C’est jeudi soir, et le public se tord de rire dans une salle de spectacle pleine à craquer de Juba, au Soudan du Sud. Dans ce pays mutilé par la guerre civile, un jeune comédien lance ses ultimes vannes de la soirée.
« On a quoi au Soudan du Sud ? », enchaîne Isaac Anthony Lumori, l’animateur de cet événement hebdomadaire de stand-up, l’un des plus prisés de la capitale.
« Du talent ! », rugit en retour la foule d’adolescents et de jeunes adultes, qui grignotent du pop-corn, habillés sur leur 31.
Le Kilkilu Ana Comedy Show s’est donné un but qui relevait quasiment de l’impossible au Soudan du Sud : faire rire dans ce jeune pays indépendant depuis 2011 et déchiré par les violences, politiques notamment et la misère.
L’humour et d’autres arts de la scène y ont pourtant trouvé un terreau propice. Stand-up, lectures de poésie et concerts attirent une jeunesse avide de divertissement et de réconfort – et peut-être, opportunité rare, de se moquer de leurs dirigeants.
Le rire, remède pour guérir du trauma
« J’utilise ces blagues pour les faire sourire, pour les guérir du trauma auquel ils ont fait face », explique à l’AFP Kuech Deng Atem, un ancien enfant soldat devenu comédien.
C’est « aussi un remède pour moi-même », affirme le jeune homme de 28 ans, qui a pour nom de scène Wokil Jeesh Commando.
Le public a commencé à s’amasser devant le guichet bien avant l’heure du spectacle, payant son siège 1,40 dollar. Lumori, organisateur d’événements et également connu comme MC Lumoex, affirme que les bons soirs, jusqu’à 2000 tickets partent comme des petits pains.
« On essaye de venir tous les jeudis », dit Amiok Kuer, 26 ans, venue avec trois amies et qui chante parfois entre les saynètes.
« Les gens ont besoin de moments pour se détendre. »
Aux débuts de l’initiative, en 2014, Lumori a craint un échec. Le Soudan du Sud n’avait aucune expérience en stand-up et, à cette époque là, peu de choses prêtaient à rire.
« Que les gens puissent sourire à nouveau »
Le pays avait plongé un an plus tôt dans une guerre civile marquée par des atrocités à grande échelle, poussant des millions de personnes à l’exil.
Lumori avait fui en Ouganda, au sud. À son retour il a trouvé une ville détruite et meurtrie.
« Tant de gens ont perdu des proches », raconte cet homme de 43 ans.
« Nous avons pensé que nous pouvions ramener de l’amour, ramener du rire. Que les gens puissent sourire à nouveau. »
Certains des comédiens stars du pays ont fait leurs premières armes au Kilkilu Ana Comedy Show. Depuis, la scène sud-soudanaise a mûri.
En avril, un deuxième festival international de l’humour
« Chaque jeudi (…) les gens veulent de nouvelles blagues. Tu ne peux pas venir avec les mêmes blagues que la semaine précédente », raconte Hakim James, aka Sultan Kimo, 22 ans.
« Ce n’est pas facile. Les Sud-soudanais commencent à connaître la comédie. »
Désormais, Kilkilu Ana n’est plus l’unique spectacle en ville et Juba accueillera même en avril un festival international d’humour, pour la deuxième année consécutive.
« Les Sud-soudanais, en général, sont marrants », s’amuse Emmanuel Jal, un chanteur sud-soudanais connu à l’étranger.
« Si vous voyiez comment ils arrivent à enchaîner les blagues lors des événements sociaux, vous seriez très étonné. »
« Les atteintes à la liberté d’expression ont fait le terreau de la comédie »
Pour Nelson Kwaje, fondateur d’un lieu dédié à la création, les atteintes à la liberté d’expression ont fait le terreau de la comédie.
La société civile et les médias sud-soudanais sont fermement contrôlés, et sortir une caméra sans permission à Juba attire immédiatement des ennuis.
De plus, il n’est pas autorisé de rire de certains sujets. En janvier, six journalistes ont été arrêtés après la circulation d’une vidéo où le président Salva Kiir semblait uriner sur lui-même.
Mais les humoristes sont parvenus à repousser les limites, moquant la guerre, les divisions tribales, la corruption, la mauvaise gouvernance – des sujets hautement sensibles.
« Une société qui ne pose pas de questions est une société qui ne va nulle part »
Dans un sketch le mois dernier, Atem a caricaturé les écoles sud-soudanaises sans le sous et leurs professeurs mal payés, le tout lors d’un événement officiel auquel participait le ministre de l’Éducation.
« Je pense qu’il y a quelque temps, cela n’aurait pas été possible. Mais maintenant, ça l’est », note Kwaje, dont le centre accueillait l’événement.
« Au Soudan du Sud, les lignes de démarcation ne sont pas très claires entre ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas (…) Il faut constamment évaluer et réévaluer et voir ce qui est faisable. »
Pour Akau Jambo, le plus connu des comédiens sud-soudanais, le stand-up doit faire rendre des comptes aux puissants. Il se donne lui-même comme mission de poser des questions difficiles.
« Une société qui ne pose pas de questions est une société qui ne va nulle part », déclare-t-il à l’AFP depuis l’Australie, où il est en tournée.
« Il est important que nous trouvions des moyens de faire face à nos heures sombres, et c’est là le rôle que peuvent jouer les artistes (…) C’est là le pouvoir de la comédie. »
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