

Pathologies psychologiques

Avant d’aborder l’histoire, précisons ce que j’entends par problèmes ou troubles psychologiques, ou, dans le jargon actuel, par pathologies. Il y en a beaucoup. Nous les retrouvons constamment dans l’actualité, lorsqu’un crime ou une atrocité est attribué à l’une ou l’autre d’entre elles. En voici quelques-unes, importantes, qui témoignent d’un état d’esprit négatif : contrôle des réactions, répression, culpabilisation, identification, sublimation, repli sur soi, projection, rationalisation, engourdissement, déni, et ainsi de suite.

Toutes ces stratégies sont des mécanismes de défense destinés à protéger notre propre ego d’une exposition à quelque chose qui menace ou qu’il estime menacer sa sécurité ou son existence. Mais toutes les pathologies ne sont pas égales ; certaines sont plus graves que d’autres.

Les événements bibliques du jardin d’Éden permettent d’identifier trois pathologies psychologiques auxquelles les êtres humains étaient enclins, et le sont toujours – puisque notre nature n’a pas changé.

Examinons-les dans l’ordre chronologique inverse. Le premier est le blâme.

Le blâme

Gravure au trait de Theodor de Bry (1528–1598) d’après Jodocus van Winghe (1544–1603). Ève a peut-être cueilli la pomme de l’arbre de la connaissance, mais Adam ne semblait pas particulièrement réticent à en manger. (Domaine public)

Adam et Ève ont commis une faute en désobéissant aux instructions explicites de Dieu. Adam blâme Ève et Ève blâme le serpent. Ce n’est pas leur faute !

Le blâme transfère la responsabilité à quelqu’un d’autre ; en d’autres termes, il dit : « Je ne suis pas responsable de mon action. C’est quelqu’un d’autre qui en est responsable. En fait, on peut dire que le blâme est le plus endémique, le plus pernicieux et le plus destructeur de tous les vices psychologiques qui assaillent l’humanité. C’est la cheville ouvrière de tout ce qui est négatif en nous. Il n’est donc pas étonnant qu’il fasse tant de ravages. Il est aussi très difficile à contrer ».

Lorsque l’on commet une faute, il serait plus honnête de dire : « Mea culpa » – mon erreur. Mais c’est hélas relativement rare. L’étude du mythe nous aide à voir à quel point ce vice de blâmer les autres est profondément enraciné. D’un point de vue très large, nous constatons que les nations blâment les nations et que les rancunes peuvent durer des siècles.

Nous ne pouvons peut-être pas empêcher notre propre nation d’agir de la sorte, sauf peut-être dans les urnes, mais comment pouvons-nous, individuellement, cesser de blâmer les autres ?

Si nous nous plongeons dans les événements du jardin d’Éden, ils peuvent s’emparer de notre imagination et devenir un programme de développement personnel à faire soi-même. Nous pouvons voir le problème pour ce qu’il est vraiment : en nous.

Un aspect supplémentaire et crucial de la raison pour laquelle le blâme est si mauvais est que, dans le jargon du mouvement de développement personnel des 50 dernières années, il s’agit d’un fait peu compris. Chaque fois que nous blâmons les autres, nous nous tuons littéralement. En blâmant les autres, nous nous tuons en quelque sorte nous-mêmes, car nous nions une partie de la réalité qui a été créée avec nous, par nous et à travers nous, et nous disons que nous n’y sommes pour rien.

Essentiellement, nous nous nions nous-mêmes en tant que cocréateurs de la réalité et, par conséquent, nous refusons cette acceptation des choses telles qu’elles sont. Pour cette raison, blâmer est une sorte de blasphème. Nous nions notre pouvoir de cocréateur, qui s’apparente à celui d’un dieu. En bref, nous nous absentons et nous isolons de la conscience, du Tao ou de Dieu qui anime l’univers dont nous faisons partie.

En langage théologique, nous nous dirigeons vers l’enfer. D’un point de vue laïque, nous pouvons dire que l’enfer n’est pas un lieu au-delà de la vie, mais un état d’esprit dans lequel nous entrons ici et maintenant. Ou, comme l’expriment les bouddhistes traditionnels, « Vous ne serez pas punis pour votre colère [ou votre blâme]. Vous serez punis par votre colère [ou votre blâme]. » En d’autres termes, tout vice devient sa propre punition.

Projeter

 

Adam et Ève avec la pomme et le serpent de Marc Antoine Raimondi (ou Marc-Antoine), d’après Albrecht Dürer. Le Metropolitan Museum of Art. (Domaine public)

La deuxième pathologie psychologique extrême est la projection. La projection est l’état d’esprit négatif dans lequel non seulement nous blâmons les autres, mais nous voyons et ressentons également que les autres ont un vice qui nous caractérise. N’avons-nous pas tous rencontré un ami qui suggère constamment que les autres sont jaloux ou compétitifs ? Pourtant, avec le temps, nous nous rendons compte que la jalousie, la compétitivité ou tout autre défaut fait partie intégrante de ces personnes, mais qu’elles ne le voient pas. Comme l’a fait remarquer C.S. Lewis, « l’erreur et le péché ont tous deux cette propriété que plus ils sont profonds, moins leur victime soupçonne leur existence ».

Adam et Ève n’ont manifestement pas conscience de la gravité de leur péché, alors même qu’ils sont expulsés de l’Éden. Ils projettent leur culpabilité sur le serpent. Ils pensent qu’il n’y a pas de mal en eux, mais qu’il y a du mal dans le serpent.

La projection et le blâme vont de pair et se renforcent mutuellement. Si le serpent est à blâmer, alors le serpent doit être coupable, et donc nous ne le sommes pas ! Ce que nous avons d’abord trouvé dans le jardin d’Éden, nous le retrouvons aujourd’hui sur le lieu de travail, où l’on parle d’« excusite ».

Le déni

Adam et Ève chassés du Paradis terrestre, 1740, par Charles Joseph Natoire. Le Metropolitan Museum of Art. (Domaine public) Avant de réprimander Adam et Ève, Dieu leur pose des questions.

Troisièmement, nous en arrivons à la pathologie psychologique à laquelle nous avons déjà fait allusion en décrivant le blâme : le déni. Dieu pose trois questions à Adam : « Où es-tu ? », à laquelle Adam répond indirectement ; puis “Qui t’a dit que tu étais nu ?”. Adam ne répond pas du tout à cette question. À la troisième question : « As-tu mangé du fruit de l’arbre dont je t’ai défendu de manger ? », Adam répond simplement en accusant sa femme. En résumé, Adam et Ève – qui fait à peu près la même chose – veulent tous deux nier la réalité de ce qui s’est passé, tout en projetant le mal sur un autre, et en blâmant cet autre – le serpent – en même temps.

À la base de ces crimes, il y a un déni, un déni virulent de la vérité, de la réalité, de la vie. Dans les mythes grecs, le pire des crimes est l’orgueil démesuré, qui est aussi une forme de déni de la vérité : la vérité de ce que nous sommes, et de ce que nous sommes par rapport aux dieux eux-mêmes. C’est une faute qui consiste à dépasser nos limites en tant qu’êtres mortels.

Ces mythes – le jardin d’Éden en particulier – contredisent catégoriquement les notions modernes de progrès et de perfectibilité humaine. Nous ferions bien de leur prêter plus d’attention ; si nous le faisions, nous aurions une bien meilleure idée de ce qui se passe dans le monde, et de ce qui se passe dans nos propres cœurs.

Comme le professeur et philosophe Terry Eagleton l’a exprimé : « Ce qu’il faut, c’est une recrudescence des mythes qui mettra fin à l’esprit séculier de progrès et d’optimisme qui séduit actuellement les masses ». Amen à cela.

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