Le partenariat entre le Panama et la Chine met en lumière des années d’investissement stratégique

Des experts avertissent que la Chine a passé des années à jeter les bases de son influence sur le canal de Panama

Par Autumn Spredemann
2 février 2025 20:18 Mis à jour: 2 février 2025 20:18

La promesse du président Donald Trump de reprendre le contrôle du canal de Panama a mis en lumière l’expansion des relations entre la Chine et ce pays d’Amérique centrale.

Des analystes de la sécurité estiment que les responsables américains ont raison de s’inquiéter du renforcement du partenariat stratégique entre le Panama et la Chine ; celui-ci est alimenté par l’absence d’investissements américains dans des secteurs clés du pays latino-américain, et ce depuis des années.

Pékin n’a pas hésité à prendre des mesures pour promouvoir ses intérêts économiques et politiques en Amérique latine.

Le régime communiste a réussi à créer un réseau d’influence à travers des projets d’infrastructure à grande échelle et des prêts « piège à dettes » accordés par la Chine à des pays lui permettant d’exercer une influence sur les gouvernements locaux, qui finissent par se retrouver en situation de défaut de paiement.

« Pour moi, le vrai problème est l’influence exercée à travers les relations économiques, les liens humains et, par conséquent, la possibilité pour les Chinois de faire plier le gouvernement du Panama à leur volonté », a expliqué à Epoch Times Evan Ellis, analyste et professeur chargé de la recherche au Collège de guerre de l’armée américaine.

Une partie de cette persuasion a été acquise grâce au projet controversé de la Chine des « Nouvelles routes de la soie » ou BRI (Belt and Road Initiative). Le Panama a été le premier pays d’Amérique latine à rejoindre la BRI, quelques mois seulement après avoir rompu ses relations diplomatiques avec Taïwan, en 2017.

Historiquement, les États-Unis ont été le premier partenaire commercial du Panama et le premier fournisseur d’investissements directs étrangers, avec 3,8 milliards de dollars.

Toutefois, la Chine s’est attiré les faveurs du pays en investissant dans des projets de développement à grande échelle – tels que des ponts, des prêts -, et en soutenant certains des secteurs les plus négligés du pays.

À titre d’exemple, la Chine a envoyé au Panama 2 millions de dollars de soutien et de fournitures pour les soins de santé entre février et juin 2020, alors que la pandémie de Covid-19 mettait à rude épreuve les hôpitaux du pays. L’année suivante, les autorités locales ont renouvelé le contrat de la Compagnie des ports de Panama – une division de la société CK Hutchison Holdings, basée à Hong Kong, qui possède deux installations maritimes – pour 25 ans.

Par l’intermédiaire de sa filiale, CK Hutchison Holdings exploite des ports sur les rives du Pacifique et des Caraïbes du Panama, à proximité du canal, ce qui en fait un sujet de préoccupation pour les autorités américaines.

L’opportunité frappe à la porte

Selon M. Ellis, les effets des mégaprojets chinois et du soutien discret apporté aux secteurs sous-développés de l’économie panaméenne ne sauraient être surestimés.

Selon lui, une grande partie des capitaux destinés au développement économique dans les années 1980 et 1990 sont allés à l’Asie plutôt qu’à l’Amérique latine, jetant ainsi les bases de la position actuelle de la Chine au Panama. Ces dernières années, l’absence de conflit actif nécessitant l’attention des États-Unis a retardé une « réflexion stratégique approfondie » quant aux ressources allouées par Washington au Panama.

Et tandis que le Panama restait en veilleuse, la Chine s’est empressée de sortir son chéquier.

Selon le groupe de réflexion Inter-American Dialogue, Pékin a investi plus de 187 milliards de dollars (soit environ 182 milliards d’euros) en Amérique latine et dans les Caraïbes entre 2003 et 2022. Pour la seule année 2023, les investissements directs étrangers chinois au Panama se sont élevés à 1,4 milliard de dollars.

Aujourd’hui, de grandes banques telles que la Banque commerciale industrielle de Chine et une multitude d’entreprises chinoises opèrent dans presque tous les secteurs du Panama.

Un agent de sécurité d’une succursale de l’Industrial and Commercial Bank of China Ltd (ICBC) se tient à côté de l’entrée de la zone pilote de libre-échange de Chine (Shanghai) lors d’un voyage de presse le 24 septembre 2014. (JOHANNES EISELE/AFP via Getty Images)

« Des dizaines, voire des centaines d’entreprises chinoises y travaillent », a souligné M. Ellis. « Cet argent s’accompagne de différents types d’influence. »

Ce sentiment a été réitéré par la générale Laura Richardson, ancienne chef du commandement sud des États-Unis. Dans une déclaration faite en 2024 devant la Commission des forces armées de la Chambre des représentants, Mme Richardson a identifié la Chine comme un concurrent stratégique qui ne respecte pas « le droit international ou les normes internationales ».

Mme Richardson a déclaré : « La RPC ne s’est pas implantée dans l’hémisphère occidental pour proposer des investissements de haute qualité et bénéfiques à tous. Elle est venue pour extraire de l’influence et de l’accès , et elle a l’intention de les obtenir ».

Le canal de Panama représente près de la moitié du trafic maritime de conteneurs des États-Unis, et environ 6 % de l’ensemble du commerce maritime passe par ses écluses.

Il s’agit de l’une des routes maritimes les plus importantes au monde, et certains pensent que l’accord de neutralité établi par le traité Torrijos-Carter a été violé. Il s’agit d’un accord historique avec les États-Unis leur donnant le droit de recourir à la force militaire pour défendre le canal contre toute menace perçue à sa neutralité.

Le 28 janvier, Donald Trump a écrit sur Truth Social que le Panama était en train de retirer « à toute allure » les affiches rédigées en chinois placées dans les zones de libre-échange. Le président américain y voit la preuve du contrôle de facto exercé par la Chine sur le canal de Panama.

« À mesure que la Chine investit davantage dans la région, la coopération militaire ou l’influence sur les politiques de défense de certains pays pourrait s’intensifier, sans pour autant impliquer la création de bases militaires », a expliqué à Epoch Times Irina Tsukerman, analyste chargée de la Sécurité nationale et fondatrice de Scarab Rising.

Le président Trump et les experts en défense ne sont pas les seuls à s’inquiéter de l’influence de la Chine sur le fonctionnement du canal. Lors d’une audition au Sénat le 28 janvier, les législateurs américains ont discuté de l’impact de cette voie d’eau essentielle sur le commerce et la sécurité nationale des États-Unis.

« Le canal de Panama, qui dessert 40 % du commerce maritime de conteneurs des États-Unis, est vital pour les intérêts économiques et de sécurité nationale […]. Les États-Unis ont financé et construit le canal de Panama, mais le Panama traite l’Amérique de manière injuste et cède le contrôle d’une infrastructure clé à la Chine », a déploré le sénateur républicain Ted Cruz.

Installations à double usage

L’acquisition d’une influence stratégique, voire militaire, sur les ports maritimes par des investissements n’est pas une idée nouvelle. La Chine utilise cette tactique depuis des années dans les pays où elle possède des installations portuaires – ou y détient une part majoritaire – situées à proximité de voies de navigation critiques.

« La Chine a déjà établi une base militaire à Djibouti [en Afrique], elle dispose donc d’un plan pour étendre sa portée militaire grâce à des partenariats stratégiques et au développement d’infrastructures », a souligné Mme Tsukerman.

Selon elle, les ports chinois à proximité du canal de Panama existants constitueraient un emplacement idéal pour reproduire cette manœuvre.

« Même si la Chine ne construit pas spécifiquement de ports navals, elle s’appuie fortement sur des infrastructures à double usage dans des lieux maritimes clés qui peuvent potentiellement servir d’installations militaires ou d’espionnage », estime Mme Tsukerman.

L’Institut de politique pour la société asiatique (Asia Society Policy Institute) a également souligné ce point dans un rapport qui examine l’utilisation de la BRI comme arme par la Chine. Celui-ci observe que les lois chinoises exigent que les infrastructures à l’étranger répondent à des normes militaires.

« Ces lois autorisent l’armée à réquisitionner des navires, des installations et d’autres biens appartenant à des entreprises chinoises. La volonté de la Chine d’intégrer les secteurs civil et militaire s’appuie sur une double fonctionnalité commerciale et militaire dans les infrastructures de la BRI et les technologies associées », peut-on lire dans l’analyse.

Des membres de l’équipage se tiennent sur le pont d’un porte-conteneurs chinois alors qu’il arrive aux écluses de Cocoli nouvellement inaugurées (expansion du canal de Panama) lors de la visite du dirigeant chinois Xi Jinping au canal de Panama, le 3 décembre 2018. (Luis Acosta/AFP via Getty Images)

Mme Tsukerman partage ce point de vue et estime que les installations portuaires chinoises situées à proximité du canal de Panama pourraient faciliter de futures opérations navales.

« Bien que ces installations puissent avoir une vocation commerciale dans un premier temps, elles pourraient être utilisées à des fins militaires par la suite. La Chine se trouverait ainsi à proximité des opérations navales et commerciales des États-Unis, compromettant potentiellement le contrôle par les États-Unis d’un point d’étranglement aussi critique », a-t-elle ajouté.

À la suite des commentaires de Donald Trump sur le canal de Panama et de l’examen minutieux mené par les médias sur les ports adjacents de Hong Kong, l’autorité maritime du Panama a annoncé un audit formel des deux installations le 20 janvier.

L’agitation interne qui règne parmi les fonctionnaires panaméens intervient avant la visite très attendue du secrétaire d’État américain, Marc Rubio, dans le pays.

Selon M. Ellis, le Panama devra répondre à des « questions importantes » concernant l’influence exercée actuellement par la Chine sur le canal et la violation éventuelle de l’accord de neutralité signé avec l’ancien président des États-Unis, Jimmy Carter.

« C’est cette question qui rend [le président panaméen José Raul] Mulino et les autorités du canal si nerveux », a souligné M. Ellis.

Le 30 janvier, M. Mulino a affirmé qu’il n’y aurait pas de négociations avec les États-Unis sur la propriété du canal.

« C’est fait. Le canal appartient au Panama », avait-il déclaré lors d’une conférence de presse.

Avec The Associated Press (AP)

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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